Volume 35 numéro 31
4 juin 2001

 


Aux sources neurobiologiques de la schizophrénie
Louis-Éric Trudeau observe des neurones in vitro dans son laboratoire.

Louis-Éric Trudeau est une étoile montante de la recherche en pharmacologie. Il vient d’obtenir une bourse d’une fondation américaine pour ses recherches sur les origines neurobiologiques de la schizophrénie.

Psychose la plus répandue au monde puisque un pour cent de la population en est atteinte, la schizophrénie est marquée par des délires, des hallucinations et des troubles de la pensée qui s’aggravent avec le temps. Lorsque les premières crises surviennent, entre 15 et 25 ans, le patient se voit prescrire des médicaments qui agissent sur son système nerveux. «On connaît certaines des cibles des médicaments dans le cerveau, mais on ne sait pas exactement pourquoi ils sont efficaces en clinique», dit Louis-Éric Trudeau, professeur au Département de pharmacologie de la Faculté de médecine.

Un neurone qui a «poussé» dans le laboratoire de Louis-Éric Trudeau. L’étude in vitro permet de comprendre le développement du système nerveux et particulièrement des contacts synaptiques où la dopamine est libérée.

Le chercheur de 33 ans vient de recevoir une bourse de 60 000 $US pour ses travaux sur les mécanismes cellulaires et moléculaires qui modifient le fonctionnement du cerveau. La National Alliance for Research on Schizophrenia and Depression (NARSAD), un chef de file dans la recherche sur les maladies mentales, accorde ainsi à M. Trudeau une grande marque de confiance. Cependant, le but du professeur n’est pas de trouver un médicament miracle. «Je fais de la recherche fondamentale. Mais cela n’empêche pas que des applications pourraient découler de nos travaux et d’une meilleure connaissance de la maladie. Jusqu’à maintenant, on a surtout défini la schizophrénie par ses symptômes. Il faut aller plus loin. La schizophrénie doit être mieux étudiée sur le plan neurologique.»

Selon le pharmacologue, la source de la schizophrénie se trouve en partie dans l’aire tegmentaire ventrale, un amas de quelques dizaines de milliers de cellules cérébrales qui régule les fonctions cognitives. Pour mieux comprendre les psychoses, il faut regarder à cet endroit, mais il importe aussi de bien connaître un neurotransmetteur très important: la dopamine.


Du plaisir à la psychose

Le bien-être qui envahit une personne après un bon repas, pendant l’acte sexuel ou à l’écoute d’une cantate de Bach a des effets physiologiques bien documentés. On sait que la dopamine participe à la genèse des sensations de plaisir. Chez les schizophrènes, ce neurotransmetteur est déréglé. C’est pourquoi les neuroleptiques, qui bloquent l’action de la dopamine, parviennent à soulager partiellement les malades. «On sait que ce n’est pas le seul facteur, explique Louis-Éric Trudeau. La dopamine a certainement un rôle à jouer dans la maladie, mais on croit de plus en plus que des “câblages” du système nerveux ont été mal effectués au cours du développement.»


Des chercheurs ont procédé à des examens de cerveaux de schizophrènes décédés afin de découvrir des anomalies physiologiques évidentes. En vain. Les cerveaux de ces personnes malades semblent identiques à ceux d’individus sains. Mais parce que les symptômes apparaissent subitement à partir de l’adolescence, on croit que la maladie aurait un lien avec le développement. L’observation doit porter sur la croissance des neurones.

«Nous effectuons une analyse fine de la cellule nerveuse par des cultures in vitro. En d’autres termes, nous regardons pousser des neurones pour mieux comprendre comment ils se développent et en particulier comment ils établissent des contacts synaptiques où est libérée la dopamine.»

Le chercheur n’observe pas de cellules nerveuses humaines, car pour cela il faudrait enfoncer une aiguille jusqu’au milieu du cortex de sujets vivants, ce qui est impensable sur le plan éthique. Les modèles animaux sont donc utilisés. Le chercheur convient que ce n’est pas l’idéal, car le cerveau d’un rat peut s’avérer sensiblement différent de celui d’un être humain. Mais ce type d’observation permet tout de même d’approfondir nos connaissances sur les mécanismes généraux qui gèrent la croissance des neurones. Et l’on pourra éventuellement tester des molécules pharmacologiques.

Toutefois l’observation de cellules in vitro a des limites. L’expérimentateur isole des neurones qui croissent habituellement dans un enchevêtrement complexe, où un nombre incalculable d’interactions ont lieu constamment. Louis-Éric Trudeau est conscient de ces limites. Mais il affirme que l’observation de la croissance neuronale peut apporter beaucoup sur le plan de la connaissance théorique. «Nous sommes loin de l’application clinique de nos travaux. Mais nous tentons de résoudre un problème qui est actuellement sans solution…»


Un travail d’été qui laisse des traces

La bourse que vient de recevoir Louis-Éric Trudeau confirme qu’il est l’un des jeunes chercheurs les plus prometteurs de la relève. Financé en partie par la Fondation canadienne pour l’innovation, son laboratoire est équipé notamment d’un système de microscopie à fluorescence qui vaut à lui seul 400 000 $. La subvention de la NARSAD arrive à un moment opportun puisque les fonds pour l’administration de son laboratoire, attribués par des conseils subventionnaires, ne sont pas toujours disponibles.

Son équipe compte actuellement trois étudiants aux cycles supérieurs, un stagiaire postdoctoral et une technicienne. Plusieurs projets de publication sont en cours, entre autres sur l’action de la neurotensine, un neuropeptide abondant dans les neurones dopaminergiques.

C’est à 30 ans que le chercheur a été engagé par l’Université de Montréal, après des études universitaires aux États-Unis. Il a été happé par les neurosciences lorsque, en 1986, il a occupé un emploi d’été de préposé aux bénéficiaires dans un hôpital psychiatrique. «Je crois que ça m’a marqué. À partir de ce moment, j’ai voulu contribuer à la compréhension des maladies psychiatriques», relate-t-il.

Mathieu-Robert Sauvé