Tel est le message que livrait le recteur René Simard
dans son allocution annuelle devant l'Assemblée universitaire
et que Forum publie ici intégralement.
Ceux et celles parmi
nous qui ont fréquenté l'école traditionnelle
du Québec se souviendront de l'objectif que nos professeurs
nous proposaient de nous fixer: celui de laisser le monde dans
un état meilleur que celui où nous l'avions trouvé.
C'est là un objectif élevé, que tout citoyen
responsable devrait se donner pour guider son action à
long terme dans la vie. C'est, même inconsciemment, celui
qu'un chercheur vise en poursuivant tel projet de recherche sur
la connaissance d'un phénomène physiologique; c'est
le but que poursuit l'intervenant engagé dans la lutte
contre la pauvreté ou contre la violence et encore celui
du défenseur de causes peu populaires
C'est l'objectif que se fixe tout recteur en début de mandat,
voulant contribuer, comme ses prédécesseurs, à
l'édification d'une institution en laquelle il croit et
dont la qualité lui tient à coeur. Il se donne ainsi
une mission analogue à celle que je viens d'évoquer:
il laissera cette université dans un état meilleur
que celui où il l'a prise! Ce recteur sait qu'un tel accomplissement
ne peut être le résultat que d'une action collective
et qu'il devra compter sur la contribution de chacun et chacune
pour y arriver. En ce début d'année universitaire,
à un peu plus de la moitié de mon mandat, je veux
réfléchir avec vous au jugement provisoire que je
suis amené à porter sur l'état de l'Université
de Montréal dans les temps budgétairement troublés
que nous traversons et voir comment se dessine son avenir.
Comme les membres de cette assemblée et comme ceux du Conseil
de l'Université, j'ai de toute évidence des motifs
d'inquiétude, mais je veux aujourd'hui vous faire partager
les raisons que j'ai de croire que l'Université de Montréal
assume lucidement son obligation de transformation dans un contexte
où elle n'a pas d'autre choix. Darwin, traitant de l'origine
des espèces, parlait de la survie du plus apte. J'ai la
conviction que l'Université de Montréal possède
la capacité d'adaptation dont parlait Darwin et je l'illustrerai
par des exemples récents qui, jour après jour, continuent
de me conforter quant à la capacité de l'Université
de Montréal de poursuivre sa mission de grande université
francophone de recherche en Amérique du Nord. Toute réflexion
stratégique doit s'appuyer sur un examen critique de la
situation, dénué de toute complaisance. C'est d'ailleurs
la règle d'or de toute démarche scientifique, le
premier réflexe que nous voulons inculquer à nos
étudiants. C'est pourquoi je rappellerai d'abord nos motifs
de préoccupation.
1. Motifs de préoccupation
Personne ne sera surpris de mon inquiétude. Il suffit de
participer aux discussions que nous menons actuellement sur les
propositions issues des travaux du Groupe de réflexion
sur les priorités institutionnelles (GRÉPI) pour
savoir que cette inquiétude est largement répandue
dans la communauté: un déficit croissant dû
en grande partie à des compressions dont le niveau et le
rythme sont excessifs et quant auxquelles le gouvernement nous
laisse peu d'espoir de répit pour le moment; s'ensuivent
des effets qui pourraient être source d'angoisse, voire
de doute, quant à la survie même de certaines caractéristiques
de l'institution. Ainsi, on ne pourrait décemment affirmer
que la réduction récente du personnel de soutien,
professionnel et cadre n'aura pas d'effets sur la nature et sur
l'ampleur de la tâche qui nous échoit dans la vie
de tous les jours. Il en est de même de la diminution conséquente
des services que nous devons assurer aux activités essentielles
des professeurs et des étudiants. Nous ne sommes pas non
plus encore arrivés à convenir d'une révision
à la baisse de nos obligations liées aux masses
salariales et aux avantages sociaux, pour lesquelles le Conseil
a fixé une obligation de résultat de 6,2 M$, et
qu'il faudra pourtant arrimer à nos revenus. Depuis cet
été, nous considérons comme nécessaire
une nouvelle réduction du personnel enseignant, qui aura
atteint 19 % en quatre ans. Et pour faire bonne mesure, les fonds
de recherche mis à la disposition des chercheurs par les
organismes subventionnaires fédéraux diminueront
de façon importante au cours des prochaines années.
