En 1991, il y avait
au Québec 12 000 immigrants ayant obtenu le statut de résident
permanent après avoir été admis chez nous
à titre de réfugiés. Présentement,
ils sont
Avant la dernière modification à la procédure,
il pouvait s'écouler jusqu'à six ans entre le moment
où le ressortissant arrivait à Mirabel en prononçant
la formule magique «réfugié» et le moment
où il obtenait son statut de résident.
«Jusqu'à maintenant, nous ne savions absolument rien
de ce qui leur arrivait avant et après l'obtention de leur
statut, nous ne connaissions ni leurs conditions de travail et
de logement ni leur façon de s'intégrer dans le
milieu», déclare Christopher McAll, professeur au
Département de sociologie. Au sein du Groupe de recherche
Ethnicité et société (GRES), il vient d'effectuer
la première étude exploratoire de nature qualitative
sur l'insertion des réfugiés pour le compte du ministère
québécois des Relations avec les citoyens et de
l'Immigration.
La situation qu'il a observée est pour le moins paradoxale
et inquiétante.
Le travail
L'échantillon aléatoire du professeur McAll était
composé de 62 personnes ayant déjà obtenu
leur statut de résident permanent. Parmi elles, 31 % se
déclaraient sans emploi, incluant les 23 % qui bénéficiaient
de l'aide sociale, 42 % disaient travailler et 17 % se déclaraient
aux études.
Fait significatif, 34 % de celles qui avaient un emploi se retrouvaient
dans le secteur du vêtement et du textile! Des 15 personnes
qui avaient travaillé le plus depuis leur arrivée,
12 se disaient prêtes à accepter n'importe quoi.
Celles qui refusent le «n'importe quoi», c'est-à-dire
des emplois autres que les emplois de métier, dans des
conditions d'exploitation jugées inacceptables, des rémunérations
de 4 $ l'heure, le non-paiement des heures supplémentaires
ou des cotisations d'assurance-emploi, se condamnent pour la plupart
au chômage. Seulement trois des répondants avaient
retrouvé leur statut professionnel d'avant leur arrivée
au Québec.
Christopher McAll a également observé une augmentation
du taux de chômage chez les requérants à partir
de 1989. En 1988, plus de 75 % des requérants avaient un
emploi rémunéré. En 1993, le taux était
passé sous la barre des 50 %.
Le chercheur en impute la cause à la récession et
au cercle vicieux de l'effet de cette récession sur les
conditions de travail. «Non seulement la récession
augmenterait-elle la demande pour une main-d'oeuvre prête
à travailler dans n'importe quelles conditions, lit-on
dans le rapport, mais ces pressions à la baisse sur les
conditions de travail finiraient par augmenter le taux de refus.»
Même parmi les gens prêts à faire «n'importe
quoi», 14 n'avaient rien trouvé et, pour la moitié
d'entre eux, le racisme serait à la base de leurs déboires.
Le logement
Les requérants du statut de réfugié font
face à un cercle vicieux de même nature dans le domaine
du logement. «Après deux ou trois semaines passées
dans un centre comme le YMCA, le requérant se retrouve
sur le marché du logement privé, où il est
contraint de se payer un logement au mois», poursuit le
professeur.
Le logement au mois est évidemment le plus cher qui soit
et plusieurs causes le contraignent à ce réseau:
le requérant ne connaît pas notre système
de bail, il ne sait pas combien de temps il pourra demeurer ici
et des propriétaires refusent de lui faire signer un bail
de 12 mois à cause de sa condition.
«Le logement peut ainsi engloutir 50 % à 70 % de
ses revenus. Après quelque temps, le requérant se
retrouve dans un taudis de une pièce et demie.»
Les plus démunis sont ceux qui arrivent ici sans connaître
personne. Le rapport mentionne le cas d'un Latino-Américain
parti se chercher un logement, sans bottes ni manteau, alors qu'il
faisait -25 °C. Après deux kilomètres, il a
dû se réfugier dans un autobus!
Le français
Les requérants font également face à des
pressions contradictoires qui les poussent dans des directions
opposées. L'incitation à s'insérer dans le
marché du travail peut, par exemple, aller à l'encontre
de l'apprentissage du français.
«L'utilisation du langage dans [le type d'emploi qu'ils
obtiennent] est probablement assez faible et la langue utilisée
est plus souvent l'anglais que le français», écrit
Christopher McAll. De plus, une fois au travail, il leur est difficile
de trouver du temps pour l'apprentissage d'une langue.
Le chercheur a par ailleurs mis à jour deux facteurs déterminants
dans l'apprentissage et la maîtrise du français.
«Les répondants qui étaient parvenus à
apprendre le français avaient des enfants d'âge scolaire
inscrits à l'école francophone et ne connaissaient
pas l'anglais à leur arrivée au Québec.»
Par ailleurs, le principal obstacle dans l'apprentissage de la
langue relève de la condition même de réfugié.
C'est ce que fait ressortir Louise Tremblay, également
du GRES, dans le chapitre traitant de ce problème. Selon
les professeurs de français, les requérants ont
un taux d'absentéisme élevé parce qu'ils
doivent assister à leur enquête. Ils sont fragiles,
souvent malades, vivent une situation d'urgence, d'insécurité
et de stress. «Leur tête est ailleurs», affirment-ils.
Lorsque leur situation se stabilise, les progrès deviennent
par ailleurs remarquables.
Paradoxes
L'une des premières conclusions que tire Christopher McAll
de ce portrait est la situation paradoxale que vivent ces requérants.
«D'une part, ils arrivent ici complètement démunis,
dans un état de très grande pauvreté, désorientés,
sans passeport, sans papiers pour faire reconnaître leur
formation, séparés de leur famille, traumatisés,
ne parlant souvent ni anglais ni français, passant du tiers-monde
à un pays industrialisé.»
«Le requérant doit s'inscrire dans cette logique
alors qu'il ne sait pas s'il sera autorisé à demeurer
ici. Il se voit donc dans la situation paradoxale où on
lui dit: "Nous ne savons pas si nous allons vous garder,
mais en attendant tâchez de vous insérer dans le
marché du travail et apprenez le français."»
Mais il y a plus grave encore. «L'accueil des réfugiés
est le volet humanitaire de la politique de l'immigration, poursuit
le sociologue. Cependant, la société ne voit pas
nécessairement les choses sous cet angle. Une catégorie
d'employeurs et de propriétaires tirent profit de cette
clientèle démunie prête à accepter
ce que personne ici n'accepterait.»
La politique d'immigration a donc pour effet d'injecter sur le
marché du travail une main-d'oeuvre qui accepte l'inacceptable.
«Les requérants de statut constituent ainsi une sous-catégorie
à la marge inférieure de la population déjà
la plus marginalisée. S'il est difficile pour nos concitoyens
de se sortir de cette situation, ce le sera encore plus pour les
requérants.»
À son avis, cela révèle une image méconnue
de notre société, qui se présente comme ouverte,
riche et tolérante.
Christopher McAll reconnaît que, malgré le paradoxe,
l'idée d'inciter les requérants à l'intégration
peut être une bonne idée. «Mais quelle serait
la meilleure façon de le faire? Difficile à dire»,
convient-il.
Daniel Baril