Volume 35 numéro 30
22 mai 2001

 


La guerre biologique
Les pesticides chimiques sont condamnés: le réseau Biocontrôle cherchera à les remplacer par des guerriers naturels.

Le réseau de 42 chercheurs que dirigent les professeurs Raynald Laprade et Jean-Louis Schwartz dispose d’une subvention de 6,6 M$ du CRSNG pour élaborer une approche intégrée en contrôle biologique.

‹Chaque année, de nouveaux pesticides chimiques sont retirés du marché à cause de leurs effets néfastes sur l’environnement. Bientôt, on n’aura plus de produits pour lutter contre les ravageurs. Il faut une solution de remplacement et la seule voie viable est celle du biocontrôle», estime Raynald Laprade, professeur au Département de physique.

Lui et son collègue Jean-Louis Schwartz, du Département de physiologie, sont codirecteurs scientifiques du réseau Biocontrôle, un nouveau réseau de chercheurs qui vient d’être mis sur pied grâce à une subvention de 6,6 M$ du CRSNG. L’objectif de ce réseau est d’élaborer une approche intégrée recourant à tous les agents biologiques possibles — insectes, invertébrés, bactéries, virus, champignons — pour contrôler de façon naturelle les ravageurs des cultures.

Cette approche cherche à utiliser plusieurs ressources biologiques en même temps en évitant de miser sur un seul produit comme on le fait avec le chimique. «L’approche intégrée exige de connaître les interactions entre les éléments pathogènes, les ravageurs, les plantes, les animaux et toutes les composantes des écosystèmes, précise M. Schwartz. Notre réseau sera le premier au monde à travailler dans cette direction.»

Une autre caractéristique de l’approche biologique est qu’on ne cherche pas à éradiquer les ravageurs. «Ce serait perdu d’avance, affirme Raynald Laprade. À court terme, ce serait pire que le mal parce qu’on nuirait à la biodiversité et que le terrain serait tout de suite occupé par un autre ravageur. Ce qu’il faut, ce n’est pas éliminer mais contrôler en fonction des besoins.»


Un réseau de 15 universités

Le fait que l’on connaisse si peu d’ennemis naturels aux ravageurs, comparativement à tout ce qui a été mis au point du côté des armes chimiques, serait une conséquence du peu d’énergie investie jusqu’ici dans le contrôle biologique. Pour relever le défi, le réseau Biocontrôle mettra en collaboration 42 chercheurs — biologistes, biophysiciens, généticiens, écologistes, biochimistes, bactériologistes — établis dans 15 universités et 7 organismes gouvernementaux. Le siège social du réseau est situé à l’Université de Montréal.

Le réseau formera également, au cours des cinq années de la subvention du CRSNG, 80 chercheurs postdoctoraux. Les projets de recherche seront centrés sur les cultures de serre (légumes et fleurs ornementales) ainsi que sur les pépinières vouées à la reforestation. Les cultures de serre représentent une industrie de 1,5 milliard de dollars au Canada, alors que l’industrie forestière, dont une part importante de l’activité repose sur le reboisement, a une valeur de 60 milliards. Les industries agricole et forestière dépensent chaque année 10milliards en pesticides.

«Les connaissances et les nouvelles méthodes de culture qui seront acquises dans les milieux d’exploitation abrités et plus faciles à gérer que sont les serres pourront également être appliquées aux cultures de plein champ, à la foresterie et à l’environnement en général», souligne Raynald Laprade.


Et les OGM?

En misant sur les ennemis naturels des ravageurs, les deux directeurs du réseau cherchent également à éviter le recours aux organismes génétiquement modifiés (OGM).

Un récent sondage des magazines Québec Science et Protégez-vous vient d’ailleurs de montrer que la population craint davantage les OGM que les pesticides et engrais chimiques!

«Les objectifs du recours aux OGM sont louables, mais nous croyons que cela n’est pas nécessaire pour l’instant, soutient Jean-Louis Schwartz. Beaucoup d’études doivent encore être menées. Le rôle du réseau sera de fournir de la bonne science et d’établir des outils de contrôle environnemental afin de fournir des données fiables pour éclairer le débat.»

«De nombreuses armes naturelles existent et restent à découvrir, renchérit Raynald Laprade. Le chercheur estime lui aussi que le public tout comme le législateur manquent d’information sur l’enjeu des OGM.

Non seulement les membres du réseau comptent-ils contribuer à alimenter cet épineux débat, mais leur contribution pourrait également entraîner des changements de mentalité. La solution biologique nécessite en effet que les producteurs soient prêts à vivre avec des insectes et à assumer certaines pertes, alors que les consommateurs doivent accepter que leurs légumes n’aient pas toute la perfection du design industriel.

Daniel Baril