Médias,
conglomérats et information
Forum présente
les deux textes retenus par le jury des Bourses du 20e anniversaire
du Département de communication. Les lauréats ont reçu
chacun une bourse de 1500 $ de la Fondation du cercle des femmes
journalistes.
La menace des conglomédias
Par Tristan Péloquin
«La pogne, je lai pognée, cest que la presse
est pognée dans les mains dune poignée de CONRADicaux
qui se baladent en PÉLADEAU sur DESMARAIS venteux (1)»,
rappent Biz et Chafiik, membres de la formation hip-hop Loco Locass.
Ils ne sont pas les seuls à craindre les conglomédias.
La nouvelle configuration médiatique imposée par la
doctrine néolibérale tend plusieurs pièges au
métier de journaliste. La commission parlementaire sur la concentration
de la presse, réclamée par le milieu journalistique,
se penchera sur le problème le 13 février prochain.
Déjà, plusieurs journalistes se questionnent sur la
nouvelle donne.
«Quelle garantie les journalistes et le public ont-ils que les
nouveaux empires vont accorder une place de choix et des moyens adéquats
à linformation (2)?» demande Hélène
Pichette, présidente de la Fédération professionnelle
des journalistes du Québec. Aux yeux des grands empires médiatiques
qui offrent des contenus très variés, linformation
est coûteuse à produire et sa rentabilité est
loin dêtre assurée. Les mégafusions imposent
donc de profonds remaniements. Au Québec, la fusion entre Quebecor
et Vidéotron a forcé TVA à faire dimportantes
compressions. En supprimant le poste de vice-président à
linformation et aux affaires publiques, TVA laisse croire que
la priorité de la chaîne est ailleurs. Son nouveau vice-président
à linformation et à la programmation, Philippe
Lapointe, joue un double rôle administratif qui fait sursauter
certains observateurs. «Entre lacquisition (peu coûteuse)
dun film et la production (beaucoup plus dispendieuse) dune
émission daffaires publiques, quest-ce qui va être
choisi (3)?» demande Armand Dubois, journaliste à
TVA.
Ailleurs au Canada, lacquisition de la chaîne de journaux
Holligner par CanWest inquiète beaucoup de journalistes. «CanWest
investit moins dans les salles de nouvelles télévisées
que ses concurrents (4).» CanWest aura-t-elle la même
approche avec ses quotidiens?
La récente histoire concernant le magazine 7 Jours et
René Angelil, le mari et limprésario de Céline
Dion, témoigne du recul de lindépendance de linformation.
Limbroglio qui a poussé la direction de 7 Jours
à jeter à la poubelle 200 000 copies de son numéro
spécial sur la grossesse de la célèbre chanteuse
est la preuve quil est possible, pour certaines personnes influentes
auprès des dirigeants dentreprises médiatiques,
de contrôler le contenu de la presse. «Si on embarque
là-dedans, on ne rapportera plus les événements
tels quels mais seulement à la lumière, sous léclairage
que veulent leur donner les gens concernés (5)»,
a indiqué Hélène Pichette.
Avides de cotes découte et de tirages astronomiques,
les conglomédias exigent que linformation divertisse.
Linformation-spectacle occupe maintenant une place considérable
dans la société québécoise, faisant des
Gilles Proulx et André Arthur des «joueurnalistes»
vedette. TQS fait ses choux gras avec sa formule 5 à 7, animée
par Jean-Luc Mongrain et faisant léloge des trois S:
sexe, sang et sports. On confond de plus en plus les genres, sans
que le public soit toujours en mesure de faire la différence
entre le divertissement et linformation sérieuse. À
CKAC, on nhésite pas à porter des jugements très
rapides pour charmer lauditoire, comme en témoigne la
poursuite intentée contre le Dr Mailloux. Les lignes ouvertes
radiophoniques sont devenues «prétexte à une démarche
média de grande écoute plutôt que la démonstration
dune relation daide efficace (6)». Le rôle
de la presse nest-il pas plutôt de décrire et danalyser
intelligemment les enjeux sociaux?
Pour les besoins de la rentabilité, on demande aux journalistes
de travailler toujours plus vite. Pourtant, «aujourdhui
plus que jamais, comprendre les événements nécessite
quon sarrête un moment pour les analyser (7)»,
souligne André Pratte, journaliste au quotidien La Presse,
dans son essai Les oiseaux de malheur.
En somme, le journalisme fait face à un courant qui le pousse
vers une pratique moins rigoureuse du métier. Nombreux sont
ceux qui dénoncent cette situation avec une ténacité
illimitée. Cest un véritable défi auquel
font face les acteurs du quatrième pouvoir, un défi
colossal quil faudra relever avec détermination parce
que les enjeux sociaux que nous apporte le nouveau millénaire
sont de taille.
1. Loco Locass,
«Médiatribes», Manifestif, Audiogram, 2000.
2. Hélène Pichette, «Faut-il craindre les mégafusions
de médias?», Le Devoir, 8 septembre 2000.
3. Hugo Dumas, «Philippe Lapointe a deux chapeaux»,
La Presse, 6 décembre 2000.
