Un équipement de protection peut constituer un risque
pour la sécurité, conclut une recherche du Groupe
d'acoustique.
Quoi de plus affolant
que d'être arrêté à un feu rouge et
d'entendre une sirène d'ambulance sans savoir d'où
elle provient? Ou encore de marcher sur le trottoir et d'entendre
le «bip-bip» d'un camion qui recule? On ne sait pas
s'il est loin, s'il est proche, s'il est devant ou s'il est derrière.
«Il s'agit de sons très difficiles à localiser»,
observe Jean-Pierre Gagné, responsable du laboratoire du
Groupe d'acoustique de l'Université de Montréal
(GAUM). Ce groupe, dirigé par Louise Getty, a été
mis sur pied il y a 11 ans pour effectuer des recherches sur les
impacts sonores en milieu de travail.
«Nous sommes tellement entourés de signaux sonores
- ambulances, alarmes d'automobile, téléavertisseurs,
fours à micro-ondes - que nous ne reconnaissons plus leur
signification», s'inquiète le chercheur.
Si l'on confond le bip-bip de notre micro-ondes avec celui de
notre téléavertisseur, ce n'est pas bien grave.
Mais il y a eu des cas extrêmes. «Au moment de la
fuite de gaz à la Union Carbide de Bophal, fait remarquer
Jean-Pierre Gagné, des gens ont accouru vers le lieu de
l'accident parce qu'ils ne comprenaient pas que le signal signifiait
qu'il y avait une fuite et qu'il fallait évacuer!»
Alarme ou pause-santé?
Rien d'aussi grave ne s'est produit au Québec, mais il
y a eu suffisamment d'accidents sur les chantiers et en milieu
de travail pour que l'Institut de recherche en santé et
en sécurité du travail du Québec subventionne
une recherche à long terme sur la détection et la
localisation des signaux avertisseurs.
Un premier volet de la recherche a déjà donné
lieu à l'élaboration, par le GAUM, de règles
concernant la conception des systèmes avertisseurs. «Pour
bien détecter un son, nous avons besoin de plusieurs indices
sonores», explique Martin Fortin, qui poursuit son doctorat
au Groupe d'acoustique. «Les bips-bips n'ont qu'une seule
fréquence et c'est pourquoi ils sont si difficiles à
localiser. Si l'on est placé dans le creux de l'onde, on
ne les entend plus. Les signaux à deux fréquences
ne sont guère mieux. Le son avertisseur idéal doit
comporter au moins quatre composantes fréquentielles d'un
même son, comprises dans la bande de 300 à 3000 hertz,
et une intensité de 12 à 13 décibels au-dessus
du bruit ambiant», précise l'étudiant.
Actuellement, aucune norme ne régit cet aspect de la sécurité
au travail. Les signaux d'alarme sont d'ailleurs souvent les mêmes
que ceux annonçant la pause-café! L'équipe
du GAUM a innové en concevant un logiciel qui permet de
déterminer, pour chaque milieu particulier, quel son avertisseur
serait le plus approprié en tenant compte de la nature
et de l'intensité du bruit ambiant et du fait que les travailleurs
portent ou non des protections auditives.
«On pourrait même fabriquer un avertisseur programmable
pour chaque milieu», affirme Jean-Pierre Gagné, qui
croit qu'il y a là un marché intéressant
à développer pour un entrepreneur imaginatif. Toutes
les entreprises qui fabriquent des systèmes avertisseurs
sont américaines.
Une protection à risque
La recherche entreprise par le Groupe d'acoustique en est actuellement
à sa deuxième phase, celle de la localisation du
signal sonore. «Nous avons voulu savoir si le port d'un
équipement protecteur entrave la localisation d'un signal
avertisseur», reprend Martin Fortin. Cinq pièces
d'équipement ont été testées: un casque
de pompier dont la cagoule de caoutchouc recouvre les oreilles,
un masque de soudeur, une cagoule pare-chaleur utilisée
dans les fonderies, une cagoule pare-poussière utilisée
pour le sablage et des coquilles protectrices.
«Selon le type d'équipement, le taux d'erreur dans
la localisation du son varie de 10 % à 45 %», a noté
M. Fortin. L'erreur la plus fréquente consiste à
situer le son en avant alors qu'il provient de l'arrière;
ce type d'erreur est le plus fréquent avec les coquilles
et la cagoule de fonderie. Cette cagoule entraîne également
des erreurs dans la localisation gauche-droite. La casque de pompier
est celui qui a le mieux réussi le test.
Il ressort également de cette recherche qu'un son long,
soit de une seconde et demie, permet, dans la plupart des cas,
d'enrayer les erreurs de localisation. Ici encore, c'est la cagoule
de fonderie qui a entraîné le plus d'erreurs.
Les équipements de protection peuvent donc avoir l'effet
paradoxal de constituer un danger pour la sécurité.
«La meilleure mesure de protection consiste à réduire
le bruit à la source, estime Martin Fortin. Si ce n'est
pas possible, le meilleur équipement serait une prothèse
auditive réceptrice d'ondes FM qui capterait le signal
avertisseur émis sur une longueur d'onde précise.»
De telles prothèses sont déjà utilisées
dans certaines écoles spécialisées ou même
au théâtre. Elles pourraient d'ailleurs être
employées avec les différentes cagoules dont le
port est nécessaire même si l'endroit n'est pas particulièrement
bruyant.
Martin Fortin poursuit la recherche sur la localisation des sons
en effectuant le même genre de tests avec des personnes
souffrant d'une diminution de l'acuité auditive. «Certaines
entreprises font d'un seuil minimal d'acuité auditive un
critère d'engagement ou de maintien au travail alors que
cette pratique ne repose pour ainsi dire sur aucune étude»,
soutient-il.
Les travaux du GAUM comportent en outre un volet psychosocial
où l'on se préoccupe entre autres de la situation
familiale des travailleurs souffrant de surdité afin d'élaborer
à leur intention des programmes de réadaptation.
Daniel Baril