Lenfer
des grands brûlés
La
majorité des grands brûlés souffrent de déficits
sensoriels et de névralgies chroniques.
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Annie
Malenfant, neuropsychologue à lHôtel-Dieu
du CHUM, a effectué une thèse de doctorat
au Département de psychologie sur les déficits
sensoriels et les névralgies chroniques des grands
brûlés. |
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Jean Michel (nom
fictif), qui se trouvait 18 mois plus tôt dans un état
critique au Centre des grands brûlés de lHôtel-Dieu
de Montréal, sest remis de ses blessures grâce
à la greffe de peau. Mais ses mains et ses bras sont dépourvus
de sensibilité cutanée. Cet électricien ne peut
plus travailler à lextérieur dès les premiers
jours de lautomne à cause dune hypersensibilité
au froid.
De nombreux blessés comme lui ont de la difficulté à
faire reconnaître leurs incapacités par les organismes
dindemnisation, car il existe peu de données sur ce type
de séquelles. Les résultats de la recherche dAnnie
Malenfant, neuropsychologue à lHôtel-Dieu du CHUM,
pourraient amener une révision des barèmes de compensation
financière. Actuellement, lindemnité est établie
en fonction de la présence de problèmes moteurs et des
préjudices esthétiques.
La majorité des grands brûlés, soit 71 %, souffrent
de paresthésies (sensations anormales) et 36 % de douleurs
chroniques, indique la chercheuse, qui a consacré sa thèse
de doctorat au sujet. Sous la direction de Manon Choinière,
chercheuse au Centre des grands brûlés, et de Jean-Yves
Frigon, professeur au Département de psychologie, Mme Malenfant
a mené une enquête par questionnaire auprès dun
échantillon représentatif de la population des brûlés.
Elle a ensuite procédé à des tests avec 121 patients
brûlés au deuxième ou au troisième degré,
dont laccident était survenu plus dun an auparavant,
et comparé les données avec celles de sujets sans lésion
tissulaire.
«Les tests psychophysiques traditionnels employés pour
mesurer la sensibilité tactile, thermique et douloureuse révèlent
que la moitié des greffés souffrent de déficits
sévères plusieurs années après leur guérison,
dit-elle. Une altération sensorielle grave a également
été observée chez certaines personnes ayant subi
des brûlures superficielles. Les séquelles peuvent être
invalidantes ou assez intenses au point de nuire à la qualité
du sommeil et davoir des répercussions sur le travail
et les activités sociales.»
Un nouvel espoir
Selon Statistique Canada, plus de 4500 Canadiens sont hospitalisés
chaque année pour des brûlures. La cause la plus fréquente
est dorigine thermique suivie des blessures de nature électrique
et chimique.
«Trois facteurs interviennent dans la détermination de
la sévérité des brûlures: létendue,
la profondeur et la localisation, explique Annie Malenfant. Létendue
est exprimée en pourcentage de surface corporelle brûlée.
La profondeur des brûlures sévalue selon latteinte
à lépiderme ou au derme. Les brûlures superficielles,
soit celles de premier ou de deuxième degré léger,
se limitent aux couches supérieures de la peau et guérissent
en une semaine ou deux. Les brûlures plus sévères,
dites de deuxième degré profond ou de troisième
degré, prennent plus de temps à guérir et nécessitent
généralement des greffes cutanées.»
La prévalence des problèmes sensoriels tels que les
paresthésies et la douleur ne varie pas selon lâge,
le nombre dannées écoulées depuis laccident
et le type de brûlures, soutient la chercheuse. Leur présence
semble plutôt liée à létendue et
à la profondeur des endroits brûlés. Les patients
symptomatiques ont des brûlures plus grandes et les problèmes
sont plus fréquents chez ceux qui ont subi une greffe.
La méthode en usage actuellement consiste à prélever,
chez le patient, de la peau saine pour la greffer sur la partie du
corps affectée. Lorsque le corps du brûlé ne présente
pas suffisamment de peau intacte ou que les sites donneurs ne sont
pas encore guéris, de la peau de cadavre est utilisée
temporairement comme cataplasme. On emploie même parfois de
la peau de porc. La première greffe dépiderme
cultivé sur un grand brûlé au Canada a eu lieu
en 1986 grâce aux recherches menées au Laboratoire dorganogenèse
expérimentale (LOEX) de lHôpital du Saint-Sacrement,
à Québec. À lépoque, cela sapparentait
à de la science-fiction!
Le fondateur du LOEX, le Dr François Auger, a réussi
en 1999 une première mondiale en greffant sur un patient une
peau reconstituée in vitro contenant à la fois
le derme et lépiderme. Mais la portion du derme ne comprend
pas encore de glandes sébacées (qui produisent le sébum)
ni de follicules pileux assurant la souplesse des tissus. Les travaux
dune équipe de chercheurs français laissent cependant
entrevoir un espoir pour les grands brûlés. Un article
publié en janvier 2001 dans la revue Cell démontre que
la peau dun mammifère adulte contient des cellules souches
capables de reproduire les cellules nécessaires à la
reconstitution des glandes sudoripares et des poils.
Piste
de recherche intéressante
Pour 75 % des personnes victimes de brûlures graves,
la douleur ou les sensations anormales (surtout des picotements) se
manifestent quotidiennement ou de façon intermittente, allègue
Annie Malenfant. «Les résultats suggèrent que
la fréquence et lintensité des névralgies
ne diminuent pas avec le temps et les déficits de sensibilité
ont un caractère permanent», affirme-t-elle. Outre leffort,
la fatigue et le stress, le changement de température influe
sur la fréquence des problèmes.
Dans 16 % des cas, les patients ont recours à des médicaments
contre la douleur. Selon la majorité des patients, ils apportent
un soulagement de léger à modéré. Quelque
42 % dentre eux tentent aussi dapaiser leur mal par des
méthodes non pharmacologiques: bains, massages, applications
de chaleur, etc.
«Quelles sont les causes de ces problèmes de névralgie
qui surviennent après la guérison des brûlures?
On ignore les mécanismes pathophysiologiques exacts, mais plusieurs
hypothèses peuvent être avancées, notamment des
anomalies dans les terminaisons nerveuses régénérées,
une réinnervation déficiente dans les tissus cicatrisés
ou des décharges anormales provenant des fibres endommagées
ou régénératrices. Par ailleurs, jai observé
une élévation des seuils de sensibilité même
dans les parties du corps non brûlées. Cela laisse supposer
des modifications dans le système nerveux central après
la guérison des brûlures. La réorganisation des
voies spinales, sous-corticales et corticales, après la lésion,
pourrait modifier linformation sensorielle.»
Dominique
Nancy