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Entretiens Jacques Cartier


Les effets des campagnes électorales

Des politiciens malmenés
par les médias?

Oui! La publicité et les couvertures médiatiques influent
sur le choix des électeurs.


Lorsqu'en juin 1996 Kim Campbell prit la tête du Parti conservateur, alors au pouvoir avec 169 députés, plusieurs observateurs estimèrent qu'avec cette femme intelligente et séduisante comme chef le Parti était assuré de la victoire aux élections imminentes. Quatre mois plus tard, le Parti connut la pire défaite de toute l'histoire politique canadienne en ne réussissant à faire élire que deux députés.

Que s'est-il passé entre les deux événements? Doit-on y voir les effets de la campagne électorale? La ques-tion a fait l'objet d'un colloque de deux jours organisé par le Départe-ment de science politique dans le cadre des Neuvièmes Entretiens du centre Jacques Cartier. Des chercheurs du Québec, du Canada, de France, des États-Unis et d'Angleterre ont mis en commun leurs analyses pour tenter de discerner si, dans les campagnes électorales, les nouvelles télévisées, les sondages, les débats des chefs et la publicité ont une influence sur le choix des électeurs.

Les médias: coupables ou non coupables?

Les médias sont nécessairement au coeur d'une telle question et ils sont souvent montrés du doigt et accusés de biaiser les campagnes. «Oui, l'information télévisée influe sur les campagnes électorales», reconnaît Jacques Gerstlé, professeur au Centre de recherches et d'études politiques de l'Université de Paris IX. «L'information électorale est déséquilibrée dans la visibilité dont jouissent les candidats "présidentiables", les candidats des petits partis et les candidats intermédiaires. La couverture médiatique est elle aussi inégale selon la viabilité politique du candidat, son éligibilité et sa crédibilité sectorielle.»

Mais M. Gerstlé y voit là un effet de système plutôt qu'un manque d'objectivité des médias, ces éléments étant selon lui liés aux conditions objectives d'une campagne électorale. «Pas besoin de supposer une malveillance des journalistes, soutient-il. Se sont les logiques institutionnelles qui sont au coeur de l'inégalité des couvertures.»

Richard Nadeau, du Département de science politique, n'est pas prêt à blanchir les journalistes aussi rapidement. Il distingue chez eux deux types de comportements selon que l'on est en précampagne ou en campagne officielle. «En précampagne, observe-t-il, les journalistes font preuve de complaisance à l'endroit des candidats émergents. Le traitement est positif, intimiste et porte sur la personne plutôt que sur le politicien.»

Par contre, lorsque la véritable campagne débute, «le cadre change diamétralement; les journalistes se font chiens de garde et scrutent à la loupe les agissements de chaque candidat. Tout devient négatif et un tel contexte est défavorable aux candidats inexpérimentés.»

L'analyse de Richard Nadeau a notamment porté sur la campagne de Kim Campbell. «Durant la précampagne, le quart du contenu des nouvelles télévisées concernant la candidate portait sur les éléments de sa personnalité. Cet aspect est tombé à zéro pendant la campagne.»

Le professeur s'interroge sur ce comportement des journalistes: «Pourquoi jouent-ils ce jeu de l'illusion et de la désillusion? Veulent-ils corriger le mythe qu'ils ont contribué à créer?» À son avis, cette façon de faire conduit au cynisme des électeurs.

«Jusqu'ici, conclut-il, les recherches ont trop misé sur le transfert d'information par la télévision alors que son véritable impact est de créer des impressions générales dans la population.»

L'image avant tout

Les candidats eux-mêmes ne sont par ailleurs pas sans responsabilité dans l'image que les médias véhiculent d'eux. Denis Monière, également du Département de science politique, et Jean Guay, de l'Université de Sherbrooke, se sont aussi intéressés à la campagne de Kim Campbell et plus particulièrement au débat des chefs. Avant le débat, 32 % des téléspectateurs accordaient leur préférence à Kim Campbell en ce qui concernait la performance. Cet appui a chuté à 17 % après le débat.

Pire encore, 57 % de ceux qui avaient l'intention de voter pour les conservateurs sont devenus indécis ou ont changé leur intention de vote.

