Pour Serge Larivée, les codes de déontologie
des sciences humaines appliquées sont de la «fraude
collective».
Dans le domaine des sciences humaines appliquées,
tels la psychoéducation, la psychologie, le travail social
ou la psychothérapie, les codes de déontologie sont
«difficilement applicables dans leur intégralité
parce que le contenu de certains articles réclamerait que
les sciences humaines et sociales aient un statut scientifique
bien établi».
Or, ce n'est pas le cas, soutient Serge Larivée, professeur
à l'École de psychoéducation. Dans la dernière
livraison de la Revue canadienne de psychoéducation (1),
dont il est le directeur, il adresse une critique sévère
aux praticiens de sa propre discipline ainsi qu'aux autres intervenants
psychosociaux qu'il accuse de fraude collective lorsque ceux-ci
laissent croire que leurs interventions sont fondées sur
des données scientifiques.
Serge Larivée prend notamment à témoin le
code de déontologie des psychoéducateurs, d'où
il tire deux grands principes que doivent respecter les intervenants:
faire preuve de compétence, «c'est-à-dire
fonder l'intervention sur des données empiriques dont la
valeur scientifique est éprouvée», et évaluer
l'efficacité de l'intervention.
L'avenir d'une illusion
Le professeur s'en prend plus particulièrement à
la psychanalyse et aux psychothérapies qui, à son
avis, ne peuvent répondre à ces critères.
«La psychanalyse est un exemple typique de pseudoscience
dépourvue de toute base intellectuelle sérieuse
et qui se dérobe à toute tentative de vérification»,
écrit-il. En psychanalyse, le fameux principe de réfutabilité
de Popper (selon lequel une théorie ne peut être
considérée comme scientifique que dans la mesure
où l'on peut chercher à l'invalider) ne peut s'appliquer.
«Pour un freudien, la théorie est confirmée
si les individus analysés présentent les symptômes
du conflit oedipien, donne-t-il à titre d'exemple. Mais
l'absence de symptômes la confirme tout aussi bien, le complexe
étant alors déclaré refoulé. Quels
que soient les faits, ils confirment toujours la théorie.
Une théorie qui a réponse à tout est non
réfutable et, par conséquent, n'explique rien.»
Des propos trouble-fête à l'heure où les psychanalystes
célèbrent le centenaire de la formulation du célèbre
complexe!
Toujours selon Serge Larivée, l'histoire des sciences nous
montre qu'aucune théorie scientifique ne perdure; elles
sont toutes «biodégradables». «Seules
les idéologies et les religions perdurent au-delà
des faits», déclare-t-il, quitte à faire se
retourner dans sa tombe l'auteur de L'avenir d'une illusion. À
l'instar des sectes, les psychanalystes ont érigé
leur théorie en dogme et ignorent les critiques qui leur
sont faites. «Ils se débarrassent des objections
de leurs contradicteurs en les imputant au refoulement ou à
quelque problème non résolu.»
L'université devrait-elle alors abandonner la formation
de base en psychanalyse? «Sur le plan formel, oui, répond
le professeur. On ne devrait la conserver que sur le plan historique.
Malgré la fraude, la pensée de Freud était
intéressante.» À son avis, l'ensemble des
intervenants psychosociaux devraient d'ailleurs recevoir la même
formation scientifique de base au premier cycle, suivie d'une
spécialisation aux cycles supérieurs. Ceci éviterait
du même coup les redondances de cours entre diverses disciplines
plus ou moins cloisonnées.
Efficacité
Les diverses formes de psychothérapies n'obtiennent pas
non plus la note de passage lorsqu'il s'agit d'évaluer
leur efficacité. Selon les études qu'a recensées
Serge Larivée, le taux de réussite serait de 50
% et il n'y aurait pas de différence significative entre
les diverses formes de traitement. Quarante-cinq pour cent des
réussites seraient en outre dues à des rémissions
spontanées, ce qui fait que l'efficacité des psychothérapies
se compare à celle d'un traitement placebo.
Si les intervenants psychosociaux préfèrent ignorer
ces résultats et délaisser les évaluations,
c'est entre autres par «souci de sauver leur emploi».
Il semble pourtant qu'ils n'aient rien à craindre de ce
côté, si l'on en croit le Manuel diagnostique et
statistique des désordres mentaux (DSM); l'édition
de 1952 dénombrait 106 pathologies alors que celle de 1995
en recense 300. «La moitié de la population américaine
serait mentalement malade», en conclut M. Larivée.
La multiplication des types de thérapies est elle aussi
exponentielle, ce qui est un indicateur d'un bien piètre
résultat. À lire «l'ineffable Guide Ressources»
où s'alimentent les adeptes du nouvel âge, «on
peut se demander comment il se trouve encore des gens en difficulté»
tellement il y a de thérapies pour chaque problème»,
observe le psychoéducateur.
Faudrait-il donc laisser tomber toute intervention de type psychosocial?
Pour Serge Larivée, il s'agirait plutôt de réorienter
ces interventions pour leur faire jouer un rôle préventif
plutôt que curatif. De plus, il considère que les
situations d'échec peuvent être des mines d'or pour
ceux qui savent en tirer les renseignements utiles.
«Il faut surtout que les professionnels sachent que l'effet
de leurs interventions n'est pas nécessairement celui qui
est attendu», ajoute-t-il, signalant qu'il y a également
parfois des effets négatifs.« S'il y a tant de dépressions
dans ce milieu, c'est que l'on se conte des histoires. Il faut
laisser tomber la prétention à l'efficacité
lorsque aucune étude n'a démontré cette efficacité.
Sans devenir des expérimentateurs de laboratoire, les intervenants
doivent apprendre à fonder leurs interventions sur des
théories scientifiquement démontrées.»
L'éthique professionnelle commande du même coup de
réviser les codes de déontologie «peut-être
trop vertueux ou trop politiquement corrects.»
Daniel Baril
(1). Serge Larivée, «Le marché de l'intervention
psychosociale: une fraude collective politiquement correcte»,
Revue canadienne de psychoéducation, vol. 25, no 1, 1996,
p.1.