4. Hélène Pichette, op. cit.
5. André Duchesne, «Les journaux disent nimporte
quoi sur nous», La Presse, 17 décembre 2000.
6. Rollande Parent, «Le psychiatre Pierre Mailloux jugé
sévèrement par un pair», La Presse, 17 janvier 2001.
7. André Pratte, Les oiseaux de malheur: essai sur les médias
daujourdhui, Montréal, VLB éditeur,
2000.
Information
recherchée ou négligée?
Par Anne-Marie Quirion
On attend du journaliste quil informe parfaitement. Informer
exige beaucoup de rigueur, une discipline de la pensée, un
grand sens de léquité, une curiosité de
tous les instants, une culture générale solide, une
capacité à exécuter un travail jamais mise en
défaut, lélaboration dune méthode
éprouvée et
jarrête parce que vous
direz quune telle personne nexiste pas.
Pourtant, quelle responsabilité que celle décrire
à plusieurs milliers dexemplaires! Des centaines et des
centaines de personnes se feront une idée uniquement sur la
base de quelques mots alignés rapidement par un informateur
pas toujours parfaitement informé
Mais le journalisme, y croyons-nous encore? Bien des journalistes
ont perdu la passion qui les animait au début de leur carrière.
André Pratte, journaliste à La Presse et auteur
du livre Les oiseaux de malheur, croit quil y a une explication
à tout cela: «Le fossé ne cesse de sagrandir
entre le journalisme que nous faisons et celui que nous voudrions
pratiquer. Nous aimerions enquêter, révéler, renseigner,
éduquer, nuancer
mais que faisons-nous à part
critiquer, dénoncer et accuser?» Avec des explications
de la sorte, André Pratte naffirme pas que le journalisme
de lan 2000 est pire que celui dhier, mais il garde toujours
à lesprit le fait que, dès 1920, le grand journaliste
américain Walter Lippman écrivait: «Il y a partout
une désillusion croissante à légard de
la presse, une impression grandissante davoir été
confondu et induit en erreur.»
Aujourdhui, le journaliste doit être en mesure dappréhender
rapidement une situation ou un événement, de les mettre
en contexte grâce à ses connaissances et den saisir
les implications. Peut-on transmettre une information quon na
pas comprise soi-même? Cest là lessentiel
du travail du journaliste: comprendre ce qui se passe pour pouvoir
bien le communiquer, mais avant tout sassurer davoir la
meilleure source dinformation possible. Imbibé dans un
monde architechnologique où toutes les sources sont en compétition,
le principal défi de communication du journaliste au début
des années 2000 est sans doute dacquérir linformation
la plus pertinente, issue dune source sûre et fiable.
Communiquer les vraies affaires à son public reste le meilleur
moyen dassurer la survie dun bon journalisme.
Le public cherche à comprendre et les journalistes meurent
denvie de lui montrer quils ont compris. Quils savent
et quils savent maintenant, car cest maintenant que les
gens veulent savoir. Il est alors évident que les journalistes
veulent posséder le plus vite possible linformation.
Et en faire la primeur: «Si nous ne le faisons pas, un autre
journaliste le fera à notre place!» Cette crainte maladive
de loriginalité pousse-t-elle le journaliste à
posséder linformation ou à posséder linformation
la plus plausible?
Le journaliste doit alors mener une lutte constante afin de vérifier
les faits qui lui sont transmis pour être absolument certain
que linformation est vraie et exacte avant de sen faire
le propagateur. Dailleurs, sacharner à fouiller
toutes les sources possibles en vue de dégoter une nouvelle
dont tout indique quelle fera lobjet dune forte
manchette devrait être un des plus grands plaisirs que procure
lexercice du métier de journaliste. «Mais dans
nos médias, la volonté, le temps et les moyens manquent
pour mener des enquêtes approfondies. De façon générale,
le journalisme daujourdhui consacre la plus grosse part
de ses énergies aux insipides nouvelles du jour», soulignait
André Pratte. Linformation ne devient-elle pas de plus
en plus instantanée et de plus en plus superficielle? Il ne
sagit malheureusement plus dinformer les lecteurs, mais
seulement de les attirer en comblant leurs moindres désirs.
Je suis pourtant persuadée que les journalistes peuvent et
doivent faire mieux quautrefois. Même si le contexte actuel
menace la profession au moment où celle-ci na jamais
été aussi influente et que la concurrence est devenue
une boussole guidant la route du journaliste, il est important de
ne pas condamner ce métier à la médiocrité
et à la facilité. Il arrive quelquefois que les journalistes
se laissent séduire par la facilité, mais voilà
pourquoi patience, persévérance et courage sont des
qualités nécessaires pour relever le premier et le plus
important défi du journaliste qui soit: informer son public
en étant convaincu soi-même par la meilleure source dinformation
existante, la source véridique, exacte et authentique. La tendance
à vouloir toujours faire plus plutôt que faire mieux
pourrait finir par rendre la profession malade. Au fait, en avez-vous
déjà ressenti les symptômes?