Un déficit substantiel donc, que nous ne pourrons rembourser
sans modifier en profondeur nos façons de faire. Pour freiner
la croissance de ce déficit, nous devons entreprendre des
actions de réduction significative de nos dépenses:
pour y parvenir au rythme qu'impose la diminution de nos revenus,
il a fallu mettre en place le programme de départ volontaire
destiné au personnel et prévoir un programme semblable
pour les professeurs. Chacune de ces deux mesures emporte des
dépenses extraordinaires qui ne peuvent émarger,
et pour cause, à notre budget de fonctionnement. Il faut
donc, encore une fois, financer ces dépenses à plus
long terme. Il en résulte que le déficit inscrit
à nos états financiers pourrait atteindre près
de 70 M$ dès l'exercice 1998-1999. À compter de
l'année qui suivra, nous devrons dégager de nos
opérations courantes l'argent requis pour procéder
au remboursement de cette dette. Puisque le coût de financement
doit être assumé par notre budget régulier,
vous comprendrez combien il est important que nous maîtrisions
pleinement nos dépenses et que nous parvenions à
dégager les surplus requis pour effacer ce lourd déficit.
Si je souligne ces chiffres, ce n'est pas pour vous effrayer -
encore que je comprendrais que vous le soyez! -, mais parce qu'il
est essentiel que la communauté soit correctement informée
de la situation financière de l'Université.
Ce tableau peut paraître terriblement sombre. Et il faut
avouer que la situation n'est pas réjouissante. Comment,
alors, un chef d'institution peut-il avoir la témérité
de prétendre, après le portrait que je viens de
tracer, que l'on doive entrevoir la situation de l'Université
de Montréal avec confiance, malgré tout.
2. Motifs de confiance
Tout d'abord, je vous confierai qu'en lisant Forum tous les lundis
matin et en prenant connaissance, tout au long de l'année,
des divers rapports d'activité et des publications que
je reçois, je constate la vitalité de notre communauté.
J'y vois, malgré les compressions, des professeurs qui
obtiennent des prix convoités devant des jurys hautement
sélectifs ou qui se joignent à des collègues
d'autres universités pour l'organisation de colloques sur
diverses questions d'intérêt pour la science et la
société, j'y vois des diplômés qui
nous font honneur à l'étranger par l'obtention de
distinctions et des employés soucieux d'améliorer
le service qu'ils fournissent aux usagers, bref, une vie universitaire
de grande qualité qui se déroule avec sa part de
succès et sa part de difficultés, comme la vie de
tous les jours en comporte pour nous tous.
Mais dans ma vie de recteur de cette université, je participe
aussi occasionnellement à la célébration
de réalisations collectives exceptionnelles, comme l'annonce
récente de l'avènement du Centre hospitalier de
l'Université de Montréal (CHUM). Cette réalisation
devrait d'ailleurs nous inspirer tous dans les transformations
que nous nous apprêtons à vivre.
La fierté qui se lisait sur les visages des partenaires
présents à la conférence de presse du 24
septembre était à l'échelle des difficultés
qu'il a fallu surmonter pour parvenir à un arrangement
satisfaisant pour tous, après des années de discussions
et d'évaluation de toutes sortes hypothèses. Certes,
il a fallu faire des compromis. Les porte-parole ont fait allusion,
en souriant, aux luttes épiques et aux nuits et aux fins
de semaine de discussions qu'ont eu à traverser les 20
membres de la Société d'implantation du CHUM entre
septembre 1995 et maintenant. Elles paraissaient interminables
et ne mener nulle part.
Au cours de la dernière année, combien de fois la
presse n'a-t-elle pas fait écho à une situation
apparemment sans issue, invoquant l'incapacité des francophones
de Montréal de s'entendre, alors que la situation paraissait
progresser dans les trois autres universités qui ont une
faculté de médecine. Pourtant, en dépit de
toutes les embûches, les trois hôpitaux et la Faculté
de médecine viennent de doter Montréal d'un centre
hospitalier universitaire qui, avec un budget de fonctionnement
de l'ordre de 375 millions, constituera un centre d'excellence
d'importance majeure au Canada, comptant près de 900 médecins
et des effectifs professionnels et de soutien de quelque 10 000
personnes. Le CHUM sera un centre de soins généraux
et spécialisés pour la population locale et de soins
ultraspécialisés pour une population locale, régionale
et suprarégionale; il travaillera en complémentarité
avec les CLSC pour offrir des soins de première ligne.
En matière d'enseignement, il permettra la formation des
pyramides d'étudiants à tous les échelons
et dans toutes les spécialités, pouvant accueillir
350 résidents et 250 externes de la Faculté de médecine,
ainsi que 770 stagiaires des huit autres disciplines universitaires
reliées au domaine de la santé. Ses capacités
de recherche et, conséquemment, d'amélioration des
soins donnés seront sérieusement renforcées,
appuyées par une répartition complémentaire
des équipements à la fine pointe de la technologie.
