Linternationalisation
des idées
Le
sociologue Jacques Hamel, conférencier invité par Pierre
Bourdieu
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Au mois de mai
prochain, Jacques Hamel, professeur au Département de sociologie,
donnera un cycle de conférences à lÉcole
des hautes études en sciences sociales de Paris. Le sociologue
a été invité par lun des intellectuels
français les plus célèbres et les plus cités
internationalement, Pierre Bourdieu. «Je suis ravi de cet honneur,
dautant plus que cétait ma dernière chance
daccepter son invitation puisque M. Bourdieu prend sa retraite
officielle à la fin de lannée universitaire. Au
Collège de France, la retraite est obligatoire à 70
ans», explique M. Hamel, sur le point dentreprendre une
année sabbatique.
Les conférences de M. Hamel, un spécialiste de lépistémologie
et des méthodes qualitatives, porteront sur la circulation
mondiale des idées et prendront la forme de séminaires
suivis de débats avec les étudiants de troisième
cycle de la grande école. «Jai eu lidée
de développer ce thème lorsque jai découvert
un texte peu connu de Pierre Bourdieu sur les conditions sociales
dans lesquelles les idées prennent naissance. Il apparaissait
évident que la mondialisation aurait pour effet daplanir
les cultures nationales, au sein desquelles les idées voient
le jour.»
À partir de ce point de départ, M. Hamel a approfondi
les questions qui se rapportent, notamment, aux nouveaux moyens de
communication. Il sest emparé du sujet, en quelque sorte,
pour en tirer ses propres conclusions. «Luniversalisation
des cultures a nivelé les disparités nationales
cest une idée chère à Bourdieu, explique
le sociologue. Seules les identités fortes résisteront
à cet envahissement. Mais je crois que, dans le monde scientifique,
particulièrement dans le domaine des sciences sociales, cette
mondialisation a des bienfaits.»
Par exemple, la mondialisation aura permis à des sciences réputées
«molles» de se trouver une rigueur. «Lorsquun
internaute fait du chat sur une question pointue, il doit être
bien préparé sur le plan de largumentation. Son
interlocuteur peut être un Allemand, un Américain ou
un Français aguerri. Il doit avoir de bons arguments sil
veut tenir la route.»
Le clavardage nest quun exemple de cette rigueur nouvelle
imposée par la circulation extrêmement rapide des idées.
«Le problème des sciences sociales est de devoir travailler
avec des notions vagues. Les moyens de communication forcent les gens
à se tenir à jour et à se renouveler constamment»,
croit M. Hamel.
Dans lune des conférences quil prononcera, Jacques
Hamel expose ce paradoxe. Dune part, explique-t-il, «luniformisation
sétend sur la toile et vient trahir les promesses de
la libre circulation des idées quInternet laissait miroiter
au départ. Le développement de la communication électronique
se profile sur celui qua connu la télévision par
exemple. La circulation des idées saligne sur le marché,
qui est de plus en plus difficile à enfreindre. [
] Il
nen demeure pas moins que les réseaux électroniques
offrent la possibilité de réunir des chercheurs de divers
pays et donnent ainsi tout son sens à la circulation des idées.»
Mais cela amène de nouvelles façons de communiquer.
«Le dialogue électronique tend insensiblement à
renverser les termes canoniques de la communication scientifique.
Si dordinaire la théorie occupe sa première partie,
pour ensuite aborder et traiter son champ dapplication, les
forums électroniques commandent lordre inverse. Le terrain
dexercice de la théorie est vite abordé, pour
envisager sur cette base la théorie en vertu de laquelle se
forme un trait dunion entre les participants au dialogue. La
théorie, à force dêtre sollicitée,
ne tarde pas à les mettre au diapason en vertu dun chaînage
argumentatif rigoureusement établi [
]. La théorie
brille ainsi de tout son éclat.»
Cest à Jacques Hamel quon doit la visite de Pierre
Bourdieu à lUniversité de Montréal en mars
1996. À loccasion dune visite à Paris deux
ans plus tôt, M. Hamel avait fait la connaissance du sociologue
français et lavait convaincu de venir outre-Atlantique.
Cétait déjà tout un exploit puisque M.
Bourdieu voyage peu. La conférence du savant avait attiré
1000 personnes de tous les coins du Québec dans un amphithéâtre
du Pavillon 3200 Jean-Brillant.
M.-R.S.