Ainsi, on loge les artistes tout en revitalisant les quartiers
industriels.
L'atelier-logement est
à l'artiste ce que le bureau-résidence est au travailleur
autonome: un antre, un quartier général, un lieu
pivot où création et vie quotidienne se côtoient,
se fondent. La Ville de Montréal devrait favoriser ce type
d'aménagement urbain.
C'est ce que croit Marie Lessard, professeure à l'Institut
d'urbanisme , qui participait la semaine dernière au colloque
«Les nouveaux lieux culturels» tenu dans le cadre
des Neuvièmes Entretiens du centre Jacques Cartier.
«La notion d'atelier-logement est une option à encourager,
en particulier à cause de ses avantages financiers mais
également parce que, tout comme le bureau-résidence,
l'atelier-logement répond à un mode de vie de plus
en plus courant», précise-t-elle.
Une telle politique consoliderait la conversion d'immeubles industriels
désaffectés en ateliers d'artistes et donnerait
à ces nouveaux usages un caractère de permanence,
ce qui n'est pas toujours le cas actuellement.
La conversion des immeubles industriels en lieux de création
artistique, en locaux à usage d'habitation, commercial
et autres est un phénomène qui se manifeste depuis
une vingtaine d'années dans les zones centrales de plusieurs
grandes villes, dont Montréal. C'est une façon concrète
de mettre un frein à la dégradation des quartiers
industriels et de les revitaliser.
Mais lorsque ces secteurs se trouvent à proximité
de pôles culturels, récréo-touristiques ou
historiques, leur revitalisation peut avoir un effet pernicieux.
Ce nouvel essor engendrera tôt ou tard une hausse des loyers.
Les artistes, à l'origine de cette revitalisation, en deviennent
paradoxalement les premières victimes. Incapables de payer
ces augmentations de loyer, ils plient bagage et chevalet.
Mme Lessard a mené
une enquête auprès d'artistes et de propriétaires
d'immeubles abritant des ateliers afin de «déterminer
les conditions propices à l'implantation et à la
permanence de ces usages». Trois endroits ont été
visités dans autant de quartiers, soit le Quartier éphémère
dans le faubourg des Récollets, l'Atelier circulaire près
du marché Jean-Talon et le Complexe du canal bordant le
canal Lachine.
Elle a constaté que les quartiers plus marginaux comportent
plus d'atouts pour les artistes. «Ils permettent de limiter
les coûts de location et offrent de surcroît une plus
grande stabilité que les quartiers centraux et en voie
de changement comme le faubourg des Récollets», dit-elle.
Depuis quelques années, la Ville de Montréal a pris
des mesures, tel l'assouplissement des règlements d'urbanisme,
afin de rendre les usines désaffectées plus accessibles
aux créateurs. Cette flexibilité est cependant limitée
en ce qui a trait aux ateliers-logements.
Le cas de l'immeuble du Complexe du canal est un bon exemple.
Bien que 100 des 130 locataires d'emplacements soient des artistes,
l'aménagement d'un logement dans l'atelier est dérogatoire
parce que le plan d'urbanisme prévoit une occupation industrielle
lourde dans ce secteur et interdit toute forme d'habitation.
Certains artistes ont passé outre à la réglementation
et ont aménagé un logement. Ils sont pour le moment
tolérés.
Dans ce cas particulier, la problématique est entre autres
liée à l'existence dérogatoire d'un atelier
de peinture industriel à l'intérieur de l'immeuble
du Complexe du canal. La disparition de cet atelier rendrait sans
doute le bâtiment beaucoup plus sécuritaire. Mais
cela ne changerait rien à l'interdiction d'y aménager
un logement.
Mme Lessard estime donc qu'une analyse approfondie devrait être
menée afin de déterminer si l'usage d'un logement
est véritablement incompatible avec la vocation industrielle
d'un secteur.
André Duchesne
La concentration des activités culturelles risque
de faire des exclus.
La concentration des
activités culturelles a sans aucun doute favorisé
la revitalisation des centres-villes de plusieurs agglomérations
urbaines, mais risque de fermer la porte aux organismes marginaux
qui ne sont pas concernés par ces déplacements.
«L'ancrage de la filière culturelle en transit dans
le même lieu central» peut se traduire par «la
création d'un ghetto culturel et élitiste [...]
drainant toujours le même public», indiquait Réjane
Blary, professeure à l'Institut d'urbanisme, au colloque
sur les nouveaux lieux culturels des Neuvièmes Entretiens
du centre Jacques Cartier.
Par «filière culturelle en transit», elle définit
un groupe d'activités culturelles qui sortent de l'ombre
et migrent de la marginalité vers les institutions plus
classiques (ou formelles) telles que les grands musées,
les théâtres, les salles de concert et de cinéma.
Certes, ce déplacement a des effets heureux pour les activités
concernées. Elles se retrouvent dans des locaux plus spacieux,
la cohabitation interculturelle s'intensifie et la stabilité
spatiale est plus grande. Un exemple: presque vagabonde autrefois,
la danse se sédentarise.
À l'opposé, ce déplacement risque d'isoler
les activités concentrées dans le centre-ville par
rapport à toutes celles demeurant en périphérie.
«Une telle situation risque de nuire aux potentiels d'autres
univers culturels des quartiers urbains [...] et aux possibilités
d'intégration culturelle des quartiers qualifiés
de façon superficielle et folklorique de quartiers ethniques»,
ajoute Mme Blary.
La présence de ces quartiers est pourtant essentielle à
l'émergence et à la mise en valeur de différentes
cultures et à leur interpénétration.
Cette polarisation des activités a également des
conséquences insoupçonnées sur le plan de
l'urbanisme. À Montréal, une étude de Mme
Blary portant sur le déplacement de 15 organismes vers
le centre-ville montre que la relocalisation de la plupart d'entre
eux dans de nouveaux locaux a nécessité une dérogation
aux règlements d'urbanisme en vigueur.
Ces dérogations «posent le problème de la
planification». Elles se bornent à des questions
de dimension et de volume, en évacuant tout l'aspect de
la synergie entre différentes formes d'activités,
si essentielle pour le dynamisme urbain.
Par ailleurs, la relocalisation des filières culturelles
en transit vers les centres favorise leur reconnaissance et, par
un effet d'entraînement, leur financement. En bout de ligne,
cela se traduit par une extension des activités; l'augmentation
du chiffre d'affaires peut même atteindre 60 %, analyse
la professeure.
Derrière cette réaction en chaîne bénéfique
se cache une autre réalité: l'institutionnalisation
des activités.
Les organismes prêteurs, qui financent ces déplacements,
souhaitent sécuriser leurs investissements, ce qui peut
conduire à un contrôle serré de la stabilité
spatiale, endiguant du même coup l'accessibilité
aux emplacements demeurés libres. Aussi bien dire que les
filières culturelles en transit s'embourgeoisent.
Un élément de solution passe par le financement
de lieux éphémères, qui nécessite
un engagement budgétaire minimal, pour des organismes de
la filière traditionnelle ou même en transit.
Ce concept est plus connu en Europe qu'en Amérique, rappelle
Mme Blary. De plus, le financement de ces endroits vient de sources
publiques et privées. «Au Québec, le mécénat
privé semble particulièrement somnolent pour ce
genre d'aide», dit-elle.
En conclusion, le financement de la transition d'organismes culturels
vers le centre-ville est une bonne chose, mais il ne doit pas
être réalisé au détriment des sphères
d'activité les plus marginales, car «la culture souterraine
reste un des rares espaces d'ouverture et de liberté d'expression».
André Duchesne