Vous vous souviendrez que j'avais évoqué cette possibilité
de succès dans mon allocution de l'an dernier et l'avais
appelée de tous mes voeux. Je suis aussi fier aujourd'hui
que à la même date, l'an dernier, j'avais des raisons
d'être inquiet quant à sa réalisation. J'en
profite pour féliciter et remercier en votre nom nos représentants
à ce comité, le doyen Vinay et le vice-recteur Molinari,
qui ont participé à un enfantement long et difficile,
de même que la vice-rectrice Cinq-Mars, qui avait assuré
la mise en train des travaux du Comité formé, avec
nos six principaux hôpitaux affiliés, à la
suite de l'adoption de la loi 120 par l'Assemblée nationale.
La naissance du CHUM est, à plusieurs titres, pleine d'enseignements
pour les actions qu'il nous faut entreprendre comme institution.
Il aura fallu que la Faculté et ses partenaires s'entendent
afin de remanier complètement la «carte des spécialités»
devant être offertes par chacun des trois sites résultant
de la fusion des trois hôpitaux d'origine. La transformation
entreprise fera que moins de lits seront nécessaires, qu'il
y aura moins de multiplication d'appareils hautement spécialisés,
alors que l'on compte améliorer le service et économiser
tout en le transformant. Le CHUM va assurer à ses usagers
des services de santé ultraspécialisés à
l'aide de moyens ultramodernes, et il ne fait aucun doute dans
mon esprit que les usagers seront les premiers à bénéficier
de soins d'une très grande qualité, à moindre
coût.
Faut-il rappeler que le domaine de la vie et de la santé
est névralgique, qui nous tient tous à coeur, et
que les décideurs connaissent le caractère des enjeux
et le risque politique inhérent à la transformation
des façons d'offrir des soins? Si l'on peut ainsi transformer
le service médical tout en assurant le maintien et même
promettre l'amélioration de sa qualité, est-il raisonnable
d'affirmer que l'on ne puisse faire de même dans le domaine
de l'enseignement universitaire?
Vous aurez compris pourquoi l'esprit qui a présidé
à la mise en oeuvre du CHUM est pour moi un motif de confiance
et je nous invite à nous en inspirer dans la mise en application
des recommandations du GRÉPI, une fois que celles-ci auront
franchi les différentes instances d'approbation de l'Université.
Le partage des enseignements de base présente quelque analogie
avec la redéfinition de la carte des spécialités
à partager entre les hôpitaux. De même, si
l'on peut utiliser la télémédecine pour offrir
certains services spécialisés à distance,
il est permis de penser que l'on peut offrir certains services
aux étudiants, dans l'enseignement comme dans l'encadrement,
en exploitant judicieusement divers moyens de médiatisation
à notre disposition. Le GRÉPI nous propose des pistes
intéressantes à cette fin. Je n'ai jamais cru que
l'on pouvait remplacer les professeurs par des appareils de télévision
ou des logiciels d'apprentissage, tout multimédias fussent-ils.
Ce sont les professeurs qui maîtrisent le contenu d'un enseignement
parce que ce sont eux les spécialistes d'un domaine ou
d'un champ disciplinaire. Aucune technologie ne peut rendre la
connaissance disponible aux étudiants si un professeur
n'a pas d'abord fait le choix de ce qu'il faut communiquer et
de la façon de le faire. Mais des modes de communication
de plus en plus souples sont susceptibles d'apporter à
un plus grand nombre de personnes une connaissance et des compétences
qu'autrefois seule la mise en contact directe du professeur et
des étudiants pouvait assurer. À nous d'en tirer
des applications que nous choisirons en fonction du plus grand
bénéfice qu'elles apporteront à nos étudiants.
J'ai aussi quelques autres motifs de confiance dans la capacité
de l'Université de Montréal de faire mieux, dans
la conjoncture actuelle, que «tirer son épingle du
jeu» - ce qui serait minimaliste - et je voudrais les partager
ici, avec vous. Ils sont de divers ordres. Ils tiennent aussi
bien à la confiance que nous manifestent les candidats
aux études universitaires qu'aux fruits du renouvellement
du corps professoral au cours des 10 dernières années,
ils se basent sur le rayonnement de l'Université autant
que sur la polyvalence et sur l'adaptabilité de notre personnel.
Comme je ne veux pas prolonger ce monologue, je ne ferai que les
évoquer ici, mais je compte m'en inspirer pour poursuivre
la défense et l'illustration de l'Université de
Montréal auprès des décideurs dans l'espoir
que l'on prenne mieux en compte la spécificité d'une
université de recherche aussi performante et efficiente
que la nôtre, et en vue d'une révision souhaitée
de la formule de financement.
