Linfidèle
Diego Rivera
Lucia
Élisa Fernandez-Bañuelos consacre sa thèse au
peintre muraliste.
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«Les
créations et la vie de Diego Rivera expriment un
intérêt social. Tout chez lui met en valeur
le travail, les loisirs, les activités quotidiennes
et la culture des gens, quils soient mexicains, américains
ou soviétiques», allègue Lucia Élisa
Fernandez-Bañuelos, qui a consacré sa thèse
de doctorat au muraliste le plus célèbre.
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Peintre mexicain
excentrique et militant politique, Diego Rivera (1886-1957) figure
parmi les artistes latino-américains les plus célèbres.
À la fois aimé et haï, le muraliste aux moeurs
libertines a toujours su jouer avec la vérité et la
fiction. Il aimait raconter des histoires sur sa vie pour séduire
les femmes, tromper la critique et entretenir les journalistes et
le public. Cerner sa vie et son oeuvre avec une approche psychologique
apparaît comme un défi considérable.
Cest ce que Lucia Élisa Fernandez-Bañuelos a tenté
de faire dans le cadre de sa thèse de doctorat. En prenant
comme objet détude lhomme et ses peintures dans
un contexte sociohistorique, la chercheuse au Département de
psychologie a mis en évidence le lien entre la personnalité
de Rivera et son travail créatif. Basée sur une nouvelle
approche utilisée en psychologie la psychobiographie
, létude confirme notamment que la prime enfance
de Rivera explique le produit artistique, comme le soutiennent les
tenants des théories psychanalytiques. La recherche démontre
également que les contenus des peintures sont influencés
par les événements de la vie quotidienne.
Pulsions libidinales et agressives
Les processus primaires de la pensée sont régis par
les pulsions libidinales et agressives. Les psychologues ont déjà
observé que les pulsions nourrissent le travail de tout créateur
jusquà un point culminant qui se situe autour de 40 ans.
À partir dune analyse des processus primaires contenus
dans les oeuvres de Rivera, la chercheuse a noté que le nombre
de pulsions augmente non seulement en fonction de lâge,
mais aussi en fonction de lexpérience et des changements
de style du peintre.
«Plus la pensée est dominée par le principe du
plaisir, plus elle est primaire, explique Lucia Élisa Fernandez-Bañuelos.
À linverse, plus la pensée est motivée
par les lois de la logique et de la réalité, plus elle
est secondaire. Lartiste peut utiliser ses processus primaires
de pensée grâce à la force du moi.» La peinture
de Rivera exprime en général un processus de type libidinal,
surtout à partir de 34 ans, lorsquil trouve son propre
style: la fresque. «Il nie déjà de façon
exubérante la mort qui lassaille, dit la chercheuse.
Mais ce nest que plus tard que lexpression des pulsions
agressives dans ses oeuvres devient plus fréquente et moins
socialisée.»
Lhistoire de la murale du Rockefeller Center de New York en
est un bel exemple. «Il avait refusé de modifier sa fresque
en changeant la figure dun des ouvriers par un visage anonyme,
raconte Mme Fernandez- Bañuelos. Rivera avait peint la tête
de Lénine! Il sera expulsé du centre et son oeuvre détruite.»
Mais le chef de file des muralistes a refait sa peinture au Palais
des beaux-arts, au Mexique. Cette fois, pour démontrer son
dédain, il a même ajouté des virus de MTS juste
au-dessus du portrait du riche mécène, Nelson Rockefeller.
Les créations et la vie de Diego Rivera expriment un intérêt
social. Tout chez lui met en valeur le travail, les loisirs, les activités
quotidiennes et la culture des gens, allègue la psychologue,
dont le père journaliste a fréquenté le célèbre
muraliste dans les années 40. «Pourquoi ai-je consacré
ma thèse à ce peintre? Parce que jai voulu mieux
comprendre le processus créateur, le lien entre la personnalité
et les oeuvres. Car malgré les nombreuses autobiographies et
les biographies consacrées à Rivera, il demeure un personnage
mystérieux.»
