«Prendre
soin», lune des plus anciennes préoccupations humaines
Des
bioéthiciens signent une Histoire de léthique
médicale et infirmière.
|
Professeur
émérite de la Faculté de théologie
et coauteur dune Histoire de léthique
médicale et infirmière, Guy Durand croit que
louvrage intéressera étudiants, médecins,
infirmières et intervenants du monde
de la santé. |
|
Les Grecs nont
pas été épargnés par les épidémies
mortelles. Lampleur de la malaria, durant lAntiquité,
a été telle quelle aurait, selon certains auteurs,
contribué à la décadence de la civilisation grecque.
Après avoir survécu aux guerres, aux conquêtes
et aux grandes interrogations philosophiques, la Grèce aura
donc capitulé devant
les moustiques.
Les écrits dHippocrate (v. 460-377 avant notre ère)
relatent une épidémie doreillons causée
par la malaria sur lîle de Thassos. Lauteur du célèbre
Serment naura pas su atténuer les souffrances
quelle a engendrées ni la circonscrire. Il faut dire
que les pouvoirs de la médecine étaient alors plutôt
limités; oniromancie, divination, incantation et magie étaient
les principaux instruments des cliniciens.
Dans un imposant ouvrage que viennent de publier aux Presses de lUniversité
de Montréal Guy Durand, Andrée Duplantie, Yvon Laroche
et Danielle Laudy: Histoire de léthique médicale
et infirmière, on apprend que autour du 8e siècle
avant Jésus-Christ est fondée la communauté des
Asclépiades, réunissant des prêtres-médecins.
La guérison est obtenue par la volonté divine, mais
lintermédiaire humain est requis. «Dans cette perspective,
le médicament est recommandé par le dieu, mais le travail
de diagnostic et de thérapeutique est fait par le prêtre-médecin-infirmier,
peut-on lire. Les Asclépiades développent ainsi des
connaissances à partir de leurs propres observations cliniques
et tiennent des archives. Ils inaugurent une approche rationnelle,
globale, empirique.»
Peut-on y voir les bases de la médecine moderne? En quelque
sorte, puisque cette approche mettait fin à près de
trois millénaires dune «pensée médicale
à peu près inexistante» où limploration
des dieux demeurait lessentiel de la pratique médicale.
Médecine et soins infirmiers, même combat
Le titre de cet ouvrage peut surprendre, car les sciences infirmières
et la médecine sont habituellement abordés séparément
dans les ouvrages savants. «On a tendance à placer les
médecins bien haut et les infirmières bien bas, explique
M. Durand en entrevue. Les médecins dictent, les infirmières
exécutent. On oublie que la médecine, autrefois, cétait
les soins infirmiers daujourdhui. Il nous semblait important
de le souligner dans le cadre dun travail de recherche historique
qui remonte aux sources de la volonté humaine de diminuer la
souffrance dautrui.»
Ces sources se perdent dans la nuit des temps, mentionnent les auteurs,
pour la plupart bioéthiciens. «Lhistoire des soins
commence avec celle des espèces vivantes et se poursuit avec
lapparition de lHomo sapiens, que les ethnopaléontologues
font remonter à cinq ou six millions dannées.
Et cette histoire se construit autour du souci permanent dassurer
la continuité de la vie. Soigne, veiller
à représentent un ensemble dactes qui ont
pour but dentretenir la vie des êtres vivants, de permettre
à celle-ci de se développer et de lutter contre la mort,
celle de lindividu autant que celle du groupe, de la communauté,
voire de lespèce. Prendre soin est lune
des plus vieilles expressions de lhistoire humaine.»
La préoccupation éthique croît parallèlement
aux pouvoirs de la médecine. La bioéthique elle-même
naît formellement dans les années 70 avec linstauration
des systèmes de santé modernes. M. Durand souligne que
certains thèmes sont récurrents. «Leuthanasie,
lavortement, la contraception, lexpérimentation
chez des sujets humains sont des thèmes qui ont suscité
beaucoup de controverses, depuis les débuts. Parallèlement,
on note un souci constant pour le respect de la vie, la justice, la
confidentialité.»
Construction originale
Louvrage présente différentes époques,
de lAntiquité à la première moitié
du 20e siècle, en les abordant de façon semblable:
après lintroduction suivent une description de la situation
sanitaire, puis des sections sur lorganisation de la médecine
et des soins et un exposé sur létat des connaissances
et des techniques. Les auteurs présentent ensuite une brève
anthropologie médicale et situent léthique et
la déontologie médicales et infirmières. Enfin,
des questions déthique particulières sont traitées.
On ne saurait aborder une histoire de léthique sans présenter
le contexte. Ainsi, un tour dhorizon de la situation sanitaire
simpose. Par exemple, on signale que la peste, la lèpre,
lergotisme et dautres maux affectent la population de
la Renaissance. Même la sorcellerie est évoquée
comme un phénomène qui a une incidence sur la santé,
car les femmes, les juifs, les étrangers et les marginaux font
les frais de la mentalité de lépoque.
La transformation des croyances a de quoi surprendre. Entre Hippocrate
considérant que les médecins ne devaient pas sapprocher
des corps des malades, Montaigne qui sopposait à la dissection
(les morts ne peuvent en apprendre aux vivants, croyait-il) et la
confiance daujourdhui envers la médecine technologique,
léthique aura toujours cherché à comprendre.
Cest «lart de diriger la conduite», selon
Le petit Robert.
«Léthique est-elle un empêcheur de tourner
en rond? Je ne crois pas. Il faut participer aux risques de la recherche.
La réflexion, ça sauve lhumanité»,
conclut Guy Durand.
Mathieu-Robert Sauvé
Guy
Durand, Andrée Duplantie, Yvon Laroche et Danielle Laudy, Histoire
de léthique médicale et infirmière,
Presses de lUniversité de Montréal, 2000, 368
p.