Volume 35 numéro 27
9 avril
2001


 


L’internationalisation des idées
Le sociologue Jacques Hamel, conférencier invité par Pierre Bourdieu

Jacques Hamel

Au mois de mai prochain, Jacques Hamel, professeur au Département de sociologie, donnera un cycle de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris. Le sociologue a été invité par l’un des intellectuels français les plus célèbres et les plus cités internationalement, Pierre Bourdieu. «Je suis ravi de cet honneur, d’autant plus que c’était ma dernière chance d’accepter son invitation puisque M. Bourdieu prend sa retraite officielle à la fin de l’année universitaire. Au Collège de France, la retraite est obligatoire à 70 ans», explique M. Hamel, sur le point d’entreprendre une année sabbatique.

Les conférences de M. Hamel, un spécialiste de l’épistémologie et des méthodes qualitatives, porteront sur la circulation mondiale des idées et prendront la forme de séminaires suivis de débats avec les étudiants de troisième cycle de la grande école. «J’ai eu l’idée de développer ce thème lorsque j’ai découvert un texte peu connu de Pierre Bourdieu sur les conditions sociales dans lesquelles les idées prennent naissance. Il apparaissait évident que la mondialisation aurait pour effet d’aplanir les cultures nationales, au sein desquelles les idées voient le jour.»

À partir de ce point de départ, M. Hamel a approfondi les questions qui se rapportent, notamment, aux nouveaux moyens de communication. Il s’est emparé du sujet, en quelque sorte, pour en tirer ses propres conclusions. «L’universalisation des cultures a nivelé les disparités nationales — c’est une idée chère à Bourdieu, explique le sociologue. Seules les identités fortes résisteront à cet envahissement. Mais je crois que, dans le monde scientifique, particulièrement dans le domaine des sciences sociales, cette mondialisation a des bienfaits.»

Par exemple, la mondialisation aura permis à des sciences réputées «molles» de se trouver une rigueur. «Lorsqu’un internaute fait du chat sur une question pointue, il doit être bien préparé sur le plan de l’argumentation. Son interlocuteur peut être un Allemand, un Américain ou un Français aguerri. Il doit avoir de bons arguments s’il veut tenir la route.»

Le clavardage n’est qu’un exemple de cette rigueur nouvelle imposée par la circulation extrêmement rapide des idées. «Le problème des sciences sociales est de devoir travailler avec des notions vagues. Les moyens de communication forcent les gens à se tenir à jour et à se renouveler constamment», croit M. Hamel.

Dans l’une des conférences qu’il prononcera, Jacques Hamel expose ce paradoxe. D’une part, explique-t-il, «l’uniformisation s’étend sur la toile et vient trahir les promesses de la libre circulation des idées qu’Internet laissait miroiter au départ. Le développement de la communication électronique se profile sur celui qu’a connu la télévision par exemple. La circulation des idées s’aligne sur le marché, qui est de plus en plus difficile à enfreindre. […] Il n’en demeure pas moins que les réseaux électroniques offrent la possibilité de réunir des chercheurs de divers pays et donnent ainsi tout son sens à la circulation des idées.»

Mais cela amène de nouvelles façons de communiquer. «Le dialogue électronique tend insensiblement à renverser les termes canoniques de la communication scientifique. Si d’ordinaire la théorie occupe sa première partie, pour ensuite aborder et traiter son champ d’application, les forums électroniques commandent l’ordre inverse. Le terrain d’exercice de la théorie est vite abordé, pour envisager sur cette base la théorie en vertu de laquelle se forme un trait d’union entre les participants au dialogue. La théorie, à force d’être sollicitée, ne tarde pas à les mettre au diapason en vertu d’un chaînage argumentatif rigoureusement établi […]. La théorie brille ainsi de tout son éclat.»

C’est à Jacques Hamel qu’on doit la visite de Pierre Bourdieu à l’Université de Montréal en mars 1996. À l’occasion d’une visite à Paris deux ans plus tôt, M. Hamel avait fait la connaissance du sociologue français et l’avait convaincu de venir outre-Atlantique. C’était déjà tout un exploit puisque M. Bourdieu voyage peu. La conférence du savant avait attiré 1000 personnes de tous les coins du Québec dans un amphithéâtre du Pavillon 3200 Jean-Brillant.

M.-R.S.