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La
fête des fleurs, une huile sur toile de 147,3 cm sur
120,7 cm réalisée en 1925, a contribué à
rendre lartiste célèbre. La fleur darum
deviendra un thème récurrent dans la peinture de
Rivera. Le tableau est exposé aujourdhui au Los Angeles
County Museum of Art. |
Amoureux de lamour
Tôt dans son enfance, Rivera est confronté à la
mort, notamment celle de son frère jumeau. Cela le marquera
à un point tel que la mort et son antithèse, la vie,
seront des thèmes récurrents dans ses peintures. «Devenu
fils unique, il est le centre dattention de ses parents, qui
lentourent de beaux jouets importés, raconte Mme Fernandez-Bañuelos.
Gâté, rebelle et présomptueux, le bambin fait
des crises de colère lorsquon nobéit pas
à tous ses caprices.»
Cest dailleurs ainsi que le chérubin devenu grand
se décrit dans une autobiographie. En réalité,
le peintre corpulent, socialiste dans lâme et amoureux
de la vie se sent coupable davoir survécu à son
jumeau, un rival idéalisé par sa mère, souligne
la chercheuse. «Pour lenfant, le dessin devient vite un
baume contre la douleur, dit-elle. Il dessine pour deux: pour lui
et pour son frère décédé.»
Dès son plus jeune âge, le petit Diego montre des qualités
artistiques. Un talent quil va développer à lAcadémie
des beaux-arts de San Carlos contre la volonté de son père,
qui voulait le voir entrer à lécole militaire.
En 1906, une bourse du gouverneur de lÉtat de Veracruz
et la vente de plusieurs toiles lui permettent de partir pour lEurope.
Rivera mène une vie itinérante, errant en Espagne, en
Belgique, en Angleterre et en France. Il y parfait son art.
À Paris, il côtoie des intellectuels comme Ilya Grigorievitch
Ehrenbourg et André Breton. Il se lie aussi damitié
avec plusieurs peintres, dont Amedeo Modigliani. Avec Pablo Picasso,
il fréquente les bordels de Pigalle. «Lamitié
avec Picasso tournera au vinaigre, révèle Lucia Élisa
Fernandez-Bañuelos. Leur rivalité, autant dans la peinture
que sur le plan donjuanesque, est la cause de leur conflit.»
Homme laid mais charmant, il se fait aimer de beaucoup de femmes par
son talent et son côté sensible au plaisir et à
la joie du moment. «La mort de son fils Diego Miguel Angel et
celle de son ami Modigliani, plus le scandale causé par un
ménage à trois et par une fillette non reconnue, lincitent
en 1920 à partir en Italie, où il étudie lhistoire
de lart de ce pays.» Dix-sept mois plus tard, encouragé
par lévolution politique et sociale du Mexique, il tourne
le dos à lEurope et rentre au pays.
«Dès son retour au Mexique, Rivera sinspire de
ses propres racines et du mode de vie des Mexicains. Il conçoit
lidée dun art au service du peuple qui, au moyen
de peintures murales, vise à servir la cause révolutionnaire,
indique la chercheuse. Sa nourrice indigène, Antonia, pour
qui le jeune Diego avait beaucoup daffection, symbolise souvent
ce peuple.» Limpact de cette relation intense lui donne
de nouveaux intérêts et lui ouvre de nouvelles perspectives.
Désormais, ses oeuvres constituent une sorte de discours politique
rendu en images et expriment une utopie: lhomme peut changer
la société par la force de sa créativité.
Lui ne change pas. Après un mariage avec un de ses modèles
une union qui durera cinq ans et de laquelle naîtront
deux enfants , il épouse Frida Kahlo, une artiste peintre.
Ils forment un couple excentrique, touchant et engagé comme
le furent Sartre et De Beauvoir. Mais pour cette femme, il sagit
dun amour qui sera partagé entre la politique, la peinture
et les autres dames, notamment sa propre soeur. Elle se vengera de
son infidélité avec le penseur russe Léon Trotski,
en exil au Mexique.
Diego Rivera est mort dun cancer en 1957, à lâge
de 72 ans.
Dominique
Nancy