Marginalisation
et migrations perpétuelles
Mylène
Jaccoud dresse le portrait de ces femmes qui fuient leur communauté
pour la ville.
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La
fuite des femmes autochtones vers Montréal a souvent
un goût damertume, selon les chercheuses Mylène
Jaccoud (à gauche) et Renée Brassard. |
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«La mobilité
est une caractéristique assez particulière des Premières
Nations», observe Mylène Jaccoud, qui a décidé
de brosser le tableau des femmes plus nomades que les autres, notamment
celui de leur marginalisation quand elles arrivent à Montréal.
Professeure agrégée et responsable de lunité
Minorités et autochtones au Centre international de criminologie
comparée, Mme Jaccoud est bien au fait de la réalité
amérindienne. Son mémoire de maîtrise portait
sur ladmission des autochtones, hommes et femmes, dans les prisons
du Québec. Son mémoire a donné lieu à
louvrage Justice blanche au Nunavik.
Depuis 1985, elle donne dans les communautés des cours axés
sur la recherche dautonomie en matière de résolution
de conflits dans le cadre du Regroupement des organismes de justice
alternative du Québec.
Le projet sur la marginalisation des femmes autochtones à Montréal
vise à circonscrire les situations de conflit pour mieux leur
venir en aide, mais aussi à favoriser des actions au sein des
conseils de bande. La recherche bénéficie dun
soutien de 126 000 $ sur trois ans du Conseil de recherches en sciences
humaines du Canada et est réalisée en collaboration
avec Christopher McAll, du Département de sociologie, lAssociation
des femmes autochtones du Québec, le Foyer dhébergement
pour femmes autochtones de Montréal et le Centre damitié
autochtone de Montréal.
Dentrée de jeu, la chercheuse distingue trois catégories
de population: les Amérindiens (Cris, Abénaquis, Montagnais,
Hurons, etc.), les Inuits et les Métis. Mylène Jaccoud
et son assistante Renée Brassard ont rencontré des femmes
des deux premières catégories.
Loi défavorisant la femme autochtone
Le phénomène de migration des femmes autochtones remonte
aux années 70 au Canada. Il est survenu un peu plus tard au
Québec. «Le Québec est plus épargné
que les autres provinces de lOuest. Cest en Saskatchewan
que lon compte le plus fort taux durbanisation des femmes
autochtones», fait valoir la chercheuse. Les Statuts révisés
du Canada (1970) stipulent que les Amérindiennes qui épousent
un homme nétant pas membre dune bande perdent tous
leurs droits dans la communauté. En 1985, Ottawa a décidé
dabolir larticle, jugé discriminatoire. «Mais
ces droits égaux le sont plutôt sur papier. La réintégration
a posé beaucoup de problèmes», indique Mme Jaccoud.
Les femmes autochtones ont eu à faire face à plusieurs
problèmes dans leur volonté de retrouver leurs droits,
quil sagisse de territoire restreint, de développement
économique laborieux, de difficultés liées au
logement, de forte promiscuité, de discrimination à
lendroit des femmes dites moins pures ou encore de rejet pur
et simple. «Tous ces facteurs ont favorisé leur migration.
Labolition na pas amélioré les choses. En
fait, la marginalisation précède larrivée
en ville. Il y a déjà un problème au sein des
communautés doù ces femmes proviennent.»
Parcours
étonnants
Mylène Jaccoud et Renée Brassard ont effectué
une vingtaine dentrevues en 1999 et 2000. Les deux chercheuses
ont prévu quatre rencontres avec la même personne pour
bien tracer son itinéraire de vie. «Nous devions comprendre
la marginalisation du point de départ au point darrivée.
Quels étaient les changements survenus? Y avait-il eu maintien,
réduction ou renforcement de cette marginalisation?»
raconte Mme Jaccoud.
La population féminine autochtone à Montréal
nest pas facile à dénombrer. Au recensement de
1996 et selon les données des deux chercheuses, on comptait
un peu plus de 5000 femmes autochtones. Elles se retrouvent, pour
la plupart, dans un bar du centre-ville appelé LAlouette,
lieu de rencontre et souvent de transit.
Leur trajectoire de vie est parfois étonnante. Parmi les femmes
interrogées, Renée Brassard relève le cas dune
autochtone de 33 ans née dans le Grand Nord. Lors de la rencontre
avec les chercheuses en 1999, elle en était à son 21e
territoire et son parcours couvrait 67 pages recto verso de format
légal!
