Les médias ont
déjà relayé, vers tous les segments de notre
société et vers l'étranger, les témoignages
de sympathie et d'estime de nos dirigeants et de la population
envers Robert Bourassa. Aussi cet hommage renvoie à M.
Bourassa l'universitaire et, plus particulièrement, l'européaniste,
qui a consacré une importante partie de son action intellectuelle
à la promotion de la connaissance au pays du processus
d'intégration européenne.
J'ai connu M. Bourassa et collaboré avec lui à son
retour d'un séjour en Europe, à la suite de son
départ de la vie publique, dans la foulée des élections
de 1976. Il rentrait alors d'un séjour d'enseignement (à
l'Institut d'études européennes de l'Université
libre de Bruxelles, ma propre alma mater), de recherche et de
réflexion en Belgique. C'est ainsi qu'il se déclarait
disponible pour participer aux activités du Centre d'études
et de documentation européennes de notre université,
que je dirigeais. Son enthousiasme, sa volonté d'aider
dans l'organisation et l'exécution de nos projets d'activités
extérieures (colloques, rencontres de décideurs),
sa compréhension du fait européen ont fait de lui
un collaborateur précieux. Robert Bourassa a même
été, ce que beaucoup ignorent, le coauteur d'un
ouvrage que nous avons publié en 1979: L'élection
du Parlement européen au suffrage universel direct. Dans
son chapitre, il a notamment exposé sa thèse de
proportionnalité entre le degré d'intégration
économique et le degré, souhaitable, d'intégration
institutionnelle.
Constatant alors, grâce à ces contacts de terrain,
la grande dispersion et le nombre limité des européanistes
au Canada, il a vite épousé l'idée de créer
un conseil canadien des affaires européennes, regroupant
les secteurs universitaire, gouvernemental (fédéral
et provincial) et privé; il a été membre
actif de son conseil d'administration et, par la suite, membre
honoraire.
Son retour en politique, dans les années 1980, ne l'a pas
empêché de continuer à s'intéresser
à ses amis européanistes. Il a continué à
les contacter et à les écouter dans le cadre de
ses interrogations sur l'évolution de l'Europe et aussi
dans celui de l'orientation de nos politiques à l'égard
des communautés européennes.
Cette expérience féconde d'interaction avec nos
universitaires sur l'Europe l'a conduit, lors de son départ
de la vie politique, dans les années 1990, à choisir,
comme cadre d'activité, notre université, qui l'a
accueilli comme professeur associé à la Faculté
de droit et comme premier membre associé de la chaire Jean-Monnet.
À cet égard, il importe de souligner que Robert
Bourassa, alors qu'il aurait pu accepter des invitations à
siéger au sein de divers organismes économiques
et établissements du secteur privé, a préféré
se joindre à l'Université de Montréal pour
lui apporter son expérience et sa connaissance du politique,
son réseau international de contacts et sa foi en l'intégration
européenne. Il a même donné la «primeur»
de ses souvenirs de plusieurs décennies de vie politique
à ses collègues et étudiants, en se prêtant
à une série de causeries organisées par le
Département de science politique, sous les auspices de
la Faculté des études supérieures, ayant
fait l'objet d'un ouvrage: Gouverner le Québec (Montréal,
Fides, 1995).
Son association à la chaire Jean-Monnet lui a permis de
participer à nos enseignements sur l'intégration
européenne, par des conférences-séminaires,
ainsi qu'à nos colloques et autres activités publiques,
d'aiguillonner la réflexion de nos chercheurs et de contribuer
à l'enrichissement de nos pistes de contacts et de réflexion.
Il nous a donné ainsi un souffle fort et plein d'enthousiasme.
Sa contribution à la Faculté de droit lui a permis,
entre autres, de donner des conférences, de nouer un dialogue
soutenu avec ses collègues et de faire bénéficier
l'institution de son orientation en tant que membre du Conseil
consultatif de la Faculté de droit.
Quant à ceux qui, à la chaire Jean-Monnet, le côtoyaient
quotidiennement, ils resteront marqués par son grand humour,
son immense gentillesse, sa remarquable disponibilité.
Plein d'idées et d'enthousiasme pour la mission de la chaire,
il nous en alimentait sans cesse et se mettait à la disposition
de nos projets.
C'est avec ce souvenir vif et privilégié et avec
la mélancolie des choses qui se terminent en cet automne
1996 que le titulaire de la chaire Jean-Monnet et son équipe
adressent cet hommage posthume à celui qui, comme le soulignait
son livre Gouverner le Québec, s'est orienté vers
la chaire Jean-Monnet «parce que c'était de loin
mon premier choix, sur le plan des activités professionnelles».
Panayotis Soldatos
Titulaire de la chaire Jean-Monnet