C'est le branle-bas
de combat dans les milieux de l'éducation permanente. Le
mandat du Groupe de travail sur le financement des universités,
mis sur pied par la ministre de l'Éducation en décembre
dernier, contient en effet une piste d'orientation qui en inquiète
plusieurs.
On y lit: «Y a-t-il lieu de changer les modalités
et le niveau du financement public des programmes de certificats
et d'autres programmes courts, dont les données de performance
montrent qu'ils conduisent relativement peu à la diplomation,
encore moins à la diplomation de grade?»
Même si la forme est interrogative, l'Association générale
des étudiants et des étudiantes de la FEP (AGEEFEP)
y voit une intention très nette de «définancer»
les programmes de certificats universitaires et elle a sonné
l'alarme. Selon son président, Robert Martin, cette orientation
doit être comprise à la lumière de l'objectif
général du Groupe de travail, qui est «de
diminuer les coûts assumés par le trésor public
dans les universités comme dans l'ensemble des services
de caractère public».
Pourquoi les certificats?
«Cette piste est celle qui est la plus clairement exprimée
dans le mandat du Groupe de travail», fait remarquer M.
Martin.
Ce qui étonne encore plus, c'est qu'un autre groupe de
travail, la Commission multipartite sur la complémentarité
des programmes - relevant de la CREPUQ mais détenant un
mandat ministériel -, créée en même
temps que le Groupe de travail sur le financement, doit se pencher
sur la question de la rationalisation des programmes universitaires.
«Pourquoi fait-on une exception pour les certificats? demande
Robert Martin. Doit-on conclure qu'aux yeux du ministère
les certificats ne constituent pas à proprement parler
des programmes universitaires?»
On peut par contre penser que rien n'empêcherait la commission
de la CREPUQ d'examiner la problématique propre aux certificats
parallèlement au Groupe de travail. Mais voilà le
hic: le groupe sur le financement doit remettre son rapport le
30 mars prochain alors que la commission de la CREPUQ a un mandat
de trois ans!
«Que restera-t-il à examiner pour cette commission
si le Groupe de travail répond "oui" au "définancement"
des certificats? demande encore le président de l'AGEEFEP.
C'est mettre la charrue devant les boeufs.»
À son avis, le mandat d'étudier cette question devrait
revenir à la commission de la CREPUQ. La coalition mise
sur pied par l'AGEEFEP et la Fédération des associations
étudiantes universitaires québécoises en
éducation permanente - coalition représentant 100
000 membres - a adressé une demande pressante en ce sens
à la ministre Pauline Marois.
La coalition demande également à la ministre de
procéder à des analyses plus précises des
données sur la diplomation dans les programmes de certificats,
d'étudier le cheminement sur une période de 12 à
15 ans des étudiants inscrits dans ces programmes et de
dresser un bilan de la contribution des programmes de certificats
à la scolarisation des Québécois.
«À défaut de ces études, le Groupe
de travail sur le financement deviendra un "comité
couteau" qui risque de court-circuiter l'évaluation
du rôle des certificats dans la scolarisation des adultes»,
craint M. Martin.
Un troisième joueur
Autre paradoxe: pendant que les deux groupes de travail se pencheront
sur des problématiques connexes, un troisième comité
ministériel est à l'oeuvre avec le mandat d'élaborer
une «politique de formation continue»! Il devra déposer
un projet de politique le 23 juin prochain, près de trois
mois après le rapport final du groupe d'études sur
le financement.
La formation de ce comité, résultant elle aussi
des recommandations des états généraux, est
passée pratiquement inaperçue et n'a pas été
mentionnée dans l'annonce de la création des deux
autres groupes (auxquels il faut en ajouter un quatrième,
qui se penche sur le remboursement de la dette étudiante...).
Au comité formé de spécialistes provenant
du ministère de l'Éducation (MEQ) se joint un comité-conseil
formé de 11 personnes extérieures au MEQ. Robert
Martin est membre de ce comité-conseil; inutile de souligner
qu'il voit une contradiction évidente, voire de l'improvisation,
dans tous ces mandats.
«Comment élaborer une politique de formation continue
sans les programmes de certificats, qui constituent tout un pan
de l'éducation au Québec?»
Les chiffres de la FEP
L'inquiétude
est la même du côté de la Faculté de
l'éducation permanente. «Il n'y a pas de fumée
sans feu et la menace sur les certificats est bien réelle»,
affirme le doyen Jacques Boucher. Administration et association
étudiante sont au diapason, à un tel point que la
FEP a elle-même joint les rangs de la coalition.
Selon le doyen Boucher, c'est l'Université de Montréal
dans son ensemble, et non seulement la FEP, qui souffrirait de
la fin du financement des programmes courts puisque 37 % des étudiants
de premier cycle sont dans de tels programmes. Dans l'ensemble
des universités québécoises, le taux atteint
62 %.
Jacques Boucher conteste par ailleurs l'énoncé du
mandat du Groupe de travail sur le financement laissant croire
que les programmes courts mènent peu à la diplomation.
Selon les chiffres avancés par l'ex-Conseil des universités
en 1992, le taux de diplomation serait de 21 % dans ces programmes.
Mais selon la FEP, ce chiffre refléterait un fort biais
statistique.
Les chiffres avancés par la Faculté font plutôt
état d'un taux de diplomation de 44 % pour la cohorte d'automne
1987 mesurée à l'hiver 1993. Ce taux est supérieur
au taux des programmes de majeur (40,2 %) et aux baccalauréats
non contingentés (39,8 %); il vient en troisième
place, derrière les doctorats (90,8 %) et les baccalauréats
contingentés (65,7 %).
Pour l'ensemble de l'Université de Montréal, le
taux de diplomation dans les programmes de certificats atteint
51 % au sein de la cohorte d'automne 1990 mesurée à
l'hiver 1996.
Dans le mémoire présenté au Groupe de travail
sur le financement, les responsables de la FEP mettent en échec
la logique de la piste suggérant de revoir les modalités
de financement des certificats: «Il ne viendrait à
l'idée de personne de supprimer le financement des baccalauréats
non contingentés [selon le taux de diplomation de ces programmes]»,
écrivent-ils.
Quant à la diplomation de grade, le Conseil des universités
l'estimait à 8 % en 1986, toujours dans les programmes
de certificats. La FEP soutient pour sa part avoir délivré
plus de 6000 baccalauréats (en date de 1992), ce qui constitue
un taux de près de 22 %.
Un choix de société
«Le financement des certificats n'est donc pas de l'argent
jeté à l'eau, déclare Jacques Boucher. Cesser
de financer ces programmes serait se tirer dans le pied; le geste
frapperait principalement les femmes - 80 % de la clientèle
de la FEP - et les francophones, qui ont encore un retard à
rattraper dans les études universitaires.
«De plus, poursuit-il, les certificats jouent un rôle
important dans le recyclage professionnel et la réorientation
de carrière, phénomène central aujourd'hui.
Il serait dramatique de dire "le train de la formation universitaire
part à l'âge de 18 ans; que ceux qui sont bloqués
recommencent à zéro".»
C'est pour éviter cette «erreur collective importante»
que la FEP s'est jointe à la coalition.
Daniel Baril