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Tintin au pays des zinzins

Face à sa dette, le Canada est l'otage des investisseurs étrangers.

Dans le cadre de la Semaine HEC, l'École des Hautes Études Commerciales recevait, le 10 octobre dernier, le chroniqueur financier de La Presse, Miville Tremblay.

Se présentant lui-même comme un «Tintin au pays des zinzins», le journaliste a rappelé les observations qu'il rapportait de sa tournée auprès de 175 investisseurs industriels - «des zinzins, comme on les appelle en France» - à l'égard du marché canadien. Cette tournée, effectuée l'année dernière dans tout le Canada, aux États-Unis, en Europe et au Japon, a donné la substance à son récent volume Le pays en otage, Le financement de la dette publique.

Dette et incertitude

Première constatation, le Canada conserve une excellente réputation auprès des investisseurs même s'ils se préoccupent de la dette et de l'incertitude politique. «Personne n'a comparé le Canada à la Nouvelle-Zélande ou le Québec au Bangladesh, a-t-il déclaré. Seuls les Canadiens ont fait de telles comparaisons. Les étrangers comparent le Canada à l'Italie, à la Suède et à la Belgique, des pays industrialisés eux aussi lourdement endettés. Ils comparent le Québec à l'Ontario et à la Colombie-Britannique.»

Il a aussi constaté que les Européens et les Japonais n'achètent pas le dollar canadien mais le «bloc dollar» constitué des monnaies américaine, canadienne et australienne. «Du gros montant qu'ils placent dans le bloc dollar, ils vont en réserver une petite partie pour les obligations du Canada ou de l'Australie. S'ils ont une opinion négative du dollar américain, il y a moins de chances qu'ils veuillent acheter des obligations canadiennes. S'ils considèrent que le marché canadien est plus risqué que le marché américain, ils exigeront un rendement nettement plus élevé ou achèteront des obligations libellées en yens ou en devises européennes fortes.»

Quant à l'incertitude politique, chacun l'analyse selon son expérience et son histoire nationale. Les Européens, qui en ont vu d'autres, savent relativiser les choses; les Japonais, peuple homogène, ne comprennent pas qu'une «ethnie» veuille se séparer d'un pays comme le Canada; les Américains, moins férus d'idéologie, sont néanmoins pragmatiques et plus calmes que les Canadiens. «Il m'a semblé évident, ajoute le globe-trotter, que très peu de ces investisseurs choisiraient de détenir des obligations d'un des gouvernements du Canada durant la période de transition vers l'indépendance du Québec.»

Rien ne les oblige d'ailleurs à acheter les obligations canadiennes, qui ne constituent que 3 % du marché obligataire mondial. L'investisseur étranger ne placera donc ici que de 3 % à 10 % de son portefeuille. «Entre 3 % et rien du tout, il n'y a pas une grosse marge», souligne Miville Tremblay. Comme à son avis il n'y a pas assez d'épargne au pays pour rapatrier la dette, notre dépendance à l'égard des capitaux étrangers fait que «le pays est en otage».

Bonnes nouvelles

Le chroniqueur financier estime pas ailleurs que la perception du Canada à l'étranger s'est grandement améliorée depuis quelque temps. «Les investisseurs étrangers sont actuellement en amour avec le dollar canadien à cause du nouveau surplus au compte courant, de la réduction des déficits, de l'éloignement pour quelques années de l'incertitude politique et des taux d'intérêt bas.» Le pays n'en demeure pas moins en otage puisqu'il n'a pratiquement aucune marge de manoeuvre dans l'orientation de ses politiques.

La décision du ministre Paul Martin de ne pas utiliser l'avance de quatre milliards de dollars dans la lutte contre le déficit pour diminuer les impôts constitue une autre bonne nouvelle. «Tant qu'il y a un déficit, baisser les impôts, c'est se payer un cadeau à crédit», dit-il.

Au Québec, l'entente convenue au sommet de février dernier entre le gouvernement et ses partenaires sociaux et financiers pour ramener le déficit à zéro en quatre ans et rembourser une bonne partie de la dette en 20 ans est elle aussi porteuse de bonnes nouvelles. «La crédibilité du plan est plus importante pour les marchés financiers que la réduction du déficit en trois ou quatre ans», estime Miville Tremblay. L'adoption d'une politique antidéficit ne modifierait pas nécessairement leur perception mais aiderait le gouvernement à résister aux pressions populaires qui ne manqueront pas de se manifester.

Le meilleur moyen de réduire la dette demeure, toujours selon le conférencier, l'augmentation du PIB par la croissance de l'emploi. Il ne lui apparaît par ailleurs pas nécessaire de réduire la dette à zéro. Un déficit de l'ordre de 3 % du PIB et une dette ne dépassant pas 60 % du PIB lui paraissent raisonnables. Ce sont les proportions visées par les signataires des accords de Maastricht, mais seul le Luxembourg les aurait atteintes. Au Canada, le rapport dette-PIB est actuellement de 100 %.

Répondant à une intervention de la salle, Miville Tremblay a en outre soutenu qu'il n'était pas possible, pour un pays comme le Canada, de ne pas rembourser sa dette. «Nous n'avons pas le choix. Il n'y a que dans quelques cas extrêmes que les financiers ont accepté de rééchelonner le remboursement.»

À sa connaissance, il n'y a qu'au Rwanda où l'on a été obligé de pratiquement effacer la dette, population et institutions ayant été rayées de la carte. Pour le Brésil, le Mexique et l'ex-URSS, des plans de remboursement ont été renégociés et acceptés. Au Pérou, les créanciers étant surtout des banques, il a été possible de les rassembler et de leur faire comprendre qu'il valait mieux s'entendre.

«Mais ces situations n'ont rien de comparable avec celle du Canada et nos créanciers ne sont pas des banques mais des investisseurs industriels.»

Il faudra donc payer et se conformer à la volonté des zinzins.

Daniel Baril


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