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Les musées doivent faire appel
à l'intelligence des visiteurs

Le plaisir du fonctionnement cognitif et affectif est le plus grand bénéfice
que l'on retire d'une visite au musée.


Que se passe-t-il dans la tête d'un visiteur de musée qui s'arrête pendant 5 ou même 10 minutes devant un objet d'art? Essaie-t-il de s'approprier les caractéristiques de l'oeuvre? De profiter au maximum du plaisir qu'elle procure? D'analyser les techniques utilisées? Ou pense-t-il à autre chose?

C'est le genre de questions qu'étudie le Groupe de recherche interuniversitaire sur le musée et l'éducation des adultes dont est membre Colette Dufresne-Tassé, psychologue et directrice de la maîtrise en muséologie de la Faculté des études supérieures.

Sans avoir nécessairement percé les secrets profonds de la psyché du rêveur contemplatif, les chercheurs sont tout de même parvenus à tracer certains grands traits faisant état de l'activité mentale qui occupe non seulement le visiteur de musée mais tout adulte en situation de loisir.

Contrairement aux idées reçues, les travaux du groupe montrent que le visiteur peut être dynamique même devant une exposition «présentée comme chez le bijoutier». «Il s'adonne à une activité complexe, utilisant ses connaissances, ses souvenirs, de même que sa capacité de comparer, de raisonner ou de s'émouvoir. [...] Il consacre plus d'énergie à construire et à vérifier ce qu'il pense qu'à simplement noter ce qu'il regarde», peut-on lire dans Psychologie du visiteur de musée, que signent Colette Dufresne-Tassé et André Lefebvre.

Quatre approches

«Le visiteur peut aborder l'objet muséologique selon quatre approches, précise Mme Dufresne-Tassé. Il peut se demander ce que représente l'objet en question, le juger - j'aime ou je n'aime pas -, constater ses connaissances sur l'objet ou encore manifester son appréciation par une expression émotive.»

Selon la chercheuse, il arrive un moment crucial où le visiteur tente de cerner son appréciation sommaire en rattachant ce premier sentiment à son expérience ou à ses connaissances. Si l'exposition ne parvient pas à exploiter cette réaction, le visiteur passe à autre chose.

Tout le secret d'une exposition réussie tient dans cette capacité de faire appel à l'intelligence du visiteur.

Pour cerner ce qu'il se passe dans l'esprit d'une personne occupée à une telle activité, les chercheurs ont eu recours à la méthode du discours introspectif, qui consiste à demander au visiteur d'exprimer à voix haute tout ce qui lui vient à l'esprit: impressions, commentaires, questionnements, appréciations, etc.

La méthode a été testée en situation expérimentale à l'ex-musée Georges-Préfontaine, du Département de biologie, puis au cours d'expositions publiques au Musée des beaux-arts de Montréal, au musée David-Stuart et au Jardin botanique.

Interrogations et plaisir cognitif

Outre les approches mentionnées plus haut, il ressort de l'analyse de ces discours que le visiteur se pose beaucoup de questions sur ce qu'il regarde. Près de 85 % des visiteurs expriment des interrogations dans leur discours et 83 % de ces interrogations portent sur les objets de l'exposition.

«Ces questions représentent pour le visiteur une information manquante et nécessaire à la poursuite d'une activité cognitive qu'il a la plupart du temps engagée à partir de ses observations», écrivent les chercheurs.

Le fonctionnement observé ne varie pas en fonction des caractéristiques socioculturelles des visiteurs. C'est donc dire que la formation que possède l'adulte n'influence pas son niveau d'activité mentale et ne modifie pas les opérations qu'il réalise pour apprécier les objets qu'il regarde.

Les chercheurs ont également noté que les bénéfices d'une visite vont de pair avec une série de plaisirs dont le plaisir esthétique, le plaisir de s'identifier à ce qui est beau, le plaisir de se servir de ses capacités intellectuelles pour se souvenir, acquérir des connaissances et réfléchir, le plaisir de s'approprier du nouveau.

Colette Dufresne-Tassé et André Lefebvre écrivent même que «le bénéfice le plus clair d'un passage au musée est le fonctionnement même du visiteur lorsque ce fonctionnement devient cognitivement et affectivement intense.»

La psychologue ajoute que lorsqu'une exposition est réussie et que le visiteur en a retiré quelque chose, il effectue un transfert de ce qu'il a appris vers d'autres dimensions de sa personne, soit du vacancier vers le travailleur ou le simple citoyen.

Elle donne comme exemple le témoignage d'un ingénieur en travaux publics qui réalise, en contemplant les paysages du Groupe des sept, qu'une route peut abîmer un paysage ou y ajouter un aspect esthétique si elle est bien intégrée. Ou ce créateur qui imagine un nouveau design de bateau à partir d'une exposition de pirogues anciennes.

Programmes d'éducation

De l'avis de Mme Dufresne-Tassé, on peut tirer de ces observations des règles qui permettent de mieux organiser les expositions de façon à stimuler la participation intellectuelle du visiteur. Elle déplore du même coup que les conservateurs ne soient pas suffisamment sensibilisés à ces perspectives.

«Si l'exposition ne réussit pas à aller chercher ces habiletés chez le visiteur, celui-ci s'en trouve handicapé et il ne réussira pas à s'approprier les objets de l'exposition.» Une courte formation de cinq heures, qui pourrait faire partie des programmes éducatifs des musées, suffirait, selon Colette Dufresne-Tassé, à outiller les visiteurs adultes pour qu'ils puissent aller chercher le maximum de n'importe quelle exposition.

«Les connaissances en art ne sont pas indispensables pour apprécier un objet. Les habiletés nécessaires sont les mêmes que celles utilisées lors de l'achat d'un objet de valeur par exemple. Il faut apprendre à regarder les détails de l'objet, le comparer à d'autres, s'informer de ses qualités et de sa composition, prendre en considération ses dimensions sociales et affectives, laisser venir ses émotions. Lorsqu'on donne aux visiteurs la possibilité d'utiliser ces habiletés, ils parviennent à apprécier les expositions et peuvent passer dix ou quinze minutes à analyser une toile.»

Le groupe de recherche sur le musée poursuit des travaux d'éducation dans ce sens afin que les données de leurs recherches puissent bénéficier autant aux concepteurs d'expositions qu'aux simples visiteurs.

Daniel Baril


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