Volume 35 numéro 31
4 juin 2001

 


L’amygdale et la perception des émotions
Nathalie Gosselin a démontré le rôle de l’amygdale dans la perception des émotions évoquées par la musique.

Chef d’orchestre du laboratoire de neuropsychologie de la musique
et de la cognition auditive, la professeure Isabelle Peretz (à droite) dirige la recherche doctorale de Nathalie Gosselin sur la neuropsychologie de la musique et des émotions.

Lorsqu’un visage se crispe de peur, c’est l’amygdale, un petit centre nerveux gros comme un dé situé dans le cerveau, sous le cortex, qui gère les opérations. Mais on croit qu’elle a aussi un rôle dans la reconnaissance des émotions suscitées par la musique.

L’amygdale — à ne pas confondre avec les glandes du pharynx — est de plus en plus étudiée par les neuropsychologues. «Ce n’est pas la seule zone cérébrale associée à la musique, précise Nathalie Gosselin, qui mène une thèse de doctorat en recherche et en intervention sur le sujet. Mais l’amygdale semble permettre la reconnaissance de certaines émotions musicales, notamment la peur, la tristesse et l’apaisement.»

À l’occasion d’une conférence prononcée dans le cadre du colloque annuel du Groupe de recherche en neuropsychologie expérimentale, l’étudiante au Département de psychologie a présenté les résultats de son étude. Sa recherche, financée par le CRSNG, vient corroborer les autres travaux de la professeure Isabelle Peretz sur la perception musicale. Il y a quelques années, la spécialiste du «cerveau musical», qui est également la directrice de recherche de Mme Gosselin, a mis en évidence l’existence d’un réseau neurologique propre à cette fonction.

Mme Peretz a par ailleurs démontré, grâce à des études menées auprès de personnes atteintes de lésions cérébrales, la présence de deux mécanismes distincts liés à la perception musicale: l’un traiterait les aspects émotionnels communiqués par la musique et l’autre les aspects cognitifs, comme la reconnaissance ou la mémorisation d’un air. En clair, notre réaction émotionnelle à la musique n’impliquerait pas les mêmes circuits cérébraux que ceux particuliers à la cognition.


Détection du danger

Les travaux de Nathalie Gosselin, auxquels a contribué le Dr Robert Adolphs, de l’Université de l’Iowa, s’inscrivent dans la poursuite de cette compréhension des principes d’organisation cérébrale et des processus associés à la perception de la musique.

«Je me suis particulièrement intéressée au rôle de l’amygdale, dit la neuropsychologue âgée de 26 ans, car une étude américaine a démontré une relation entre cet organe et la reconnaissance de la peur évoquée par les expressions faciales. Mais le rôle de l’amygdale dans la perception des émotions transmises par la musique n’avait jamais été étudié auparavant.»

Pour mener ses recherches, Mme Gosselin a eu recours à un sujet connu dans la littérature scientifique sous le nom de S.M. Cette dame, atteinte depuis sa naissance de la maladie de Urbach-Wiethe (affection très rare caractérisée par une atteinte sélective de l’amygdale), reconnaît adéquatement les émotions dans l’intonation de la voix (prosodie). Mais elle éprouve de la difficulté à discerner la peur dans les expressions du visage. S.M. a été soumise à l’écoute d’une série de stimuli musicaux afin de déterminer si elle pouvait déceler les aspects émotionnels de la musique tels que la peur, la tristesse, la gaieté et l’apaisement.

Par quelle méthode? «Si l’on manipule les paramètres musicaux, soit le tempo (lent/rapide) et le mode (mineur/majeur), une mélodie peut suggérer une émotion particulière, répond la doctorante. Par exemple, un tempo rapide et un mode majeur sont généralement associés à la gaieté alors qu’un tempo lent et un mode mineur évoquent la tristesse.»

Les résultats, comparés avec ceux obtenus auprès d’un groupe contrôle composé d’une vingtaine de sujets normaux, révèlent que S.M. distingue le tempo et le mode. Mais elle est incapable de reconnaître dans un air non familier la peur, la tristesse et l’apaisement, émotions correctement perçues par les autres sujets. «Ce trouble ne peut pas s’expliquer par une perception mélodique déficiente, soutient Nathalie Gosselin, puisque S.M. détecte la structure musicale et l’intrusion de notes discordantes dans une mélodie.»

Selon la chercheuse, ceci confirme que l’amygdale n’est pas restreinte à la reconnaissance de la peur évoquée par les expressions faciales, mais joue également un rôle dans la perception de certaines émotions suscitées par la musique. Ce qu’on ne sait pas, c’est pourquoi la dame en question discerne correctement une mélodie gaie. Plusieurs hypothèses, dont celle invoquant la facilité à reconnaître le mode majeur, ont été formulées. Mais, pour le moment, l’explication la plus acceptée serait que l’amygdale est davantage liée aux émotions dites négatives ou à la détection du danger.

«Le fait que S.M. tend à accorder spontanément sa confiance à n’importe qui semble appuyer cette possibilité», signale Nathalie Gosselin, qui poursuit actuellement ses travaux au laboratoire de neuropsychologie de la musique et de la cognition auditive.

Dominique Nancy

On peut entendre des extraits des stimuli musicaux émotionnels utilisés pour cette recherche sur le site Web du laboratoire de neuropsychologie de la musique et de la cognition auditive: http://www.fas.umontreal.ca/psy/iperetz.html.