Aux
sources neurobiologiques de la schizophrénie
Louis-Éric
Trudeau observe des neurones in vitro dans son laboratoire.
|
Louis-Éric
Trudeau est une étoile montante de la recherche en
pharmacologie. Il vient dobtenir une bourse dune
fondation américaine pour ses recherches sur les
origines neurobiologiques de la schizophrénie. |
|
Psychose la plus
répandue au monde puisque un pour cent de la population en
est atteinte, la schizophrénie est marquée par des délires,
des hallucinations et des troubles de la pensée qui saggravent
avec le temps. Lorsque les premières crises surviennent, entre
15 et 25 ans, le patient se voit prescrire des médicaments
qui agissent sur son système nerveux. «On connaît
certaines des cibles des médicaments dans le cerveau, mais
on ne sait pas exactement pourquoi ils sont efficaces en clinique»,
dit Louis-Éric Trudeau, professeur au Département de
pharmacologie de la Faculté de médecine.
|
Un
neurone qui a «poussé» dans le laboratoire
de Louis-Éric Trudeau. Létude in vitro permet
de comprendre le développement du système nerveux
et particulièrement des contacts synaptiques où
la dopamine est libérée. |
Le chercheur
de 33 ans vient de recevoir une bourse de 60 000 $US pour ses travaux
sur les mécanismes cellulaires et moléculaires qui modifient
le fonctionnement du cerveau. La National Alliance for Research on
Schizophrenia and Depression (NARSAD), un chef de file dans la recherche
sur les maladies mentales, accorde ainsi à M. Trudeau une grande
marque de confiance. Cependant, le but du professeur nest pas
de trouver un médicament miracle. «Je fais de la recherche
fondamentale. Mais cela nempêche pas que des applications
pourraient découler de nos travaux et dune meilleure
connaissance de la maladie. Jusquà maintenant, on a surtout
défini la schizophrénie par ses symptômes. Il
faut aller plus loin. La schizophrénie doit être mieux
étudiée sur le plan neurologique.»
Selon le pharmacologue, la source de la schizophrénie se trouve
en partie dans laire tegmentaire ventrale, un amas de quelques
dizaines de milliers de cellules cérébrales qui régule
les fonctions cognitives. Pour mieux comprendre les psychoses, il
faut regarder à cet endroit, mais il importe aussi de bien
connaître un neurotransmetteur très important: la dopamine.
Du plaisir à la psychose
Le bien-être qui envahit une personne après un bon repas,
pendant lacte sexuel ou à lécoute dune
cantate de Bach a des effets physiologiques bien documentés.
On sait que la dopamine participe à la genèse des sensations
de plaisir. Chez les schizophrènes, ce neurotransmetteur est
déréglé. Cest pourquoi les neuroleptiques,
qui bloquent laction de la dopamine, parviennent à soulager
partiellement les malades. «On sait que ce nest pas le
seul facteur, explique Louis-Éric Trudeau. La dopamine a certainement
un rôle à jouer dans la maladie, mais on croit de plus
en plus que des câblages du système nerveux
ont été mal effectués au cours du développement.»
Des chercheurs ont procédé à des examens de cerveaux
de schizophrènes décédés afin de découvrir
des anomalies physiologiques évidentes. En vain. Les cerveaux
de ces personnes malades semblent identiques à ceux dindividus
sains. Mais parce que les symptômes apparaissent subitement
à partir de ladolescence, on croit que la maladie aurait
un lien avec le développement. Lobservation doit porter
sur la croissance des neurones.
«Nous effectuons une analyse fine de la cellule nerveuse par
des cultures in vitro. En dautres termes, nous regardons
pousser des neurones pour mieux comprendre comment ils se développent
et en particulier comment ils établissent des contacts synaptiques
où est libérée la dopamine.»
Le chercheur nobserve pas de cellules nerveuses humaines, car
pour cela il faudrait enfoncer une aiguille jusquau milieu du
cortex de sujets vivants, ce qui est impensable sur le plan éthique.
Les modèles animaux sont donc utilisés. Le chercheur
convient que ce nest pas lidéal, car le cerveau
dun rat peut savérer sensiblement différent
de celui dun être humain. Mais ce type dobservation
permet tout de même dapprofondir nos connaissances sur
les mécanismes généraux qui gèrent la
croissance des neurones. Et lon pourra éventuellement
tester des molécules pharmacologiques.
Toutefois lobservation de cellules in vitro a des limites. Lexpérimentateur
isole des neurones qui croissent habituellement dans un enchevêtrement
complexe, où un nombre incalculable dinteractions ont
lieu constamment. Louis-Éric Trudeau est conscient de ces limites.
Mais il affirme que lobservation de la croissance neuronale
peut apporter beaucoup sur le plan de la connaissance théorique.
«Nous sommes loin de lapplication clinique de nos travaux.
Mais nous tentons de résoudre un problème qui est actuellement
sans solution
»
Un travail dété qui laisse des traces
La bourse que vient de recevoir Louis-Éric Trudeau confirme
quil est lun des jeunes chercheurs les plus prometteurs
de la relève. Financé en partie par la Fondation canadienne
pour linnovation, son laboratoire est équipé notamment
dun système de microscopie à fluorescence qui
vaut à lui seul 400 000 $. La subvention de la NARSAD arrive
à un moment opportun puisque les fonds pour ladministration
de son laboratoire, attribués par des conseils subventionnaires,
ne sont pas toujours disponibles.
Son équipe compte actuellement trois étudiants aux cycles
supérieurs, un stagiaire postdoctoral et une technicienne.
Plusieurs projets de publication sont en cours, entre autres sur laction
de la neurotensine, un neuropeptide abondant dans les neurones dopaminergiques.
Cest à 30 ans que le chercheur a été engagé
par lUniversité de Montréal, après des
études universitaires aux États-Unis. Il a été
happé par les neurosciences lorsque, en 1986, il a occupé
un emploi dété de préposé aux bénéficiaires
dans un hôpital psychiatrique. «Je crois que ça
ma marqué. À partir de ce moment, jai voulu
contribuer à la compréhension des maladies psychiatriques»,
relate-t-il.
Mathieu-Robert Sauvé