Volume 35 numéro 29
7 mai 2001

 


Un médecin de famille pour chaque Québécois
Création de la chaire Docteur-Sadok-Besrour pour favoriser la recherche en médecine familiale.

La Dre Marie-Dominique Beaulieu défend la médecine familiale depuis près d’un quart de siècle. Elle s’est réjouie de voir la commission Clair préconiser un médecin de famille pour chaque Québécois.

Comment amener les Québécois à avoir plus largement recours à un médecin de famille? Les étudiants sortants en médecine doivent-ils bénéficier de mesures financières incitatives pour choisir la voie de la médecine familiale? Comment faire en sorte que les médecins, infirmières et autres intervenants de la santé travaillent dans la continuité auprès des patients qui fréquentent l’hôpital, le cabinet et le CLSC?

C’est le genre de questions auxquelles la chaire Docteur-Sadok-Besrour en médecine familiale, créée récemment grâce à une mise de fonds de près de trois millions de la fondation Bombardier, de la Fondation du CHUM et de la société Power Corporation du Canada, tentera de répondre au cours des prochaines années. «Nous ne mènerons pas de recherches avec des rats et des éprouvettes. Nous allons faire de la recherche appliquée et notre laboratoire se situera dans les CLSC, dans les cabinets, partout où il y a des médecins de famille», explique la Dre Marie-Dominique Beaulieu, titulaire de cette chaire.

Professeure à l’Université de Montréal depuis 1986, la Dre Beaulieu est l’une des premières universitaires québécoises à avoir cru en l’importance de la recherche en médecine familiale. Quand la commission Clair a rendu public son rapport en janvier dernier, recommandant un médecin de famille pour chaque Québécois, cela a été pour elle une sorte de victoire. «Nous y croyons depuis longtemps, à ce modèle, dit-elle. D’ailleurs, nous avions rédigé un mémoire pour cette commission. Plusieurs de nos idées semblent avoir été retenues.»

Dans son allocution au lancement de la chaire qui porte son nom le 3 mai dernier, le Dr Sadok Besrour a rappelé que ce projet a germé en 1997, alors que le directeur du Département de médecine familiale, Bernard Millette, lui a parlé de cette idée. «Nous avons alors formé une minicommission Clair puisque nous avons consulté l’Université de Montréal, le CHUM, le ministère de la Recherche, de la Science et de la Technologie et le ministère de la Santé et des Services sociaux. Et tous ces intervenants ont partagé notre diagnostic.» À savoir qu’un virage devait être amorcé du côté de la médecine familiale.

La titulaire de la chaire, elle-même médecin de famille et épidémiologiste, reçoit des patients à l’hôpital Notre-Dame une douzaine d’heures par semaine. Elle estime que la création de cette chaire en médecine familiale, en plus de marquer un point tournant dans sa carrière personnelle, arrive à point nommé. «C’est une belle continuité depuis 25 ans, déclare-t-elle. Aujourd’hui, le Québec compte quatre programmes de médecine familiale et plus de 280 professeurs sont associés au Département de l’Université de Montréal. Investir dans ce secteur, c’est investir dans une formule gagnante.»


Groupes de médecins de famille

D’ici 2006, si l’on en croit la commission Clair, trois Québécois sur quatre seront inscrits auprès de groupes de médecins de famille qui leur assureront l’accès à des services complets 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Pour y parvenir, des équipes de 6 à 10 omnipraticiens travailleront en collaboration avec des infirmières cliniciennes. Chaque résidant s’inscrira auprès du «groupe de médecine familiale» de son choix pour une période déterminée. Chaque groupe aura la responsabilité de 1000 à 1800 patients.

Au Département de médecine familiale de la Faculté de médecine, dont la Dre Beaulieu est directrice, on n’a pas attendu la commission pour mettre sur pied de tels groupes. Un projet pilote était en cours d’élaboration depuis l’été 2000 visant à expérimenter cette approche.

La chaire Docteur-Sadok-Besrour en médecine familiale s’attaquera prioritairement au problème de la désaffection des jeunes médecins pour la carrière du médecin de famille. «Longtemps, la mode a été à la surspécialisation, souligne la titulaire de la chaire. Les médecins n’y ont pas échappé. Nous en payons le prix aujourd’hui, car il y a un manque flagrant de médecins de famille.»

Un sondage mené l’an dernier au Québec par le Conseil des médecins de famille du Canada confirme cette réalité. Plus de 43 % des répondants estiment que l’accès aux médecins de famille est problématique et 63 % croient que le nombre de médecins de famille est insuffisant.

En plus de s’attaquer à l’accès aux médecins et aux services de deuxième et de troisième ligne, deux autres questions sont jugées prioritaires par la titulaire: la coordination et la continuité des soins ainsi que la formation de la relève.

La chaire Docteur-Sadok-Besrour en médecine familiale a été lancée le 3 mai en présence (dans l’ordre habituel) de Laurent Beaudoin, président du conseil d’administra-tion et du comité exécutif de Bombardier inc.; Marie-Dominique Beaulieu, titulaire de la chaire; Claude Benjamin, président du conseil d’administration du CHUM; le Dr Sadok Besrour, initiateur du projet; Robert Lacroix, recteur de l’Université de Montréal; Janine Bombardier, présidente de la fondation J.-Armand-Bombardier; André Desmarais, président et cochef de la direction de Power Corporation du Canada; et Robert E. Brown, coprésident de la campagne Un monde de projets et président de Bombardier inc.


Rémy Trudel y croit

Quelques semaines après que la ministre de la Santé et des Services sociaux Pauline Marois a donné son appui à la recommandation no 4 de la commission Clair (un médecin de famille pour chaque Québécois), elle a quitté ses fonctions. Son successeur, Rémy Trudel, a laissé entendre qu’à son tour il ferait sienne cette recommandation. Tout laisse croire, donc, que la médecine familiale sera beaucoup plus intégrée au système de santé des prochaines années.

Marie-Dominique Beaulieu s’en réjouit, car le médecin de famille assure la qualité personnalisée des soins sur une longue période, voire d’une génération à l’autre. La mise en place d’un tel système coûtera bien des efforts et de l’argent, mais à long terme Mme Beaulieu croit que les Québécois seront gagnants. «En termes purement matériels, le coût ne sera pas plus élevé. Quand on peut joindre son médecin de famille, on désengorge les urgences, on diminue le double emploi des ressources, on prévient les interactions médicamenteuses, etc. Il faut investir dans cette voie. C’est une vision d’avenir.»

Mathieu-Robert Sauvé