Pourtant, seulement 10 % de ceux qui se sont montrés déçus par Mme Campbell justifiaient leur réaction en fonction des idées qu'elle avait exprimées. Son comportement agressif, ses explications peu claires et son manque de maîtrise du français sont les principales causes évoquées de sa mauvaise performance. Medium is the message!

Les deux chercheurs se sont également penchés sur l'effet de la publicité partisane lors de la campagne référendaire de 1995. Il en ressort entre autres que la publicité négative, où l'on attaque un adversaire ou ses idées, est reçue de façon... plutôt négative.

Cette approche avait été surtout utilisée par le camp du non et a été désavouée, dans l'étude en question, même par les partisans de ce camp. «Les publicitaires auraient avantage à tester leurs messages avant de les lancer sur les ondes», concluent les chercheurs.

Aux États-Unis, la publicité négative est plus utilisée et mieux reçue qu'ici. «Cette publicité est efficace; elle crée une image négative du candidat visé et peut éroder ses appuis à l'intérieur même de son parti», a signalé Lynda Lee Kaid, du Département de communication de la University of Oklahoma.

La professeure a passé en revue une vingtaine d'études sur la publicité électorale télévisée et conclut que ces messages «influencent fortement les électeurs» sur les plans cognitif, affectif et comportemental.

La publicité américaine serait-elle plus efficace que les messages canadiens? On peut le penser en constatant que, lors de la dernière campagne référendaire, 73 % des répondants du sondage de Denis Monière ne savaient pas dans quel camp classer Lucienne Robillard, qui était pourtant ministre responsable du camp du non au fédéral et qui apparaissait dans des messages télévisés.

Daniel Baril


Les sondages influent sur le vote

À chaque campagne électorale ou référendaire, la question resurgit: les sondages influent-ils sur le choix des électeurs?

Oui, et de façon déterminante lorsque la course est très serrée, montre une étude présentée par André Blais, professeur au Département de science politique, au colloque sur les campagnes électorales.

Cette étude a porté sur les élections fédérales de 1988 et de 1993 ainsi que sur le référendum canadien de 1992 sur les accords de Charlottetown. Pour les deux élections fédérales, on a tenu compte de la lutte que se livraient trois partis pris deux par deux, ce qui fait que, avec la course du référendum, sept courses différentes ont été analysées. L'étude a pris en considération, pour chacune des courses, les attentes concernant l'issue du vote, les intentions de vote et le type d'influence, soit directe ou indirecte, exercée par les sondages.

Les auteurs en tirent quatre grandes conclusions. Dans les sept courses comparées, il ressort que les sondages ont influé sur les attentes des électeurs quant au résultat du scrutin. Dans quatre cas sur six, le cumul des sondages s'est avéré plus influent que le dernier sondage publié. Cet effet cumulatif était particulièrement significatif au Québec lors de la campagne référendaire fédérale.

En plus de modifier les attentes, les sondages ont influé sur le vote des électeurs dans les trois consultations. «Cette influence est loin d'être négligeable», écrivent les auteurs. En 1988, le Parti libéral a gagné de cinq à six points grâce à sa remontée dans les sondages. Au référendum de Charlottetown, le oui a perdu de six à neuf points au Canada anglais parce qu'il ne paraissait plus gagnant. Quant aux élections de 1993, le Reform Party a arraché de six à sept points au Parti conservateur à la suite de sa dégringolade dans les sondages.

Finalement, l'étude montre que l'influence des sondages entraîne un vote stratégique (effet direct) plutôt qu'un changement d'allégeance politique (effet indirect). C'est donc dire que les électeurs modifient leur intention de vote en fonction des résultats visés et non parce que le sondage modifie leur conviction. L'effet indirect, appelé aussi effet de contagion ou effet bandwagon, apparaît plutôt rare.

Outre André Blais ont également participé à cette étude Richard Nadeau et Martin Turcotte, tous deux du Département de science politique, Élisabeth Gidengil, de l'Université McGill, et Neil Nevitte, de l'Université de Toronto.

D.B.


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