Selon un sondage effectué au printemps dernier auprès
de candidats aux études universitaires provenant du cégep
et ayant fait des demandes d'admission dans diverses universités
du Québec, l'Université de Montréal arrive
au premier rang en ce qui a trait aussi bien à la qualité
des locaux et du matériel disponibles pour l'enseignement
qu'à la qualité et à la diversité
des services offerts aux étudiants. Le groupe sondé
considère l'Université de Montréal comme
à peu près égale à l'Université
McGill quant à la qualité des programmes, à
celle de l'enseignement, et à un certain nombre d'autres
facteurs essentiels dans l'évaluation d'une université.
Mais le plus intéressant dans les résultats de ce
sondage, c'est que lorsque l'on distingue les étudiants
selon la qualité de leur dossier et leur provenance, ce
sont toujours les plus forts qui donnent à notre université
la meilleure cote et cela, qu'ils soient de Montréal ou
de l'extérieur de la région métropolitaine.
Cela m'inspire deux commentaires: tout d'abord, les candidats
sont conscients de la qualité de l'enseignement et du service
que nous offrons et nous devons en être fiers; en second
lieu, nous devons intensifier nos efforts de recrutement afin
de mieux répondre aux meilleurs étudiants, à
ceux qui désirent faire les meilleures études universitaires
en français au Québec. C'est à cette fin
que nous avons mis sur pied une unité spéciale de
recrutement l'an dernier. Déjà, les effets du travail
de cette unité, en collaboration avec les facultés,
se font sentir dans les secteurs où l'on a le plus investi.
J'ai chargé la vice-rectrice aux affaires publiques de
superviser directement le travail de cette unité et nous
allons demander au Conseil un soutien accru pour cette fonction
stratégique.
Ma foi dans la capacité de l'Université de Montréal
de maîtriser son avenir tient également, ai-je dit,
aux fruits du renouvellement du corps professoral au cours des
10 dernières années. Rappelons-nous qu'à
clientèle à peu près constante, si l'on considère
une période d'une douzaine d'années, notre université
aura profondément transformé son corps professoral
entre le début des ententes de planification et 1999, terme
des compressions telles que les entrevoit le rapport du GRÉPI.
Entre ces années, l'Université se sera certes séparée
d'un nombre important de professeurs qui auront consacré
la presque totalité de leur carrière à l'édification
de cette institution.
La qualité d'une université tient moins à
l'âge de ses professeurs qu'à une distribution équilibrée
sur un continuum de carrière qui assure que les étudiants
bénéficient à la fois de la fougue des débutants
et du bagage des plus expérimentés, équilibre
qui permet à la fois la venue de perspectives nouvelles
et une intégration harmonieuse des nouveaux grâce
à des mentors soucieux de continuité. Et, parce
qu'elle aura fait preuve de vision en cette matière comme
en d'autres en ouvrant près de 300 nouveaux postes sur
un peu plus d'une dizaine d'années, l'Université
de Montréal aura renouvelé son corps professoral
et préparé la relève.
Aujourd'hui, en dépit d'une conjoncture difficile, elle
est à mon avis beaucoup mieux armée que nombre de
ses concurrentes pour faire face aux défis des prochaines
années. La croissance continue de nos fonds de recherche,
que ceux-ci proviennent de conseils subventionnaires ou de contrats
avec l'entreprise, en est une preuve indubitable. Et la variété
et la qualité des publications de nos professeurs témoignent
des effets bénéfiques de politiques d'engagement
et d'évaluation exigeantes qui sont celles des facultés
et du Conseil de l'Université par son comité des
promotions.
Enfin, je veux souligner avec satisfaction et admiration que le
personnel de l'Université partage le même dévouement,
le même souci du service que les membres du corps professoral.
Malgré une tâche qui s'alourdit pour tous, la rentrée
d'automne s'est effectuée normalement et les services sont
offerts avec compétence et efficacité. Notre personnel
est également polyvalent puisque le vice-rectorat aux ressources
humaines a réussi à pourvoir en personnel compétent,
à même le bassin des personnes déjà
à l'emploi de l'Université, les nombreux services
qui devaient réorganiser leurs activités avec des
effectifs réduits en nombre, compte tenu du succès
du plan de départ volontaire. Nos étudiants peuvent
fréquenter avec confiance une université où
toutes les personnes qui les y accueillent savent qu'ils et elles
sont sa première raison d'être. Nous prenons auprès
d'eux l'engagement à faire encore mieux. C'est dans cet
esprit que nous entreprenons les transformations qui s'imposent
à nous, confiants de pouvoir sauvegarder l'essence d'un
institution qui rayonne par sa foi en l'avenir et par la science
qu'elle contribue à maintenir vivante.