Les
pour et les contre dune loi antigang
André
Normandeau et Carlo Morcelli saffrontent au cours dun
débat.
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André
Normandeau (à gauche) et Carlo Morcelli ont croisé
le fer à loccasion dun débat sur
la loi antigang. Le premier est en faveur, le second, contre. |
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Les activités
des Hells Angels, Rock Machines et Nomads ne représentent pas
une menace pour la population et ne devraient pas mener à ladoption
dune loi antigang plus musclée que celle quon possède
depuis 1997.
Cest du moins lopinion du criminologue Carlo Morcelli,
qui termine une thèse de doctorat sur le crime organisé.
Il a exposé son point de vue à un débat-midi
rassemblant une cinquantaine détudiants en criminologie
le 4 avril dernier. Le spécialiste nouvellement engagé
par lUniversité de Montréal (il entrera en fonction
le 1er juin, soit un mois après la soutenance de sa thèse)
estime quune loi antigang comme celle qui a été
déposée récemment à la Chambre des communes
sera inutile et inefficace. «On veut prolonger de 14 ans la
peine demprisonnement de personnes coupables davoir fait
partie de groupes criminels organisés. Cest une loi dune
ampleur énorme pour une menace qui nexiste pas.»
Et les 150 meurtres depuis 1994, au Québec, attribués
aux gangs de motards criminalisés? «Quon juge les
coupables comme des meurtriers, pas comme des membres de gangs»,
répond M. Morcelli. Limportance médiatique accordée
au décès du petit Daniel Desrochers, victime dune
explosion dorigine criminelle, mais surtout à la tentative
dassassinat du journaliste Michel Auger est principalement responsable
de la pression publique pour ladoption dune nouvelle loi
antigang. Le Bloc québécois, notamment, sest beaucoup
battu pour donner du muscle aux services policiers dans leur lutte
contre le crime organisé.
André Normandeau, également professeur à lÉcole
de criminologie, croit, au contraire, quune loi antigang est
nécessaire. À son avis, la violence des groupes représente
bel et bien une menace publique. Il y a moyen de viser spécifiquement
les groupes de criminels sans faire dentorses aux lois en vigueur
ni à la Charte canadienne des droits et libertés. «Le
fait dappartenir à un gang de criminels est une circonstance
aggravante, signale-t-il. Cela signifie quon nimposera
pas 14 ans demprisonnement à une personne simplement
parce quelle porte le blouson des Hells. On la condamne pour
tel ou tel crime, mais sa peine sera éventuellement plus sévère.»
Dérapages en vue
Pour M. Morcelli, la loi ouvrira la porte à des dérapages
qui limiteront les libertés civiles. «Dans les faits,
affirme le criminologue, nous vivons une situation analogue à
celle quont connue les États-Unis dans les années
50 et 60, alors que la mafia sicilienne provoquait une peur collective
démesurée à Chicago et à New York. Des
universitaires ont montré que la mise sur pied de la commission
Rico, notamment, était exagérée dans les circonstances.
Plusieurs études très documentées laffirment.»
Visant à porter un coup fatal à la pègre, la
commission Rico a fini par capturer dans ses filets des gens qui navaient
sur la conscience aucune activité illégale, des manifestants
anti-avortement par exemple.
Carlo Morcelli souligne que la définition du crime organisé
pose problème. Une définition traditionnelle associe
aux groupes de criminels des critères comme la hiérarchie
du pouvoir, la violence et la recherche de monopoles. À son
avis, les groupes de motards qui sévissent au Canada ne sont
pas hiérarchisés puisque les individus ne répondent
aux ordres que si cette obéissance sert leurs intérêts.
De plus, ils nutilisent pas systématiquement la violence
pour arriver à leurs fins et nont pas toujours le monopole
sur les produits quils offrent. Peut-on, dès lors, parler
de groupes de criminels?
Un autre problème se pose avec lexistence dune
telle loi: le système judiciaire sappuie tant sur les
témoignages de délateurs quil devient en grande
partie dépendant du milieu criminel pour fonctionner. Pour
M. Morcelli, il y a là un problème moral sérieux.
Dautant plus que les délateurs, qui parfois sont de grands
criminels qui acceptent de collaborer, sen tirent parfois très
bien par comparaison avec des bandits de moindre importance.
Une loi, veut, veut pas
Là où André Normandeau rejoint Carlo Morcelli,
cest lorsque le jeune chercheur fait remarquer que ce sont les
médias qui ont fait bouger le gouvernement après lincident
dans le stationnement du Journal de Montréal. Pourtant,
la guerre des motards avait fait plusieurs dizaines de victimes avant
cela
«Sur le plan sociologique, il a raison et cette observation
est pertinente. Mais je suis en désaccord sur les autres points»,
signale le professeur Normandeau.
Quoi quil en soit, il faudra apprendre à vivre avec une
loi antigang. Dès le lendemain du débat, la Chambre
des communes recevait le projet de loi sur le crime organisé.
Une loi qui reprend lessentiel des neuf lois précédentes
sur cette question et qui donne une immunité sans précédent
aux policiers pour quils puissent conduire leurs enquêtes
auprès des organisations criminelles.
On peut dire que ce débat-midi arrivait à point nommé,
une semaine après lopération «Printemps»,
qui a mené à plus de 127 arrestations chez les motards
criminalisés, et une journée avant le dépôt
dune loi antigang attendue depuis plusieurs mois.
Mathieu-Robert Sauvé