Le
séquençage du génome humain a été
trop vite annoncé
Pour
Jacques Lussier, pas plus de 33 % des gènes humains sont séquencés.
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Le
chercheur Jacques Lussier estime que lannonce du séquençage
complet du génome humain était pour le moins
prématurée; 45 % des gènes quil
a caractérisés avec ses étudiants étaient
introuvables dans Genbank. |
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Le séquençage
du génome humain est loin dêtre terminé,
croit lendocrinologue et biochimiste Jacques Lussier. «Lannonce
faite en février 2001 était prématurée,
affirme ce professeur de la Faculté de médecine vétérinaire.
Ce ne sont pas 85 % des gènes humains qui sont connus,
comme on la déclaré, mais seulement le tiers.»
À la suite dune recherche menée avec des étudiants
de premier cycle, ce chercheur spécialisé en reproduction
animale a eu la surprise de constater que près de la moitié
des séquences étaient absentes de la banque de données
Genbank, où lon a rendu publiques les données
du génome. «Cest quand même incroyable quà
partir de gènes pris au hasard on retrouve si peu de séquences
connues. De deux choses lune: ou bien la théorie de lorigine
et de lévolution des espèces est à repenser,
car certains affirmaient que nous avions caractérisé
des gènes propres à lespèce bovine, ou
bien le génome est beaucoup moins connu quon le prétend.»
Pour le professeur Lussier, ce sont les intérêts économiques
de lentreprise privée, en particulier ceux de Celera
Genomics, qui ont poussé les chercheurs à procéder
à une annonce publique précipitée. À son
avis, le séquençage complet du génome humain
ne sera pas terminé avant 2003.
«Jour pour léternité»
Rappelons quun consortium réunissant les États-Unis,
la Grande-Bretagne, la France, lAllemagne, le Japon et la Chine
a annoncé, le 26 juin 2000, la réalisation
dune ébauche de la séquence du génome humain.
On indiquait alors que la «quasi-totalité du génome
humain», autrement dit des 3,1 milliards de paires de bases
qui composent notre patrimoine héréditaire, avait été
décryptée. À Washington, le président
américain Bill Clinton qualifiait ce matin de juin de «jour
pour léternité». Tony Blair, premier ministre
de la Grande-Bretagne, parlait du «premier grand triomphe technologique
du 21e siècle».
Ce qui amène le professeur Lussier à dénoncer
les prétentions du consortium international, cest une
série dexpériences menées dans son laboratoire.
Dans le cadre dun cours dintroduction en biologie moléculaire,
ce spécialiste de la physiologie ovarienne bovine a suggéré
à ses étudiants de sinitier aux techniques permettant
la caractérisation des gènes par clonage et séquençage.
À laide dun appareil de séquençage
dADN par fluorescence, lexercice consistait à caractériser
un gène différent pour chaque groupe. La composition
de chacun de ces gènes, comptant de 600 à 700 paires
de bases, devait être ensuite comparée avec celle qui
figure dans Genbank, la base de données du consortium.
Les étudiants ont dû répondre à trois questions:
sagit-il dun gène dont la séquence et la
fonction sont connues? A-t-on affaire à un gène dont
la séquence est connue mais dont la fonction est inconnue?
Le gène a-t-il une séquence et une fonction inconnues?
Résultat: près de la moitié (45 %) des 70
gènes étudiés au hasard dans une génothèque
de cellules ovariennes étaient inconnus: on ne connaissait
ni leur séquence dADN ni leur fonction; 39 % des
gènes avaient une séquence et une fonction connues et
15 % une séquence connue et une fonction inconnue. Des observations
qui ont surpris le chercheur.
«Bien sûr, léchantillon est modeste, reconnaît-il.
Mais cest quand même étrange quon parvienne
à un tel résultat avec plusieurs dizaines de gènes
pris au hasard
En tout cas, cela mériterait une recherche
plus approfondie.»
Gène humain, gène bovin
Lobjection qui vient spontanément à lesprit
du profane, cest que le gène bovin nest pas un
gène humain. Au contraire, rectifie M. Lussier. Nier cela,
cest nier la théorie de lévolution des espèces.
«Un gène qui code pour une protéine donnée
chez la drosophile a une identité en séquence très
analogue à celle de lhumain», explique-t-il.
Par ailleurs, Jacques Lussier nest pas le seul à dénoncer
limpatience de Celera et ses habiles manuvres visant à
attirer lattention médiatique
et les investisseurs.
Jean Weissenbach, un chercheur français engagé dans
le décryptage du génome humain, analyse sévèrement
lentreprise privée dans un numéro récent
de Médecine/Sciences (17 mars 2001). Il parle
de «résultats fallacieux» et d«escroquerie».
«Il subsiste 170 000 trous dans lassemblage
compartimenté de Celera et la structure dau moins un
tiers des gènes est incomplète», écrit-il.
Dans lannonce du consortium, «la communication et le sensationnalisme
ont largement pris le pas sur linformation, et je doute que
ce que le public en a retenu puisse quelque peu refléter la
réalité», affirme le spécialiste français.
En tout cas, Jacques Lussier aimerait bien pousser son investigation
plus loin. «Si lon reprenait lexercice à
grande échelle, nous tomberions peut-être sur un taux
de succès de 25 ou 30 %. Cest quand même bizarre
que quelques dizaines de gènes, pris au hasard, nous conduisent
à un tel résultat.»
Lexpérience quil a menée avec ses étudiants
inscrits en médecine vétérinaire demeure suffisamment
pertinente pour susciter une publication et au moins une conférence,
lété prochain, au congrès dune société
savante, la Society for the Study of Reproduction.
Au-delà de laspect spectaculaire, M. Lussier est heureux
de pouvoir offrir une initiation à la recherche dans le cadre
dun cours de baccalauréat. «Apprendre à
faire de la génomique fonctionnelle dans un cours de premier
cycle, cest une chance incroyable, affirme-t-il. On ne fait
quune caractérisation partielle des gènes, mais
la démarche scientifique est là. Même si la plupart
des étudiants ne consacreront pas leur carrière à
la recherche, ils auront acquis ici une expérience utile.»
Tout en plaidant pour un financement accru de la recherche fondamentale,
le chercheur déplore la tendance actuelle, qui fait pencher
la balance du côté de la recherche appliquée.
Ce sont souvent les travaux de recherche pure qui ouvrent la voie
aux découvertes commercialisables. «Pour bien connaître
la reproduction, par exemple, nous devons absolument comprendre ce
qui se passe dans ces boîtes noires que sont lovaire et
lovule», explique-t-il.
Les femelles possèdent à leur naissance, et même
avant, un nom-bre défini de follicules dans lesquels sont inclus
les ovules et dont le nombre décroît continuellement
avec les années. Ainsi, chez les vaches, les ovaires comptent
environ 500 000 ovules à la naissance. À quel moment
et comment un follicule démarre-t-il sa maturation? Quel sera
le mécanisme de sélection qui favorisera la croissance
de tel follicule et non de tel autre? Ces questions, relevant de la
recherche pure, peuvent être très utiles pour les centres
de reproduction bovine
et dans les cliniques de fertilité
humaine. «Lorsquon administre des hormones qui provoquent
une surstimulation ovarienne, nous outrepassons la sélection
qui sopère in vivo. Mieux connaître ce processus
pourrait donner des renseignements précieux aux spécialistes
de la fertilité.»
Mathieu-Robert Sauvé