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Le référendum de Charlottetown
scruté à la loupe

Le «discours du Egg Roll» a eu une influence déterminante sur le vote du ROC.

Le référendum sur les accords de Charlottetown, en 1992, a-t-il été une gigantesque erreur? Les gens en connaissaient-ils le contenu? Le Canada anglais a-t-il voté contre les demandes du Québec? Les idées et la personnalité de Brian Mulroney et de Pierre Elliott Trudeau ont-elles influencé le résultat? Le rejet des accords signifie-t-il un rejet des leaders politiques et de leurs orientations économiques? L'opération était-elle une expression de la «démocratie directe» ou un vernis démocratique cachant un retour du bonapartisme?

Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses questions auxquelles quatre universitaires, parmi lesquels André Blais du Département de science politique, tentent de répondre dans l'ouvrage The Challenge of Direct Democracy, The 1992 Canadian Referendum.

«À tous les jours de la campagne référendaire, nous avons procédé à des sondages pour observer l'évolution quotidienne de l'opinion publique», raconte André Blais. En tout, 1000 répondants au Québec et 1500 au Canada anglais ont été joints à deux occasions, soit durant et après le référendum.

Les auteurs n'hésitent pas à qualifier leur travail d'«étude la plus complète jamais réalisée au Canada et dans le monde» sur les opinions, les intentions et les comportements des électeurs lors d'un référendum.

Oui mais...

L'une des principales conclusions confirme ce dont le diable se doutait: oui, le reste du Canada a rejeté les demandes du Québec. «Mais avec nuances», précisent les auteurs.

Ce rejet s'est manifesté de quatre façons: une majorité d'électeurs rejetait la notion de société distincte même si elle n'était plus exprimée dans les termes de Meech; une majorité écrasante rejetait l'idée de réserver 25 % des sièges de la Chambre des communes au Québec; la plupart des électeurs ne croyaient pas que le Québec se séparerait advenant une victoire du Non et que, de toute façon, il en demanderait toujours plus; les électeurs se sont fiés davantage à leurs impressions, positives ou négatives, à l'égard du Québec qu'au contenu de l'entente.

Nuances et autres motifs viennent tempérer ces causes du rejet. Si le «ROC» a rejeté chacun des éléments concernant le Québec, cela ne veut pas dire que toute proposition contenant un élément controversé aurait été rejetée. Par exemple, même si seulement 40 % de la population du Canada anglais acceptait la notion de société distincte, 45 % a tout de même voté Oui à Charlottetown.

Les auteurs sont même d'avis que l'accord du lac Meech aurait peut-être été accepté s'il avait été soumis à un référendum. «Charlottetown was simply too much», écrivent-ils.

«Il est donc faux de croire que toute réforme compliquée est vouée à l'échec si elle est soumise au vote», croit André Blais.

Egg rolls dans la sauce référendaire

Le Oui était d'ailleurs en avance au Canada anglais jusqu'au fameux «discours du Egg Roll» de Pierre Elliott Trudeau, où il déclarait que les accords de Charlottetown allaient «institutionnaliser les chicanes constitutionnelles» et créer diverses catégories de citoyens. «Au lendemain de ce discours, l'appui du Canada anglais a chuté de 20 points», signale le politologue. Puisque le Québécois Trudeau était contre, «son discours a amené les gens ouverts aux revendications du Québec à se dire que l'on peut aimer le Québec et voter Non.»

L'ex-premier ministre a ainsi réussi à dissocier de l'enjeu référendaire la sympathie - si faible soit-elle - à l'égard du Québec. Ou encore, comme le déclara Bob Rea, «à rendre le sentiment antifrançais respectable»!

Le jour du vote, le seul groupe hors Québec à avoir voté Oui de façon majoritaire, et encore par une faible majorité, est celui des gens fortement scolarisés. Leur vote ne semble pas avoir été motivé par une meilleure connaissance du contenu des accords mais plutôt par une plus grande ouverture au compromis.

Au-delà du sentiment à l'égard du Québec, deux autres éléments ont joué en défaveur de l'entente proposée. L'impopularité de Brian Mulroney a conduit un nombre important d'électeurs à projeter leurs frustrations sur l'ensemble de la coalition du Oui. La récession a fait de même puisque les chômeurs et les insatisfaits de la situation économique ont massivement voté contre.

Au Québec, le Québécois Trudeau n'a paradoxalement eu aucune influence sur les intentions de vote de ses concitoyens. «Au début de la campagne, le Oui était majoritaire, reprend André Blais. Il a chuté avant le discours de Trudeau, lorsque Jean Allaire a rompu avec le Parti libéral.»

Jean Allaire a entraîné avec lui 40 % du vote fédéraliste. Pour l'emporter au Québec, il aurait fallu que la presque totalité des fédéralistes - représentant 60 % des électeurs en 1992 - votent Oui. «Cela peut signifier que les fédéralistes québécois ne sont pas fédéralistes à n'importe quel prix», commente le professeur.

Question de feeling

Tant au Québec que dans le rest of Canada, les gens ont donc voté sur des impressions. «Pour le Canada anglais, l'enjeu était de savoir si l'on était prêt à faire des compromis à l'égard du Québec. Au Québec, les souverainistes voulaient autre chose et les fédéralistes avaient le sentiment que c'était insuffisant.»

Malgré cela, André Blais estime que toute réforme constitutionnelle importante, fût-elle complexe, devrait être soumise au peuple. «Même si les gens ont voté selon leur feeling, ils n'auraient pas, ou très peu, modifié leur choix s'ils avaient été mieux informés. On peut déplorer qu'ils n'aient pas été aussi informés qu'on l'aurait souhaité, mais il ne faut pas exagérer cette lacune dans l'issue du vote.»

Même si la classe politique a commis une erreur d'appréciation, Charlottetown a permis de prendre le pouls de l'opinion publique et en cela ce n'était pas, aux yeux du professeur, la «gigantesque erreur» que certains ont vue.

Bonne ou mauvaise chose selon le camp dans lequel on se range, «Charlottetown a également permis à Robert Bourassa d'éviter le référendum qu'il avait promis. Qu'aurait-il fait si Charlottetown n'avait pas eu lieu?» se demande André Blais.

Une question qui restera sans réponse.

Daniel Baril

Richard Johnston (UBC), André Blais (U de M), Élisabeth Gidengil (McGill), Neil Nevitte (Toronto), The Challenge of Direct Democracy, The 1992 Canadian Referendum, McGill-Queen's University Press, 1996, 338 pages.


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