«De leur naissance à lâge adulte, elles connaissent
une vingtaine de déplacements. Ce qui frappe, cest lisolement
et labsence de projet de vie qui caractérisent ces femmes,
pour la plupart très vulnérables. Leur vie se déroule
au gré de leurs rencontres. Ces rencontres les amènent
dans plusieurs lieux. Il y a beaucoup de dépendance affective.
Nous nous sommes demandé si cétait le lot des
femmes autochtones», relève Mme Jaccoud.
Facteurs
de marginalisation
Les femmes qui arrivent en ville fuient un conjoint violent ou ont
subi des sévices sexuels. Dautres connaissent de sérieux
problèmes de santé, souffrant dhépatite,
du virus du sida ou dalcoolisme. La volonté de dénicher
un emploi ou de poursuivre une formation qui nest pas accessible
dans leur communauté explique aussi leur arrivée en
ville. «Ce que nous avons constaté, cest que Montréal
nest souvent pas leur choix. Il est celui du conjoint, de la
mère ou de la famille. Il y a très peu de trajectoires
directes; on remarque un retour aux communautés», avance
Renée Brassard.
Certains événements favorisent une migration fréquente.
Mylène Jaccoud donne lexemple dune femme qui a
perdu son père de bonne heure. Lautorité parentale
sest effritée et les frères et surs plus
âgés ont eu moins dascendance sur leur sur
cadette. Celle-ci sest retrouvée enceinte à 15
ans. «Les conjoints ne restent pas», dénote Mylène
Jaccoud. Le père de lenfant ne reconnaissant pas la paternité,
le cycle est vite amorcé.
Dans ce contexte, Montréal agit alors comme un palliatif, pour
une fuite en avant qui a cependant un goût damertume.
«La ville offre un panorama culturel qui permet aux femmes autochtones
de se fondre dans le décor, facteur quelles ne retrouvent
pas ailleurs. Mais lanonymat, sil sert de protection,
renforce leur isolement. Il y a invisibilité de leur personne,
mais aussi de leur misère», explique Renée Brassard.
Les
institutions
Les femmes autochtones migrent-elles avec leurs enfants? Ça
dépend, répondent les deux chercheuses. Si cest
le cas, elles se font souvent retirer la garde de leurs enfants en
arrivant en ville. «La Direction de la protection de la jeunesse
est omniprésente dans la vie de ces femmes-là. Son intervention
est parfois désastreuse, car les enfants leur permettent de
saccrocher. Cest leur seul projet de vie. Cette situation
leur crée alors des embûches considérables, ne
serait-ce que par la stigmatisation qui en découle. Cest
une population qui vit dans le contrôle», commente Mylène
Jaccoud.
Sans compter les femmes autochtones qui se retrouvent en prison pour
toutes sortes de raisons. La population autochtone est surreprésentée
en milieu carcéral. Alors quelle compose moins de 1 %
de la population du Québec, les données de 1998-1999
font état de 2,4 % dhommes et de femmes autochtones par
rapport à lensemble des détenus en milieu fermé
par comparaison avec 2,1 % lannée précédente.
Parallèlement, en ce qui a trait aux mesures carcérales
en milieu ouvert, telles que les travaux communautaires ou la libération
conditionnelle, 5,1 % des détenus étaient autochtones
en 1998-1999, comparativement à 4,3 % en 1997-1998.
Les
organismes daide
Le Centre damitié autochtone est, de lavis des
deux chercheuses, le point de chute des femmes autochtones à
Montréal. Lorganisme, en plus de leur permettre de se
retrouver, offre un volet loisirs avec des cours liés aux traditions
autochtones, comme le perlage. On les dirige parfois vers le Foyer
dhébergement pour femmes autochtones, qui ne compte cependant
que 21 lits. Et lon ne chôme pas dans ces organismes;
les besoins sont énormes, soulignent les deux chercheuses.
Certaines femmes vont sortir du réseau de soutien pour aller
trouver refuge dans des centres dhébergement pour femmes
itinérantes. Ces organismes communautaires suffisent-ils à
leur donner envie de sinstaller en ville? «La population
rencontrée na pas de projet dinsertion à
Montréal. Au mieux, la ville va maintenir leurs conditions
de vie précaires. La misère remplace la misère.
En revanche, elles bénéficient de plus de services et
sont davantage prises en charge à Montréal», répond
Renée Brassard.
Marie-Josée Boucher
Collaboration spéciale