Dans les sols boréaux, les plantes sont nourries
au ralenti.
La vitesse des réactions
chimiques ou altération des minéraux, qui favorisent
la mobilité du calcium, du magnésium et du potassium
- ces nutriments dont les plantes se nourrissent -, est ralentie
de deux à trois fois dans les sols des forêts laurentiennes.
Ce phénomène est imputable au fait que les minéraux
sont enrobés d'autres particules d'oxyde de fer et d'aluminium,
ont conclu le professeur François Courchesne, du Département
de géographie, et deux de ses étudiants, Marie-Claude
Turmel et Paul Beauchemin. Leur étude a été
récemment publiée dans la revue spécialisée
Soil Science Society of America Journal.
«L'analogie que j'aime employer pour expliquer ce phénomène
est celle du caramel dans la Caramilk, explique le professeur
Courchesne, rencontré au Laboratoire de science des sols.
Disons que les plantes se nourrissent des nutriments contenus
dans les minéraux, représentés par le caramel.
Pour qu'elles puissent les atteindre, il faut qu'ils soient libérés
de leur enrobage d'oxyde de fer et d'aluminium, représenté
par le chocolat dans cette friandise.»
Transposons cet exemple aux sols des forêts laurentiennes,
aussi appelés «podzols», qui couvrent la majorité
du territoire du bouclier canadien au Québec. La composition
chimique des roches et des dépôts meubles est riche
en nutriments, mais ces minéraux sont recouverts de particules
d'oxyde de fer et d'aluminium, présents en grande quantité.
De prime abord, cette constatation a l'air bien anodine mais,
en fait, elle apporte un élément nouveau qui devra
être pris en considération dans l'élaboration
de modèles servant à la compréhension de
ces échanges. «Cela nous aide à mieux comprendre
la nutrition et le comportement de la forêt, à prévoir
son développement futur et à intervenir au besoin»,
ajoute le professeur.
«L'altération des particules a été
traditionnellement étudiée en laboratoire en mettant
des minéraux en contact avec des solutions qui recréent
l'eau présente dans le sol des forêts et en calculant
la vitesse à laquelle ce minéral se dissout. Cette
reconstitution avait des limites, poursuit François Courchesne.
Ce que nous avons mis en lumière, c'est cette caractéristique
évidente des podzols mais dont on n'a jamais tenu compte
dans les études: la présence des enrobements.»
Donnée plus qu'importante, car le déplacement de
fer et d'aluminium et leur dépôt sur les grains de
minéraux «sont l'essence de la podzolisation»,
rappelle le professeur.
Il existait déjà des hypothèses sur la présence
des enrobements et leurs effets sur l'altération des minéraux,
mais jamais personne n'avait tenté d'expériences
concrètes en tenant compte de cet élément.
Comprendre les mécanismes
Mieux comprendre le phénomène de ces échanges
microscopiques entre les minéraux du sol et les plantes
est une chose. Mais il reste à déterminer par quels
mécanismes ils sont régis, un travail de longue
haleine.
François Courchesne s'y intéresse. Une des hypothèses
envisagées est que les minuscules racines des arbres auraient
un rôle non négligeable à jouer.
«Chaque fois qu'une plante puise des nutriments dans le
sol à l'aide de ses radicelles, elle libère des
acides. Et elle en produit également lorsqu'elle se décompose.
Résultat, l'environnement immédiat de ces racines
est extrêmement acide, donc corrosif, ce qui accélérerait
la décomposition des minéraux», explique-t-il.
André Duchesne