Au
bout du rouleau?
«Il
ny a pas de test particulier pour diagnostiquer le syndrome
de fatigue chronique», reconnaît le microbiologiste Denis
Phaneuf.
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Le
stress aggrave létat des personnes atteintes
du syndrome de fatigue chronique, mais ne déclenche
pas cette maladie auto-immune, souligne le Dr Denis Phaneuf.
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Appelons-la Jacinthe.
Cette professeure de 38 ans est depuis quelques mois lobjet
de toutes les supputations de son entourage. Jacinthe se sent faible.
Sa fatigue, survenue subitement, saccompagne de douleurs musculaires,
de maux de tête, de troubles de concentration et de pertes de
mémoire inexpliquées. Bizarre
pour une femme si
dynamique. Non, Jacinthe ne souffre pas dépuisement professionnel,
elle est affligée du syndrome de fatigue chronique (SFC).
«Nous pouvons diagnostiquer le SFC quand la personne éprouve
une fatigue intense qui dure depuis plus de six mois et loblige
à réduire au moins de moitié ses activités,
soutient le Dr Denis Phaneuf, microbiologiste et professeur clinique
à lHôtel-Dieu. La plupart du temps, les individus
parviennent à se lever, se laver, shabiller et se nourrir.
Cest à peu près tout.»
Le SFC serait causé par un virus à la différence
du surmenage, lié strictement au stress professionnel. Pour
établir son diagnostic, le médecin doit éliminer
toutes les maladies susceptibles de provoquer ce type détat,
puisquil ny a pas de test particulier pour déceler
la fatigue chronique. En clair, le SFC ne peut être établi
que par défaut. Cela nest pas simple, car certaines maladies
endocriniennes ou infectieuses, notamment la sclérose en plaques,
le lupus et lherpès, peuvent présenter les mêmes
symptômes.
Pour tout compliquer, létiologie de la fatigue chronique
varie dun patient à lautre. Mais la présence
de quatre des signes suivants sont nécessaires pour caractériser
laffection: ganglions enflés, céphalées
chroniques, douleurs articulaires et musculaires, troubles du sommeil,
fièvre, difficultés de concentration, confusion et pertes
de mémoire à court terme. Une dépression accompagne
souvent le SFC.
La
grippe des yuppies
Est-ce une véritable maladie? Non, répond le microbiologiste.
Il sagit dun syndrome. Ce terme permet de désigner
les manifestations variées dune même affection.
Voilà ce qui induit parfois les spécialistes en erreur.
Ce quon a longtemps appelé péjorativement une
«neurasthénie» a ensuite été confondu
avec lépuisement professionnel. Car les premières
personnes affectées étaient de jeunes cadres, véritables
battants que rien narrête.
Tout commence dans la région du lac Tahoe, en Californie. Des
médecins constatent que des patients de plus en plus nombreux
viennent les consulter pour une grippe perpétuelle qui entraîne
une fatigue aiguë. Au début, on ne sinquiète
pas trop. La fatigue de ces patients, parmi lesquels on retrouve beaucoup
de femmes célibataires titulaires dun diplôme universitaire,
est associée à leur rythme de vie effréné.
Mais le phénomène prend de lampleur. La presse
qualifie lépidémie de «grippe des yuppies»
étant donné que laffection touche principalement
les jeunes professionnels urbains âgés de 30 à
40 ans.
«On sait maintenant que le SFC peut affecter nimporte
qui, quels que soient sa situation socioéconomique, son âge
ou sa race. Il y a néanmoins plus de femmes que dhommes,
plus dAsiatiques et de Blancs que de gens de race noire et plus
de professionnels que de travailleurs manuels», indique le Dr
Denis Phaneuf, qui suit 600 patients atteints de fatigue chronique.
Et la quarantaine de nouveaux cas quil diagnostique chaque année
linquiète. Car si lépuisement lié
au surmenage est généralement suivi dune récupération
rapide après une période de repos, le SFC dure, lui,
en moyenne de trois à quatre ans: 15 % récupèrent
entièrement, 15 % ne voient pas damélioration
de leur état et 70 % ne retrouvent que partiellement leur énergie.
Un
dérèglement du système immunitaire
Depuis près de 15 ans, des chercheurs américains se
penchent sur le problème. Inévitablement, ils se sont
demandé sil y avait un lien avec la dépression
puisque de 20 à 35 % des patients sont dépressifs au
début de la maladie. Un an après, environ 90 % souffrent
de troubles psychologiques. «Ces chiffres peuvent tout simplement
refléter une situation difficile, souligne le Dr Phaneuf. Près
de la moitié ont à ce moment perdu leur emploi et se
sont séparés de leur conjoint. Malheureusement, nous
ne sommes quau début de la compréhension du phénomène.»
À lheure actuelle, la fatigue chronique est classée
parmi les maladies auto-immunes. Les derniers chiffres révèlent
que près de 9000 Québécois sont atteints
du SFC. Aux États-Unis, le nombre de gens qui en souffrent
sélevait en 1985 à plus de trois millions! Depuis
1998, le SFC est reconnu par le Collège des médecins
du Québec. À ce jour, les études nexpliquent
pas pourquoi le syndrome se développe. Mais lhypothèse
la plus acceptée est quun ensemble de facteurs est à
lorigine dune réaction démesurée
du système immunitaire. De fait, plusieurs malades ont subi
des infections successives. Le virus dEpstein-Barr, cause de
la mononucléose, induit dans 10 % des cas un syndrome de fatigue
chronique. Par ailleurs, 65 % des personnes atteintes de fatigue
chronique font de leczéma ou de lasthme.
«Cela ne signifie pas que tous les asthmatiques développeront
le syndrome, prévient le microbiologiste. Mais on en retrouve
beaucoup parmi les victimes du SFC. Ces individus réagissent
de façon atopique à certaines bactéries, virus
et traumatismes physiques ou émotifs. Cest pourquoi il
ne faut pas les vacciner, sans vérification préalable,
contre les virus. On risque de déclencher le dérèglement!»
Quel traitement propose-t-on? On utilise des médicaments pour
traiter les symptômes de dépression, répond le
Dr Phaneuf. Mais lévolution de la maladie dépend
en large part du patient: il doit adapter ses habitudes de vie à
son état de santé et, malgré son épuisement,
se lever avant 10 heures le matin de manière à ne pas
perturber son cycle de cortisol (une hormone produite par les glandes
surrénales qui agit comme immunodépresseur en cas de
stress) et à empêcher une détérioration
de sa condition générale.
Jacinthe a donc modifié son rythme de vie. Après trois
années dabsence, elle na pas repris son poste de
professeure. Elle a trouvé un nouvel équilibre dans
un travail à temps partiel.
Dominique Nancy