Robert Bisaillon clôture le colloque international
sur les sciences de l'éducation.
La question était
courageuse, d'autant plus qu'elle était posée par
la Faculté des sciences de l'éducation elle-même.
Ce questionnement sur le nombre de facultés ou de départements
d'éducation constituait le thème de l'une des six
tables rondes, sans compter les 23 ateliers, du colloque du Réseau
international de recherche en éducation et en formation
dont la Faculté des sciences de l'éducation était
l'hôte les 26 et 27 septembre dernier.
Premier à prendre la parole à cette table, Gilbert
Dumont, directeur général de la commission Laure-Conan,
a souligné qu'il existe 12 universités qui offrent
des programmes de formation des maîtres au Québec
comparativement à 29 pour la France. Si de tels chiffres
invitent à répondre oui à la question posée,
M. Dumont a toutefois lancé plus de questions qu'il n'a
donné de réponses.
À son avis, il serait plus pertinent de se demander s'il
y a trop de grandes et de petites universités au Québec.
«Les sciences de l'éducation souffrent du syndrome
Gulliver; les facultés sont parfois trop petites pour de
grandes universités ou trop grandes pour de petites universités.»
Il a également invité son auditoire à réfléchir
sur la façon de faire actuelle: quelle place occupent nos
facultés dans la gestion des programmes et la définition
des contenus disciplinaires? Quel est le rapport entre enseignement
et recherche? Quel est notre rayonnement sur la pédagogie
universitaire? Doit-on s'orienter vers des spécialisations
ou assumer toutes les missions?
Gilbert Dumont a soutenu en substance qu'il y a surtout trop de
facultés d'éducation qui offrent les mêmes
programmes et que ces facultés sont trop isolées
les unes des autres. La formation des maîtres doit en outre
prendre le virage professionnel et ce virage doit se faire en
mettant en place un réseau de partenariat fondé
sur le partage et la collaboration interuniversitaire.
Thérèse Laferrière, professeure en sciences
de l'éducation à l'Université Laval, a abordé
la question sous l'angle du service à la clientèle
et de la qualité des résultats. «Nous formons
deux fois plus de diplômés qu'il n'en faut»,
a-t-elle déclaré. Mais paradoxalement, la demande
en éducation n'a jamais été si forte: «Il
faut augmenter le taux de réussite au secondaire, il faut
apprendre toute sa vie et, devant cette demande, il est peu probable
qu'il y ait des fermetures. Il y a plus à craindre du côté
du "serrage de vis".»
Devant ce serrage de vis qui tarit la source de revenus, devant
la concurrence des nouvelles technologies de l'information, la
«maximalisation» de la réussite ne saurait
être atteinte avec le modèle hérité
du taylorisme. «Avec l'autoroute de l'information, le meilleur
cours peut être suivi n'importe où. Utilisons les
moyens d'aujourd'hui et mettons sur pied des équipes très
fortes pour of-frir des cours de téléuniversité
sur l'autoroute électronique», suggère Mme
Laferrière.
Le troisième conférencier, Roger Claux, professeur
à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue,
s'est pour sa part limité à illustrer qu'il n'est
pas facile d'assurer la formation des maîtres en régions
éloignées à cause, entre autres, de l'exode
vers les grands centres. Une façon de nous dire que ces
centres de formation sont nécessaires ou peu utiles? On
ne sait trop.
Bien que l'animateur de la table ronde, Claude Lessard, ait loué
dès le départ le courage des orateurs qui ont accepté
de relever le défi de la question, on sera toutefois demeuré
sur notre faim puisque personne n'a vraiment tranché la
question.
À la toute fin d'un débat qui n'a pas vraiment eu
lieu, un professeur de Laval, Maurice Tardif, a souligné
qu'au Québec seulement 15 % des professeurs en sciences
de l'éducation correspondent au profil du chercheur tel
qu'il est défini par les organismes subventionnaires. «Ça
fait 25 chercheurs au total, a-t-il déclaré. Chaque
faculté ne peut continuer de soutenir ses trois chercheurs.
Il faut les mettre ensemble et envisager une spécialisation
des facultés.» Sur ces propos plus propices à
alimenter un débat, il a fallu quitter la salle.
États généraux sur l'éducation
Le coprésident des états généraux
sur l'éducation, Robert Bisaillon, était quant à
lui le conférencier invité à clôturer
ce colloque du Réseau international de recherche en éducation
et en formation. Le rapport de cette commission n'ayant pas encore
été rendu public (il est attendu pour le 10 octobre),
M. Bisaillon a prévenu qu'il ne livrerait pas de scoop.
Il a tout de même laissé entrevoir quelques grandes
avenues vers lesquelles s'orientera le rapport.
Au chapitre des finalités, par exemple, Robert Bisaillon
a tenu à souligner que l'école publique n'est pas
un lieu de même nature que la famille. «Elle est l'espace
civique de l'expression de la démocratie et elle doit socialiser
en vertu des valeurs qui rassemblent. Elle ne peut ni ne doit
assumer seule toutes les finalités éducatives.»
En conséquence, «les familles, les Églises
et les entreprises doivent jouer leur rôle dans la mise
à jour des compétences et dans la formation de ce
qui leur est propre.»
Devant la critique unanime à l'égard du «déficit
de connaissances» dont souffrent les programmes d'enseignement,
le rapport recommandera d'en augmenter la densité. «La
refonte doit se faire dans la perspective d'un apprentissage qui
dure tout la vie et miser sur le désir d'apprendre plutôt
que sur l'obligation d'apprendre.»
De plus, le coprésident a reconnu que les progrès
réalisés dans l'accessibilité à l'éducation
ne se sont pas traduits en progrès de la réussite.
«Il faut faire reculer l'exclusion et faire des choix envers
les sous-
stimulés pour qui l'école est la seule chance d'intégration
sociale.» Il a par ailleurs déploré que la
concurrence de l'école privée accentue l'inégalité
des chances et crée deux types d'écoles sur un même
territoire: une école qui mène vers le succès
et une autre vers le cul-de-sac.
Le rapport recommandera également une décentralisation
du système scolaire au bénéfice des écoles.
«Il faut rapprocher les lieux de décision des lieux
d'action. La décentralisation est une nécessité
qui ne consiste pas à se débarrasser de ses obligations
mais à partager ses pouvoirs et ses compétences
avec tous les paliers.»
Quant à la formation des enseignants, elle devra miser
plus sur le partenariat entre l'université et les maîtres
en exercice. Et comme l'organisation du travail risque d'être
bouleversée par les «compressions étonnantes»,
Robert Bisaillon invite les enseignants à chercher des
solutions plutôt qu'à subir les décisions.
Finalement, il invite les universités à réfléchir
sur les questions qui leur seront adressées dans le rapport
et qui tournent autour du fait que le public ne perçoit
pas ces établissements comme étant importants.
Daniel Baril