Ces
criminels au service de la justice
Le
recours aux délateurs est un mal nécessaire, selon Me
Louise Viau.
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«Dautres
preuves que le seul témoignage dun délateur
sont nécessaires pour établir la culpabilité
dun accusé», soutient Louise Viau. |
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«Récompense
de 75 000 $ pour toute information visant à faire arrêter
les responsables de la tentative de meurtre contre Michel Auger.»
Ce type dappel aux informateurs, délateurs ou repentis
lancé à lendroit du crime organisé est
loin de faire lunanimité dans les milieux du droit et
de la justice.
«Avec les moyens denquête comme lécoute
électronique, les filatures et les perquisitions, recourir
à des délateurs à qui lon offre des avantages
pécuniaires ou des allègements de peine apparaît
comme un échec du travail des policiers. Ce nest certes
pas le pinacle dun État démocratique fondé
sur la suprématie du droit», affirme Louise Viau, professeure
à la Faculté de droit.
En juillet dernier, Me Viau livrait à la magistrature canadienne,
réunie dans le cadre des séances de formation des Journées
strasbourgeoises, son analyse du recours aux délateurs dans
la lutte contre le crime organisé. Si elle reconnaît
la nécessité dutiliser le témoignage de
criminels que la justice désigne sous le terme de «témoins
repentis pour percer un milieu fermé, elle insiste
sur lobligation daccumuler dautres preuves de culpabilité.
Dérapages et mesures correctives
Les problèmes que soulève cette pratique sont de divers
ordres, mais le principal a trait à ladministration de
la justice elle-même. Certaines causes célèbres
ont dailleurs suscité lindignation de la population.
Celle dYves Trudeau, par exemple, un tueur à gages qui
a avoué 43 meurtres à caractère prémédité
et qui sen est tiré avec une accusation réduite
dhomicide involontaire coupable, ce qui lui donnait droit à
une libération conditionnelle après sept ans.
Un autre tueur à gages, Michel Blass, a pour sa part confessé
15 meurtres; remis en liberté après neuf ans de prison,
il a commis un nouveau meurtre deux ans plus tard, alors quil
bénéficiait dune nouvelle identité accordée
par la justice.
Selon Louise Viau, les dérapages de ce genre ont été
à lorigine de la mise sur pied du Groupe de travail Guérin,
qui sest penché sur le recours aux délateurs et
dont le rapport a été remis en 1991. «Le rapport
recommandait de mieux encadrer le recours aux délateurs, notamment
par la création dun comité chargé daccepter
ou de refuser les conditions de lentente, rappelle Me Viau.
Ces conditions devaient aussi faire lobjet dun contrat
en bonne et due forme qui devait être rendu public.»
Quant aux versements dargent, ils ne devaient en aucune manière
constituer une récompense mais servir à assurer la protection
du délateur pour une durée limitée ainsi que
sa réinsertion dans le marché du travail.
Selon linformation dont dispose la professeure, le processus
de contrôle proposé par le rapport Guérin serait
«maintenant rigoureusement suivi», ce dont elle se réjouit.
Les responsables ont même ajouté un contrôle supplémentaire,
soit le test du détecteur de mensonge.
«Les mesures adoptées sont de nature à rendre
la pratique plus crédible et transparente», reconnaît-t-elle.
Peu de données
Par ailleurs, peu de données sont actuellement disponibles
pour permettre une véritable analyse scientifique du recours
aux délateurs et de lefficacité de la méthode.
Même si le rapport Guérin et la commission Poitras
tenue en 1999 pour faire la lumière sur les méthodes
denquête de la Sûreté du Québec et
dont Me Viau a fait partie ont recommandé la publication
dun rapport annuel sur lutilisation des «témoins
repentis», le seul publié à ce jour est celui
de 1998.
On y apprend quentre 1992 et 1998 les services denquête
ont eu recours à 69 repentis pour éclairer 218 dossiers
impliquant 250 accusés. Quelque 156 de ces accusés ont
plaidé coupables et 25 autres ont été reconnus
coupables, ce qui représente un taux de succès de 82
%. Au moment où ces chiffres étaient rendus publics,
32 autres accusés étaient en attente de procès.
Le recours aux délateurs a atteint un sommet en 1995 et 1996
(soit 32 pour ces deux années), ce qui serait un effet de lescouade
Carcajou. Il est par la suite retombé à 4 en 1998, ce
qui, selon la professeure, indique une prise de conscience des difficultés
reliées à cette méthode denquête.
On apprend également quels sont les avantages que les autorités
sont prêtes à consentir aux délateurs: protection
du collaborateur et du conjoint, réinstallation dans un nouveau
milieu, octroi dune nouvelle identité, paiement maximal
de 400 $ par semaine après la sortie de prison et pendant un
maximum de deux ans pour faciliter la réinsertion sociale.
Il est par contre impossible de savoir si les délateurs accusés
dhomicide involontaire ont bénéficié daccusations
réduites.
Me Viau se dit par ailleurs convaincue que les corps policiers ont
tiré des leçons des dérapages et des échecs
qui ont marqué le recours aux délateurs ces dernières
années et quils seront mieux outillés dans les
procès qui se préparent contre les motards criminalisés.
«Ce sera un test pour lefficacité de la méthode»,
estime-t-elle.
Daniel
Baril