Entretiens Jacques Cartier
L'hôpital de demain
Le malade ambulatoire
ne sera plus négligé
Mais il faut mettre un terme aux compressions budgétaires
pour
permettre aux hôpitaux d'effectuer le virage.
Dans l'hôpital
universitaire de demain, le malade ambulatoire ne sera plus considéré
comme un patient de second ordre.
Pour David Levine, directeur général de l'hôpital Notre-Dame
- devenu le pavillon B du nouveau Centre hospitalier de l'Université
de Montréal (CHUM) -, c'est là une caractéristique
importante découlant du virage ambulatoire.
«La médecine ambulatoire n'est pas nouvelle. Dès que
nous avons été en mesure de traiter les patients de façon
plus souple et plus légère, nous l'avons fait. Mais dans un
centre d'abord consacré aux services ambulatoires, le patient ne
sera pas laissé au second plan, au profit de la clientèle
interne», a-t-il indiqué au colloque «L'hôpital de
demain: quels sont ses rôles?» tenu dans le cadre des Neuvièmes
Entretiens du centre Jacques Cartier.
En raison des nouveaux besoins de la population, des technologies améliorées
en médecine, du rôle accru des gouvernements et de quelques
autres facteurs, l'hôpital était déjà en voie
de transformation. Le problème, c'est que tout se passe dans un contexte
de compressions des budgets.
Dans le nouveau CHUM, le centre ambulatoire sera situé à l'hôpital
Hôtel-Dieu (pavillon A), où l'on s'attend à recevoir
400 000 visites par année en clinique externe et 33 000 patients
ambulatoires au service d'urgence et à pratiquer un minimum de 19
000 chirurgies d'un jour.
Tout en maintenant la mission traditionnelle des hôpitaux (soins aux
malades, enseignement et recherche), l'hôpital universitaire de demain
devra remplir plusieurs mandats. Quels sont ces objectifs? David Levine
en définit six:
- Entretenir des liens étroits avec ses partenaires traditionnels,
soit les gouvernements, les universités et les autres établissements
du réseau de la santé. M. Levine donne comme exemple l'entente
que l'hôpital Notre-Dame vient de conclure avec quatre CLSC pour leur
acheter des services à domicile, une première.
- Être reconnu comme un leader dans sa communauté. En plus
de prodiguer des soins, l'hôpital universitaire devra influer sur
l'état de santé de la population et faire la promotion de
la santé. «Nous en faisons très peu actuellement»,
reconnaît M. Levine.
- Se donner avec ses partenaires des objectifs clairs et mobilisateurs
d'intégration.
- Se doter de structures souples, capables de s'adapter rapidement à
une situation ponctuelle. Le meilleur exemple est celui de la salle d'urgence,
qui déborde.
- Avoir un mécanisme d'autoévaluation continue à
tous les échelons. S'assurer, en utilisant tous les outils évaluatifs
disponibles, que les patients reçoivent les bons soins par les bons
médecins aux bons moments.
- Rechercher l'équilibre entre les ressources humaines requises.
Tout cela ne se fera pas en criant scalpel. Pour y arriver, plusieurs conditions
devront être remplies. Dans les hôpitaux, les responsables devront
avoir un leadership très fort. Les établissements devront
harmoniser leur culture en conservant les meilleurs éléments
de chacune. Et la population devra être mise dans le coup.
Les hôpitaux ne doivent pas être les seuls à faire leur
devoir, avertit David Levine. Une des conditions essentielles pour faire
de l'hôpital universitaire de demain une réalité est
de passer à travers la période de compressions. Or, «il
faut trouver du temps» pour réduire de nouveau les budgets de
façon significative, dit-il.
Selon lui, les établissements du réseau ont accompli des efforts
importants au cours des dernières années afin de répondre
aux exigences budgétaires imposées par le gouvernement. Ils
doivent maintenant souffler un peu, car ils ne pourront maintenir ce rythme.
André Duchesne
Gare aux coupures aveugles!
Il faut éviter de rationner les soins aux aînés.
Les services de santé ne sont pas plus
utilisés par les personnes âgées que par les adultes
d'âge moyen et il faut éviter le piège de les rationner
au sein de ce groupe, comme certains proposent de le faire.
François Béland, professeur au Département d'administration
de la santé de l'U de M, ne mâchait pas ses mots lorsqu'il
a fait cette démonstration à coups de graphiques et de statistiques
au colloque «L'hôpital de demain» présenté
dans le cadre des Neuvièmes Entretiens du centre Jacques Cartier.
«Les personnes âgées forment une population hétérogène.
L'erreur est de confondre tous les besoins de soins et de les mettre dans
un seul moule. Plutôt que de tout rationner, il faut bien concevoir
et gérer clairement», dit-il.
Pour lui, la thèse du rationnement tient d'ailleurs plus du débat
politique que de réelles statistiques. La concentration de la consommation
de soins chez les aînés est un mythe.
Par exemple, entre les périodes 1984-1985 et 1995-1996, le nombre
de jours passés dans les hôpitaux de longue durée au
Québec aurait chuté chez tous les groupes d'âge, incluant
les 50 ans et plus. Chez les gens de 85 ans et plus, ce taux aurait chuté
de 20 %.
Par contre, les taux de chirurgies d'un jour qui ne nécessitent pas
d'hospitalisation ont augmenté dans tous les groupes d'âge,
chez les hommes comme chez les femmes. Encore ici, la courbe chez les personnes
âgées suit l'évolution de celle des autres groupes d'âge.
Ceci dit, il y a eu une augmentation du coût des soins prodigués
aux personnes âgées ces dernières années. Mais,
dit François Béland, la hausse n'est pas tant attribuable
à l'accroissement de cette tranche de la population qu'à l'intensification
des soins aux gens en bonne santé et à l'hébergement
à long terme en établissement.
Dans certains domaines, les dépenses sont liées aux types
de pratiques, qui varient énormément d'un endroit à
l'autre. Pourquoi, par exemple, le nombre de jours d'hospitalisation de
courte durée était de 1500 par 1000 habitants en 1985-1986
en Colombie-Britannique alors qu'il oscillait entre 6500 et 7000 vers la
même période (1982) au Québec?
D'autres facteurs doivent être considérés comme le prolongement
de la vie et l'augmentation des dépenses liées au maintien
à domicile, qui ont presque triplé entre 1981 et 1994, bien
que celles-ci représentent moins de 1,5 % des coûts globaux.
Dans d'autres cas, on ne sait pas ce que l'avenir réserve. Ainsi,
on est en droit de se demander si les gens poursuivront leurs bonnes habitudes
d'exercices physiques et d'une saine alimentation en vieillissant, ce qui
a une incidence sur le type et sur la fréquence de soins donnés.
Tous ces facteurs amènent M. Béland à conclure que
l'on ne peut couper aveuglément dans les budgets de soins de santé
donnés aux personnes âgées. D'un individu à l'autre,
les besoins sont très différents; on ne doit pas unilatéralement
catégoriser les personnes âgées comme étant des
consommateurs effrénés de services.
C'est entre autres en obtenant des statistiques plus précises et
en les analysant que l'on pourra prendre des décisions éclairées
en ce qui concerne la gestion et l'octroi des services dans les prochaines
années.
«Ce dont il faut s'assurer, c'est qu'en vieillissant les gens bénéficient
des soins de santé nécessaires au moment où les besoins
seront là», conclut le professeur.
A.D.