La
fièvre aphteuse traversera-t-elle lAtlantique?
La
mondialisation fait que le risque zéro nexiste pas.
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Tous
les animaux à double sabot peuvent être atteints
de fièvre aphteuse, une maladie extrêmement
contagieuse qui peut aussi affecter les animaux sauvages.
Les conséquences dune contamination de la faune
(chevreuils, orignaux) seraient désastreuses. |
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«Cest
comme revenir dune guerre», lance le Dr André Vallières
de retour dune mission en Grande-Bretagne en pleine épidémie
de fièvre aphteuse. Lui et sa collègue Hélène
Laliberté ont accepté de partager leur expérience
avec les étudiants et professeurs de la Faculté de médecine
vétérinaire de Saint-Hyacinthe, le 18 avril dernier,
avant de rencontrer des professionnels, le lendemain, pour une activité
de formation continue.
Encore bouleversés par les images de charniers et de bêtes
condamnées, les deux vétérinaires ont diagnostiqué
des cas danimaux infectés. Une expérience qui
laisse des traces. «Nous choisissons ce métier-là
parce que nous aimons les animaux et voilà que nous devons
faire abattre des troupeaux entiers de bêtes dont la plupart
sont en bonne santé», déplore la Dre Laliberté.
Vétérinaire à lAgence canadienne dinspection
des aliments (ACIA), André Vallières a été
appelé en renfort pour ausculter les bêtes à Heddon
on the Wall, à 200 km à louest de Londres. Les
traits tirés, ce spécialiste des maladies contagieuses
raconte que son expérience, dune durée de trois
semaines, a été la plus bouleversante de sa vie professionnelle.
Pourtant, il a lhabitude de ces maladies. Quotidiennement, il
examine des animaux soupçonnés dêtre atteints
de salmonellose, tremblante du mouton, rage et tuberculose.
«Cest tout un pays qui est touché par la crise,
dit le vétérinaire. Daprès les derniers
chiffres, quelque 1 127 000 animaux ont été abattus
et 568 000 sont condamnés. On en abat jusquà 38
000 par jour. Lépizootie a provoqué une crise
sans précédent dans le monde agricole.»
En effet, les conséquences de la crise sont catastrophiques:
pertes de 16 milliards de livres sterling (quelque 10 milliards de
dollars canadiens), sans parler des autres coûts. On sinterroge
sur la pollution des nappes phréatiques provoquée par
lamoncellement de cadavres, sur la pollution de lair causée
par les charniers. Lindustrie est en état de choc, le
tourisme est en chute libre
Une
simulation de fièvre aphteuse en 2000
En vertu de lAccord international sur la réserve vétérinaire,
signé notamment par le Royaume-Uni et le Canada en 1993, des
volontaires sengagent à prendre sans délai le
chemin des pays frappés par une épizootie. Cest
ainsi quen mars 2001 huit vétérinaires canadiens,
dont Mme Laliberté et M. Vallières, ont été
appelés en Angleterre. «Le mandat de lACIA était
double, explique Mme Laliberté: aider nos partenaires, bien
sûr, mais aussi acquérir de lexpérience
sur le terrain. Nous devons savoir quoi faire si une telle crise survient
sur notre territoire.»
Ironie du sort, les volontaires canadiens, américains et mexicains
de lAccord avaient procédé à une simulation
dépidémie de fièvre aphteuse en octobre
2000, à peine quatre mois avant lapparition du premier
cas en Europe. «Un pur hasard», signale la vétérinaire.
Arrivés en renfort, les collaborateurs québécois
se sont organisés avec les moyens du bord. Après un
mois de crise, les vétérinaires anglais étaient
épuisés, désorganisés. Les Québécois
ont été envoyés en périphérie du
périmètre touché et ont visité de quatre
à six fermes par jour. Cest beaucoup compte tenu de la
désinfection minutieuse à laquelle il fallait procéder
à chaque endroit. «La pression est énorme à
lendroit du vétérinaire, explique André
Vallières. Environ 80 % des fermes que nous avons visitées
comptaient des moutons. Or, les signes cliniques chez les moutons
ne sont pas toujours apparents ou sont parfois transitoires. Par exemple,
les animaux infectés nont pas toujours de lésions.
Cela retarde le diagnostic, avec les conséquences quon
sait.»
Les éleveurs attendaient nerveusement le verdict des spécialistes.
Mais fidèles à eux-mêmes, les Britanniques nont
jamais perdu leur flegme. «Je nai que de ladmiration
à exprimer envers ce peuple, commente Mme Laliberté.
Nous avons toujours été reçus avec courtoisie,
politesse, malgré lémotion qui étreignait
la gorge.»
Le
risque zéro nexiste pas
Depuis 1952, aucun cas de fièvre aphteuse na été
observé en Amérique du Nord. Mais plusieurs pays dAsie,
dAfrique et même dAmérique du Sud vivent
avec cette maladie endémique, qui sattaque aux animaux
à double sabot. «Nous vivons une époque de mondialisation
des biens
et des virus», a dit le doyen de la Faculté,
Raymond S. Roy, en introduction à la conférence.
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Trois
vétérinaires engagés dans la crise de la
fièvre aphteuse en Grande-Bretagne: Serge Messier, Hélène
Laliberté et André Vallières. Le Dr Messier
ne sest pas rendu en Europe, mais il a fait face à
la vague médiatique à titre de directeur du Département
de pathologie et microbiologie. |
Directeur du Département
de pathologie et microbiologie de la Faculté de médecine
vétérinaire, le Dr Serge Messier estime que léradication
demeure le moyen le plus sûr de vaincre le fléau. Si
certains pensent que la vaccination pourrait être envisagée,
la plupart en doutent. En Colombie, la maladie demeure endémique
malgré des vaccinations massives deux fois par année.
Il faut dire que la fièvre nest pas mortelle et ne se
transmet quexceptionnellement à lhomme. Mais son
caractère hautement contagieux (en sept semaines, on a compté
jusquà 1350 fermes contaminées en Grande-Bretagne)
et les caractéristiques du marché de la viande font
que les pertes économiques seraient astronomiques si elle traversait
locéan. «Le risque zéro nexiste pas,
déclare Serge Messier. On ne peut pas empêcher lentrée
au pays de personnes qui voudraient délibérément
transporter le virus.».
La visite récente du prince Charles au Canada a montré
que les services douaniers ne prenaient pas les choses à la
légère. Le représentant de la monarchie a dû
sessuyer les pieds devant les caméras de télévision
à sa descente de lavion.
Les vecteurs de transmission de la maladie ne sont pas seulement humains,
a précisé M. Messier, également responsable de
la biosécurité de la Faculté. Ils peuvent être
animaux, inertes (bottes, véhicules) ou météorologiques.
Le vent, notamment, peut infecter des fermes à bonne distance.
Une des images présentées par les membres de la réserve
vétérinaire était particulièrement percutante.
Elle montrait une corneille sur un charnier.
Une corneille peut franchir plusieurs dizaines de kilomètres
par jour, passer des villes aux campagnes et inversement
Mathieu-Robert
Sauvé