Les compositrices québécoises reconnues pour
la qualité
et l'originalité de leur travail.
Dans le domaine de la création
musicale contemporaine au féminin, le Québec possède
une longueur d'avance sur plusieurs pays occidentaux, pourtant
dotés d'une plus longue tradition en la matière.
Isabelle Panneton, Sylvaine Martin, Linda Bouchard, Marie Pelletier,
Suzanne Hébert-Tremblay et le groupe Justine constituent
le fer de lance de la création musicale féminine
québécoise de cette fin de siècle. Elles
se distinguent par leur nombre, leurs multiples compositions et
la fréquence de diffusion de leurs oeuvres.
«En 1991, j'ai publié La création musicale
des femmes au Québec. La chronologie de cet ouvrage s'arrêtait
en 1986. Depuis ce temps-là, plusieurs nouveaux noms [ci-dessus
nommés] se sont ajoutés, dit Marie-Thérèse
Lefebvre, vice-doyenne à la Faculté de musique.
Il y a donc véritablement eu un boom dans ce domaine.
«Nous nous situons en avance sur bien d'autres pays, comme
l'Autriche (patrie de grands noms de la musique), qui a une tradition
très conservatrice, poursuit-elle. Il y a encore quelques
années, les femmes n'étaient même pas admises
au sein de l'Orchestre symphonique de Vienne!»
Au début d'octobre, Mme Lefebvre donnera une conférence
intitulée «La contribution des femmes à l'histoire
de la musique au Québec» au congrès de l'Institut
d'histoire de l'Amérique française. La moitié
de son allocution portera sur les compositrices du Québec
actuel, les oeuvres qu'elles ont composées, la façon
dont elles voient leur travail, etc.
Cantates, pièces pour orchestres et ensembles à
cordes, pièces pour voix et instruments, opéras,
quatuors vocaux, le travail de ces compositrices québécoises
de moins de 40 ans aborde tous les champs musicaux. Elles ont
su, dit Mme Lefebvre, s'éloigner de l'intellectualité
et des écoles structuralistes dominées par leurs
confrères pour se tourner vers une écriture plus
intuitive.
Cela n'a pas été sans mal. Les compositrices «ont
dû, dans bien des cas, surmonter l'indifférence tacite
de leurs professeurs de composition», situation qui se reflétait
par une moins longue période accordée aux rencontres
prof-élève, des observations vagues ou «des
silences éloquents sur leurs productions».
Et pourtant, elles ont réussi à percer grâce
à la conjugaison de plusieurs éléments. D'abord,
par la qualité et l'originalité de leur travail,
affirme Mme Lefebvre, qui décortiquera le contenu de plusieurs
oeuvres dans sa conférence d'octobre.
De plus, ces compositrices ont pu compter sur l'appui d'autres
femmes qui se sont fait une place importante dans tous les domaines
liés à la musique: interprétation, direction
d'orchestre, animation, réalisation, gestion.
La place qu'elles ont prise dans la direction d'orchestre est
éloquente. Il n'y a pas si longtemps, quatre femmes tenaient
la baguette au même moment: Agnès Grossmann à
l'Orchestre métropolitain, Lorraine Vaillancourt au Nouvel
Ensemble moderne, Véronique Lacroix à l'Ensemble
contemporain de Montréal et Linda Bouchard à l'Ensemble
Abandon aux États-Unis. «C'est énorme pour
une population comme celle du Québec», dit la musicologue.
Il ne faut pas croire que ces femmes ont fait état de solidarité
féminine et de complaisance envers les compositrices. Elle
se sont plutôt mises «au service de la musique contemporaine»,
tous compositeurs confondus. Ce qui fait dire à Mme Lefebvre
que «le répertoire des compositrices est de plus
en plus intégré à l'activité musicale
régulière des saisons non pas parce qu'il est écrit
par des femmes mais bien pour la qualité des oeuvres qui
y sont entendues».
«On ne les joue pas pour être politiquement correct»,
ajoute-t-elle.
Enfin, deux autres éléments expliquent cette vitalité:
les compositrices québécoises ont refusé
de se «ghettoïser» en formant une association
comme au Canada anglais et le Québec, avec sa situation
linguistique et culturelle minoritaire en Amérique du Nord,
est plus ouvert aux groupes dits marginalisés.
Au cours des 10 dernières années à la Faculté
de musique, les femmes sont demeurées minoritaires en composition
aux trois cycles d'études (deux pour cent au doctorat)
et dans les concours musicaux à caractère très
compétitif.
André Duchesne