Quand
le rêve devient hallucination
Les
systèmes neuronaux responsables du rêve et des hallucinations
schizophrènes seraient liés entre eux.
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Julie
Poulin, avec lun de ses directeurs de recherche, le
Dr Emmanuel Stip, dans le module dobservation au laboratoire
du sommeil du Centre de recherche Fernand-Seguin. |
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Les images et
les situations bizarres qui surgissent pendant les rêves et
qui nont souvent aucune cohérence apparente ressemblent
à certains égards aux troubles de la schizophrénie.
«Rêver quon a gagné la coupe Stanley peut
se comparer au délire du schizophrène qui attribue des
significations irréelles aux événements quil
vit», affirme le Dr Emmanuel Stip, psychiatre et membre du Centre
de recherche Fernand-Seguin de lhôpital Louis-Hippolyte-LaFontaine.
Cette ressemblance de forme entre le rêve et la schizophrénie
pourrait ne pas être fortuite. Julie Poulin, une étudiante
à la maîtrise au laboratoire du sommeil dirigé
par le Dr Roger Godbout au centre Fernand-Seguin, a mis en évidence
lexistence de deux types de corrélations entre les symptômes
de la schizophrénie et lélectroencéphalogramme
(EEG) du sommeil paradoxal des personnes atteintes de la maladie.
Le sommeil paradoxal est la phase pendant laquelle surviennent les
rêves les plus vifs et qui se caractérise par des mouvements
oculaires rapides, une diminution du tonus musculaire et une désynchronisation
des ondes cérébrales.
«Comparativement à lélectroencéphalogramme
des personnes non atteintes, celui des patients schizophrènes
montre un niveau élevé dactivité bêta
pendant le sommeil paradoxal, souligne Julie Poulin. Plus les symptômes
de faible réaction aux stimuli comme le manque de volonté
et dengagement, les émotions émoussées,
le retrait de la vie sociale sont importants, plus il y a dactivité
bêta. Par contre, plus les symptômes dhyperactivation
comme les hallucinations, le délire, les sentiments de persécution
et de grandeur sont importants, moins il y a dactivité
bêta.»
Lactivité bêta est une bande de fréquence
rapide de lEEG associée aux mécanismes neuronaux
qui contrôlent le sommeil paradoxal.
Les symptômes de faible réaction et dhyperactivation
peuvent se retrouver chez une même personne alors que dautres
patients ne présenteront que lun des deux types de symptômes.
Le fait que ces deux catégories de signes ne sont pas corrélées
de la même façon avec le sommeil paradoxal montre, aux
yeux des chercheurs, quil existe une dissociation anatomique
et fonctionnelle entre les divers facteurs de la schizophrénie.
Les différences observées dans lEEG ne peuvent
être attribuées aux neuroleptiques puisque létude,
effectuée sous la direction de Roger Godbout et dEmmanuel
Stip, tous deux professeurs au Département de psychiatrie,
a porté sur des patients qui navaient encore reçu
aucun traitement médicamenteux pour soigner leur maladie.
Rêve et hallucination
Les travaux de Julie Poulin et de léquipe du laboratoire
ont par ailleurs permis dobserver que plus la schizophrénie
est sévère, moins les mouvements oculaires rapides sont
nombreux et plus le temps passé en sommeil paradoxal est bref.
En outre, plus les symptômes dhyperactivation (hallucinations
et délires) sont importants, plus le premier épisode
de sommeil paradoxal survient tôt après lendormissement.
Lensemble de ces corrélations fait dire aux chercheurs
quil existe des liens entre les circuits neuronaux responsables
du sommeil paradoxal et ceux responsables des symptômes de la
schizophrénie.
Est-ce à dire que la schizophrénie pourrait être
interprétée comme une irruption du rêve dans létat
de veille? «Une telle interprétation a déjà
été proposée, mais nos travaux ne permettent
pas encore daller jusque-là, répond Julie Poulin.
Il faudrait pour cela faire des relevés dEEG chez des
patients en état de veille et pendant leurs périodes
de crise en plus de comparer le contenu des rêves et des hallucinations.»
Les chercheurs du centre Fernand-Seguin formulent pour linstant
une interprétation plus prudente selon laquelle le rêve
et les hallucinations pourraient partager des substrats communs. Les
processus de veille et de sommeil paradoxal auraient en fait le défaut
de ne pas sinhiber lun lautre, ce qui ne serait
pas étranger aux manifestations cliniques de la maladie.
Ce dysfonctionnement pourrait aussi être à lorigine
des problèmes dinsomnie dont souffrent les personnes
schizophrènes, alors que les troubles du sommeil peuvent être
à la source des dysfonctions cognitives comme les troubles
de lattention et de la mémoire.
Daniel
Baril