Volume 35 numéro 29
7 mai 2001

 


La puce à l’oreille
Les prothèses auditives numériques ne surpassent que faiblement les prothèses analogiques, mais la voie est prometteuse.

Selon Michel Picard, les prothèses auditives numériques auront complètement remplacé les prothèses analogiques d’ici quelques années.

Les gens qui portent des prothèses auditives ont parfois un comportement qui déconcerte leurs interlocuteurs: en présence d’un bruit de fond même léger ou de plusieurs personnes qui parlent toutes à la fois, les malentendants ferment leur appareil, coupant ainsi toute communication avec les autres.

«En percevant les sons par les deux oreilles, nous pouvons établir un effet profondeur comme pour la vision, explique Michel Picard, professeur à l’École d’orthophonie et d’audiologie de la Faculté de médecine. Cette profondeur nous permet de filtrer, puis de sélectionner l’information sonore et de nous concentrer sur les paroles d’un interlocuteur en oubliant le bruit ambiant.»

Avec l’âge, l’atrophie des cellules ciliées responsables de la transformation de l’énergie mécanique du son en énergie électrique entraîne à la fois une perte d’acuité auditive et une diminution de cette capacité à sélectionner l’information. La seule compensation mécanique du son par les prothèses auditives ne suffit pas à rétablir l’ensemble des capacités parce que tous les phénomènes sonores ambiants sont amplifiés. Résultat, la personne ne perçoit que du bruit lorsque plusieurs sons se mélangent.


Prothèses numériques

Depuis 1995, une nouvelle génération de prothèses a vu le jour: les prothèses numériques équipées d’une puce capable de séparer le son ambiant et les paroles d’un interlocuteur.

Selon les tests effectués en laboratoire par Michel Picard pour le compte de la Régie de l’assurance-maladie du Québec, la première génération de prothèses numériques n’offre que peu d’avantages par rapport aux appareils analogiques. «Le son est perçu plus fort mais pas nécessairement de façon plus claire. Toutefois, des progrès ont été accomplis ces dernières années et les prothèses de deuxième génération sont dotées d’algorithmes plus performants et de deux micros directionnels. Elles ne permettent par contre que de filtrer un bruit constant.»

Selon le chercheur, le principal avantage de ces appareils proviendrait du système à double micro plutôt que de l’élément numérique comme tel. Ces résultats recoupent en partie ceux d’une étude britannique menée l’année dernière par le National Institute for Clinical Excellence et qui concluait que la composante numérique n’apporte que peu ou pas d’amélioration par rapport à celle analogique.


Pas de tests cliniques

Ces deux études mettent par ailleurs en évidence un fait troublant: aucun essai clinique n’est effectué sur les prothèses auditives avant leur commercialisation. «Ces appareils sont conçus en fonction de besoins particuliers, mais on n’a pas vérifié si l’algorithme réglait le problème auquel on a voulu s’attaquer», souligne Michel Picard.

Cet élément doit être pris en considération par les consommateurs puisque les prothèses numériques coûtent le double du prix des prothèses analogiques, soit de 1500 $ à 2500 $ pour les appareils à double micro. Les modèles portés derrière le pavillon peuvent durer jusqu’à quatre ans, mais les modèles intraauriculaires doivent être remplacés chaque année à cause de la sudation. Aux yeux du chercheur, ces coûts paraissent trop élevés par rapport aux avantages.

Les modèles à double micro n’offrent par ailleurs pas la même efficacité selon que le son ambiant arrive devant ou derrière l’auditeur; pour maximiser le rendement de l’appareil, il faut alors se placer en fonction de la provenance du bruit.

«La technologie n’a pas encore atteint la perfection de notre cerveau, mais les promesses d’un procédé plus fin sont là, estime toutefois Michel Picard, selon qui les espoirs sont permis. D’ici quelques années, il n’y aura plus de modèles analogiques sur le marché et le coût de fabrication des appareils numériques, plus faciles à produire, va diminuer avec la mise au point de nouveaux algorithmes.»

Tout le défi est là: trouver les bons algorithmes. La troisième génération de prothèses numériques annonce déjà des programmes pouvant ajuster les voyelles graves et les consonnes aiguës et distinguer non seulement un son ambiant constant mais aussi des bruits soudains. À brève échéance, les chercheurs entrevoient même pouvoir offrir des produits qui répondront aux besoins particuliers de chaque malentendant.

Daniel Baril