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De Manosque à Mozart

La musique a tenu une place prépondérante dans l'oeuvre de Jean Giono.

La musique m'aide à composer; entendez bien que je n'écoute pas pour composer; mais l'architecture musicale inconsciemment me propose des architectures littéraires.»

Cette courte réflexion, découverte au hasard des recherches d'Andrée Lotey dans l'immense production littéraire de Jean Giono, l'a menée à la rédaction d'une thèse de doctorat en études françaises portant sur la musique dans l'oeuvre du célèbre écrivain de Manosque, en Provence.

Dans ses romans comme dans son journal, ses carnets et sa correspondance publiée l'an dernier, Giono parle de la musique. Il fait part de ses découvertes et s'en inspire. C'était un fou de Bach et surtout de Mozart, dont il connaissait bien les opéras. Il était membre du comité d'honneur d'un festival musical d'Aix-en-Provence.

Andrée Lotey a traqué la moindre référence à la musique dans l'oeuvre de Giono, de part et d'autre de l'Atlantique, entre deux charges de cours, la rédaction d'articles et l'enregistrement d'émissions dans la foulée du film Le hussard sur le toit. Elle a même dépouillé la discothèque de l'écrivain, qui contiendrait 600 titres. C'est en mai qu'elle a soutenu sa thèse, alors qu'elle était enceinte de huit mois.

«La musique est extrêmement importante dans l'oeuvre de Giono, dit-elle d'un ton passionné. Elle a nourri son inspiration. Dans certains écrits, elle en est devenue un élément structurant.»

C'est le cas, a-t-elle constaté, dans Un de Baumugnes, roman publié en 1929 dans lequel un des personnages principaux, Albin, vient d'un village où les gens ont la langue coupée.

Baumugnes, c'est la montagne des Muets, un lieu honni dont les habitants ont eu la langue coupée parce qu'ils ne croyaient pas à la religion. Pour se parler, ils jouent de l'harmonica. Écoutons Giono à propos de cet instrument devenu si précieux:

«Il tenait dans l'allongement de ses doigts une chose qui était un peu pareille à une règle de fer courte et épaisse. À mieux regarder, c'était percé de trous comme un nid de guêpes, et, sur le bord de ces trous, c'était plus luisant que de l'argent.»

Comment ne pas croire Mme Lotey lorsqu'elle parle d'une poétique de la musique dans le travail de Giono?

«Voilà un texte capital. L'harmonica d'Albin prend le relais là où la parole atteint ses limites, conférant à la musique les pleins pouvoirs du langage», dit-elle. Sa thèse comprend une analyse d'une centaine de pages, uniquement sur la présence de la musique dans cette histoire, qui en fait... 120!

Jean le Bleu est un autre récit d'importance, analysé par Mme Lotey. Ici, le héros s'invente des souvenirs musicaux pour jalonner des passages de sa jeunesse.

«Les premières esquisses des moments musicaux sont tracées dans Jean le Bleu, récit aux confins de l'autobiographie et du roman par le goût manifeste pour "la grande musique" de Monsieur Bach et de Monsieur Mozart», écrit Mme Lotey dans un article paru dans la revue Le cheval de Troie, publiée en France.

Selon elle, Jean Giono n'écoutait pas nécessairement de la musique en travaillant. Ça se passait plutôt le soir, en famille. Dans ses goûts comme dans ses romans, la musique est universelle, à l'image de son oeuvre. Giono n'aimait pas être taxé d'écrivain régionaliste.

Pierre Citron, ami et biographe de l'écrivain, est venu de Paris siéger comme examinateur extérieur au jury de soutenance. Il a été impressionné par ce travail et a estimé qu'il méritait publication.

Observation qui ne peut évidemment que réjouir Mme Lotey. Pour elle, sa thèse ouvre un nouveau champ d'exploration sur Giono. Une analyse comme celle du roman Un de Baumugnes pourrait être reprise avec 10 autres ouvrages écrits par ce célèbre auteur.

Il y a là du boulot pour remplir une vie!

André Duchesne


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