Le
secret de limmunité des plantes
Pour
Normand Brisson, les plantes transgéniques présentent
moins de risques que les cultivars obtenus par croisements.
|
Ce
plan de pomme de terre modifié génétiquement
que présente Normand Brisson pourrait livrer une
importante information sur les gènes de résistance. |
|
Entre 1845 et
1847, lIrlande a été frappée dune
terrible famine provoquée par la maladie de la pomme de terre.
Le responsable: un champignon, plus précisément un oomycète,
qui cause le mildiou, maladie pouvant détruire des récoltes
entières en quelques jours.
«Contrairement aux mammifères, les plantes nont
pas de système immunitaire, donc pas danticorps ni de
cellules macrophages pour détruire les agents pathogènes
qui sattaquent à elles. Elles possèdent en revanche
un système de défense chimique très élaboré
et produisent des protéines de défense lorsquelles
sont en contact avec des éléments pathogènes»,
explique Normand Brisson, professeur au Département de biochimie.
Le professeur cherche à découvrir quels sont les gènes
responsables de ces enzymes et qui ont la particularité de
ne sexprimer quen présence dagents pathogènes.
En les mettant au jour et en perçant les secrets de leur activation,
il espère pouvoir en arriver à stimuler le mécanisme
de défense et à produire des plantes plus résistantes.
«Lorsquun virus ou un champignon attaque une plante, celle-ci
induit rapidement la mort des cellules infestées pour éviter
la propagation de lagent pathogène. Il sagit dune
réponse dhypersensibilité responsable, par exemple,
de certaines taches sur les feuilles des arbres. La plante développera
aussi une résistance à plus long terme, semblable à
la réponse immunitaire. Cette réponse peut durer plusieurs
semaines et protéger la plante contre plusieurs types déléments
pathogènes. Il est possible de créer ce phénomène
de résistance avec des dérivés dagents
pathogènes qui peuvent déclencher la même réaction,
un peu à la façon dun vaccin.»
Pour ses recherches, Normand Brisson utilise la pomme de terre et
une herbe de la famille du colza, Arabidopsis thaliana, dont le génome
est complètement séquencé. La connaissance du
génome permet disoler un gène particulier, de
le désactiver par mutation et dobserver sil joue
un rôle dans le mécanisme de défense en soumettant
la plante à un agent pathogène.
Le procédé lui a permis de découvrir un des gènes
responsables du mécanisme de défense et qui semble commun
à la plupart des plantes. Lanalyse des régions
clés contrôlant lexpression du gène à
la suite de linfection de la plante a servi de point de départ
pour isoler deux protéines qui régissent la transcription
du gène. Ces études ont révélé
quil sagissait de nouveaux types de facteurs qui pourraient
bien jouer un rôle fondamental dans la réponse de défense.
Le débat sur les OGM
En plus denrichir nos connaissances sur des mécanismes
fondamentaux chez les plantes, les travaux de Normand Brisson pourraient
mener à des applications en agriculture. La détermination
de ces facteurs de transcription pourrait permettre, par exemple,
de produire des espèces plus résistantes par modifications
génétiques.
Même si les OGM nont pas la cote, le chercheur est convaincu
que ce procédé présente moins de danger que la
méthode traditionnelle de sélection par croisements.
«La méthode transgénique est moins dangereuse
parce quon sait exactement quels gènes on travaille et
quil est plus facile dévaluer les risques de ces
manipulations, dit-il. Lorsquon améliore une espèce
par croisements, on ne sait pas combien de gènes sont transférés.
Une pomme de terre modifiée de cette façon a causé
plusieurs morts dans le Maine il y a quelques années parce
que de fortes pluies avaient entraîné lapparition
de toxines quon ne connaissait pas.»
À son avis, le mouvement de réaction contre les OGM
relève de la désinformation, voire de linquisition
antiscientifique, et il est souvent alimenté par des arguments
qui relèvent plus des croyances religieuses que de la science.
Les opposants oublient de considérer, par exemple, que la plupart
de nos aliments, même ceux quon dit «naturels»,
ont fait lobjet de sélections génétiques
et nexistent pas à létat naturel. «Il
faut juger au cas par cas», déclare le chercheur.
Quant à largument dune meilleure distribution des
produits alimentaires comme véritable solution au problème
de la faim, Normand Brisson estime que cette solution nen serait
plus une dès 2050, alors que les méthodes traditionnelles
de culture ne suffiront plus à nourrir la planète. «Si
lon voulait dès maintenant ne produire que du biologique,
il faudrait au moins doubler la superficie actuelle des cultures,
avec tous les effets néfastes pour lenvironnement que
cela implique. Rien noblige par ailleurs que les OGM soient
entre les mains des multinationales.»
Considérant que la coévolution plantes-bactéries
se poursuit sans cesse, Normand Brisson reconnaît que la lutte
contre les agents pathogènes sera une lutte constante et que
larme génétique ne sonnera pas la fin de la guerre.
«Les OGM ne sont pas une panacée mais des outils complémentaires
de préservation de lenvironnement et de la biodiversité
qui pourraient avoir des effets extraordinaires.»
Daniel
Baril