Si le placebo est inerte, le médecin ne l'est pas.
Sur 8000 médicaments recensés en France, la moitié
n'aurait aucun effet pharmacologique démontré1.
Ce qui n'empêche pas les médecins de les prescrire,
la Sécurité sociale de les rembourser et les malades
d'en éprouver des bienfaits.
La science ne s'est jusqu'ici que très peu penchée
sur ce mystérieux effet placebo qui, dès qu'il est
pris en compte, oblige à revoir bien des concepts. «La
preuve reste toujours à faire que les effets heureux de
nos interventions sont bien attribuables aux effets thérapeutiques
postulés par nos différentes approches», pouvait-on
lire dans le dépliant du colloque organisé par le
Département de psychiatrie, l'hôpital Louis-H.-Lafontaine
et l'hôpital Maisonneuve-Rosemont.
La rencontre n'avait pas pour but de chercher à expliquer
comment fonctionne l'effet placebo - qui demeure sans cause connue
- mais d'examiner comment on peut en tenir compte dans l'acte
thérapeutique.
Irving Kirsch, professeur de psychologie sociale à l'Université
du Connecticut et spécialiste de la question, a tout de
même proposé un modèle descriptif dans lequel
la notion d'expectative est à la base du placebo.
Selon ce modèle, la croyance ou l'attente qu'une chose
se produise la fait arriver. Irving Kirsch donne l'exemple du
rocher pris pour un lion: pour le cerveau, il s'agit d'un lion
bien réel et le message de fuite est donné. Un peu
de la même façon, la croyance que le placebo est
un médicament réel amène le cerveau à
donner le message de la guérison.
Le pouvoir du rite
Pour François Roustang, psychanalyste en rupture avec l'école
de Freud et membre de l'institution Milton Erikson de Paris, l'état
d'expectative produisant l'effet placebo est créé
par le rituel entourant l'acte médical ou thérapeutique.
Le médecin tient lieu d'officier du rite: «socialement
reconnu, il représente l'autorité crédible»
pouvant exercer la fonction médicale.
L'endroit a aussi son importance; «le geste n'a pas lieu
n'importe où mais dans un endroit défini, comme
le temple où l'on vénère l'image miraculeuse.
L'espace feutré du cabinet, propice à la relaxation,
aiguise l'espoir d'un mieux-être.»
Le médicament, quant à lui, tient lieu du signe
visible propre à tout rituel. «Le médicament
ne se réduit pas à son effet biochimique, fait remarquer
François Roustang. Il est aussi quelque chose donné
par des mains humaines à un humain pour aider son mieux-être.»
L'officiant prononce finalement les paroles magiques: «Je
te donne cette insignifiance, ou ce rien, pour ta guérison.
Toute la croyance en la science est dans cette formule»,
estime le psychanalyste. Si l'objet est en soi insignifiant, c'est-à-dire
sans effet, le contexte est quant à lui chargé de
sens. Si le placebo est inerte, le médecin ne l'est pas,
fit remarquer quelqu'un de l'assistance.
«À l'exemple de la communion, poursuit François
Roustang, le signe opère ici ce qu'il représente.
La signification du signe est essentielle et de nombreux rites
religieux ne sont plus opérants parce que leurs significations
se sont perdues. De même, l'effet placebo s'épuise
s'il n'y a pas de renouvellement de la forme.»
Autre élément fondamental propre au rite et à
l'effet placebo: la croyance. «Dans l'usage d'un placebo,
les résultats sont fonction de la croyance et du désir
de changer ou de guérir. Si le placebo est inefficace,
c'est que le désir de guérir n'est pas assez fort.»
Le contexte rituel nécessaire à l'effet placebo
témoigne donc, selon François Roustang, du besoin
de l'être humain d'être guidé et soutenu dans
sa recherche de mieux-être. C'est aussi ce qui expliquerait
que les psychothérapies les plus efficaces sont aussi celles
présentant le plus haut degré de structuration.
Placebo et éthique
Même si les parallèles peuvent être nombreux
avec le rituel religieux, François Roustang ne croit pas
pour autant qu'il faille s'en remettre à un environnement
religieux pour stimuler l'effet mystérieux. Il suggère
toutefois de s'en inspirer. «Le placebo exige de tenir compte
de toutes les dimensions de l'humain, de le considérer
comme un tout ainsi que le font les religions qui y donnent un
sens.» À son avis, ceci peut très bien être
atteint dans le cadre des institutions civiles.
François Roustang rejette donc l'interdiction, au nom de
la morale, de recourir au placebo en milieu clinique. «Utiliser
le placebo, ce n'est pas tromper le patient; c'est se situer à
l'intérieur de cette totalité de l'être humain
en refusant de le découper en morceaux.»
Il a d'ailleurs fait ressortir le paradoxe entre cette interdiction
et le nécessaire recours aux placebos en recherche. «Au
nom de l'éthique et de la science, nous nous interdisons
de prescrire des placebos. Pourtant, en laboratoire, on ne peut
pas ne pas utiliser le placebo. Ce qui ailleurs est considéré
comme non scientifique devient alors le critère de validation
de la science!»
L'interdiction du placebo est donc aux yeux de François
Roustang un «subterfuge de bonne conscience».
Daniel Baril
1. «Les prodiges de l'effet placebo», Le Point,
no 1241, 29 juin 1996, p. 78-86.
Autant dans l'optique de Irving Kirsch que dans celle de François
Roustang, si l'effet placebo est possible, c'est que corps et
esprit ne font qu'un. La difficulté de comprendre la relation
causale dans ce phénomène vient du fait que l'on
aborde habituellement la question avec une conception implicitement
dualiste.
Même l'expression «mécanisme psychologique»
paraît inappropriée aux yeux de François Roustang
parce qu'elle conduit à concevoir le psychologique comme
désincarné ou distinct du physique.
À son avis, le terme anglais expectancy - utilisé
par Irving Kirsch et qu'il propose de traduire par «expectation»
- rend mieux cette unité: «Expectancy renvoie à
une promesse dont la réalisation est déjà
amorcée, signale-t-il. Dans l'expression expectant mother,
les composantes psychologiques, biologiques et comportementales
sont prises en compte simultanément, ce qui est bien plus
qu'un "mécanisme psychologique" où l'individu
est présenté sans corps.»
L'être humain a ainsi la possibilité de se mettre
en état d'expectative ou d'«expectation», par
lequel il produit un effet recherché.
Mais tous ne répondent pas de la même façon
au placebo. Pour Jean-Rock Laurence, professeur au Département
de psychologie de l'Université Concordia et directeur du
Laboratoire expérimental d'hypnose, l'expectative n'est
donc pas suffisante pour rendre compte de l'effet.
«Comme dans l'hypnose, dit-il, des facteurs individuels
cognitifs, psychologiques et biologiques interviennent dans l'effet
placebo.» Ces facteurs, qui restent à définir
et dont l'interaction est modulée par les contextes subjectif
et objectif, doivent être ajoutés à la théorie
de l'expectative.