[page U de M][Accueil Forum][En bref][Calendrier][Vient de paraitre][Etudiants][Opinions]


«Mes racines sont dans mes poches»

Neil Bissoondath, ou le culte de l'individualité.

L'auteur du Marché aux illusions n'en a pas seulement contre le multiculturalisme canadien. C'est en fait toute identité collective qu'il refuse.

Invité dans le cadre des grandes conférences des Belles Soirées, Neil Bissoondath livrait son état d'âme devant le dilemme de l'identité immigrante confrontée à l'intégration ou à l'assimilation. Ayant opté résolument pour la première option, la voie pour être considéré comme un Québécois à part entière lui paraît néanmoins semée d'embûches.

Aventure individuelle

Né à Trinidad d'une troisième génération d'immigrants indiens, Neil Bissoondath ne s'est jamais senti trinidadien. En 1977, il décide d'immigrer au Canada où il trouve, à Toronto, tout ce qu'il lui manquait à Trinidad. «Mais ce n'était pas le bonheur, dit-il, puisque j'ai aussi découvert la politique du multiculturalisme...»

Alors qu'il voulait apprendre le français à l'Université York, on lui offre un cadre d'études où il se retrouve avec une communauté d'Antillais afin de préserver sa culture. «Si c'était ce que j'avais voulu trouver, je serais demeuré à Trinidad. La politique du multiculturalisme est la plus grande barrière à l'intégration parce qu'elle crée des ghettos et impose des stéréotypes. Elle fait de nous des citoyens provisoires, comme Ben Johnson qui est redevenu un immigrant après sa déchéance.»

Le romancier opte donc pour le Québec, où il se heurte à une autre difficulté: le collectivisme qui prend aussi la forme du nationalisme. «Pour moi, l'individu a une importance primordiale et je suis soupçonneux face à toute idée collective, déclare-t-il. L'aventure immigrante est avant tout une aventure individuelle et la solidarité va à l'encontre de cette aventure.»

«J'ai déjà écrit que je porte mes racines dans mes poches, poursuit-il. Ceci reflète à la fois ma liberté et les liens avec mon histoire.» La formule littéraire fait rêver et révèle un être épris de liberté, citoyen du monde. Mais elle sonne aussi comme un refus de s'engager là où l'on vit, a fait remarquer une intervenante.

Quant à son aventure individuelle, elle est sûrement fort différente de celle nécessairement plus collective des familles de la génération de son arrière-grand-père ou de celle des immigrants irlandais au Québec.

Nationalisme québécois

Pour Neil Bissoondath, il est impossible de décrire une identité collective autrement que par des stéréotypes qui eux sont la base du racisme. «C'est une façon de diviser le monde entre "nous" et "les autres".»

Même s'il soutient la défense de la langue française au Québec et la loi 101, il rejette toute idée d'identité collective québécoise. Le conférencier ne voit pas dans ces mesures de protection de la langue un produit de revendication nationaliste mais la défense de droits individuels. «C'est le besoin primordial et le droit des individus de parler leur langue qui justifient la nécessité de protéger le français.»

Vouloir protéger la culture comme un élément nécessaire à une collectivité lui apparaît «une masturbation intellectuelle».

Neil Bissoondath dit comprendre le sens d'appartenance des Québécois mais ne pas saisir que l'on s'identifie à la seule histoire. «Le nationalisme a besoin de gens vaincus alors que les francophones ont plutôt survécu à la conquête. Le nationalisme préfère les mythes et ressemble à la religion; associé à la politique, il sert les intérêts d'une classe et non ceux de l'individu.»

La position de l'Union des artistes sur l'affichage bilingue et les propos de Jacques Godbout dans le Destin de l'Amérique lui paraissent plus mûrs que ceux d'un Pierre Falardeau qui présente les Québécois comme un peuple conquis et écrasé.

Comme le multiculturalisme, le nationalisme réduit l'immigrant à n'être qu'un citoyen provisoire parce qu'il ne le considère pas comme un «vrai Québécois». Neil Bissoondath en veut pour preuve les propos d'une Québécoise - qu'il considère néanmoins comme une amie - qui lui suggérait de s'abstenir de voter au référendum puisqu'il s'agissait de l'avenir des Québécois.

«Laisser seulement les "vrais Québécois" voter est une idée dégueulasse, laisse-t-il tomber. Le nationalisme ethnique divise la population comme le fait le multiculturalisme.»

Malgré tout, Neil Bissoondath se plaît au Québec. «Je suis là et j'ai l'intention d'y rester. Je vis ici parce que le Québec me plaît, mais je vais tout remettre en question parce que ça fait partie de mon appartenance.»

Lorsqu'on lui demande plus précisément ce qui lui plaît ici, il concède que ce sont les valeurs ambiantes de démocratie, de tolérance et de liberté, bref des éléments caractéristiques d'une collectivité! Mais l'auteur ne l'entend pas ainsi. «Ce sont des éléments humains que l'on pourrait retrouver ailleurs.» Ces éléments humains ne constituent pas pour lui une collectivité.

Le débat avec l'auditoire a connu un moment de tension lorsque quelqu'un se définissant comme un «pure laine» a accusé le conférencier d'avoir insulté tous les Québécois dans la salle. «Votre fair-play très british montre que vous n'avez rien compris.» Accusation aussitôt retournée contre lui par une citoyenne d'origine allemande qui n'a pas hésité à faire des parallèles entre la notion de pure laine et l'idéologie nazie.

Il importe de dire que le ton employé par le conférencier était franc mais nullement provocateur; les propos venaient du coeur et de la raison mais ne constituaient pas un refus du dialogue.

En définitive, le véritable dilemme auquel est confronté Neil Bissoondath n'est pas tant de choisir entre l'intégration ou l'assimilation mais de décider de faire partie d'une collectivité ou de conserver ses racines dans sa poche. Mais tant qu'il y aura des gens comme lui pour brasser la cage, on pourra dire que la démocratie se porte bien.

Daniel Baril


[page U de M][Accueil Forum][En bref][Calendrier][Vient de paraitre][Etudiants][Opinions]