Le
droit à la folie
Hugues
Parent étudie lhistoire de la folie juridique.
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«Le
traitement réservé au fou par
le droit criminel renvoie directement à létude
du sort réservé à celui qui ne lest
pas, selon le professeur Hugues Parent. Car cest en
définissant le concept de laliénation
quon peut établir la normalité.» |
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Hugues Parent
lit Allô Police et Le Journal de Montréal en
buvant son café. «Ces journaux contiennent une mine de
renseignements sur les crimes, dit le professeur de la Faculté
de droit. Jy fais souvent référence dans mes cours.»
Ces lectures ne lempêchent pas de dévorer le Code
criminel et les derniers essais sur le droit pénal. Mais les
journaux jaunes rapportent quotidiennement une pléthore de
faits divers qui renseignent sur la «folie» des gens.
Pour un spécialiste du droit pénal, cest une aubaine.
«Quest-ce que la folie aujourdhui? Cest difficile
à dire, allègue le professeur Parent, car on hésite
à concevoir les manifestations psychopathologiques en dehors
des limites réductrices du concept de la maladie mentale.
La perception du fou varie aussi selon les époques,
les valeurs et les croyances des membres dune population donnée.»
La maladie mentale fait peur
Le Canada a fait des progrès depuis lépoque où
lon enfermait un poète du nom de Nelligan. Mais ce nest
que depuis une dizaine dannées quon reconnaît
aux gens qui souffrent de troubles mentaux des droits individuels.
Suivant lancienne règle de la jurisprudence anglaise,
établie au début du 19e siècle, une personne
ne pouvait subir un châtiment si elle était dans un état
tel quelle ne pouvait distinguer le bien du mal au moment où
elle commettait son crime. On parlait alors dirresponsabilité
pénale.
«À cette époque, on note une brèche dans
le discours juridique sur la folie, soutient Hugues Parent. Alors
quà la Renaissance le fou était comparé,
au Canada, en Angleterre et en France, à une bête dépourvue
de raison, on observe en Angleterre et au Canada une peur à
légard des personnes acquittées en raison de leur
état desprit. Pour contrer la menace, le Parlement britannique
adopte, en 1800, une loi qui prévoit linternement automatique
des aliénés qui commettent un délit grave. Cette
présomption de dangerosité sera maintenue et appliquée
pendant près de deux siècles dans ces pays.»
En reconnaissant létat de folie de laccusé,
on le disqualifiait du point de vue criminel et on lexcluait
aussitôt de la société, précise M. Parent.
Car le caractère imprévisible de laliéné
représentait une menace publique. Mais de nos jours, la situation
juridique de la personne malade mentale au Canada et en Angleterre
assure larrimage des valeurs de sécurité publique
et de liberté individuelle. «Avec la Charte canadienne
des droits et libertés, la condition de la personne psychiquement
anormale au pays ressemble à celle que nous retrouvons en France»,
affirme le chercheur.
Évolution du discours
Engagé par lUniversité en juin dernier, Hugues
Parent a consacré sa thèse de doctorat à cet
objet de recherche. Il a étudié la folie en droit pénal
français, anglais et canadien dans une perspective historique
et comparatiste. Son analyse prend aussi en considération les
connaissances médicales sur le sujet. Sous la direction dAnne-Marie
Boisvert, professeure à la Faculté, sa recherche lui
a valu en 1999 le prix annuel de la meilleure étude en droit
parue dans la collection Minerve aux Éditions Yvon Blais.
«Jai essayé de démontrer que la production
des discours sur la folie est orientée par les objectifs de
la discipline, explique M Parent. Contrairement à la médecine,
dont le but est de diagnostiquer et de traiter les maladies mentales,
le système juridique tente de déterminer les frontières
de la responsabilité individuelle. Mais à lintérieur
même du droit, on observe une évolution du discours,
parfois contradictoire. La responsabilité et la peine en droit
criminel, en France, au Canada ou en Angleterre, ont dailleurs
longtemps été dictées par des sentiments et des
valeurs opposés.»
En fait, jusquen 1990, le contenu de la défense daliénation
mentale en France na pas été exactement le même
que celui des pays de la common law. Au Canada et en Angleterre, la
personne qui souffrait de troubles mentaux à lorigine
dun acte interdit échappait à la sanction et était
automatiquement internée, allègue le chercheur. En France,
à la suite de la Révolution française, lirresponsabilité
pénale a plutôt été gouvernée par
les principes de la liberté individuelle et par le désir
de réadapter socialement lindividu.
Dominique Nancy
Hugues
Parent, Responsabilité pénale et troubles mentaux:
histoire de la folie en droit pénal français, anglais
et canadien, collection Minerve, Cowansville, Éditions
Yvon Blais, 1999.