Les
bébés québécois babillent en québécois
À
huit mois, les caractéristiques de la langue ambiante sont
déjà perceptibles
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Blagovesta
Maneva a révélé des différences
caractéristiques dans le babillage des bébés
québécois et des bébés français. |
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Quoi de plus inarticulé
et universellement semblable que le babillage des tout-petits? Pourtant,
non seulement les bébés francophones babillent-ils différemment
des bébés chinois, mais le babillage des bébés
québécois est distinct de celui des bébés
français.
Cest ce que vient de révéler une recherche postdoctorale
de Blagovesta Maneva, chargée de cours au Département
de linguistique et de traduction.
«Depuis le début des années 90, des travaux ont
montré que le jeune enfant fait déjà des choix
phonétiques et de structures syllabiques qui sont propres à
la langue ambiante, indique la chercheuse. Ceci est observable dès
lâge de huit mois à laide de spectrographes
qui enregistrent la prosodie des vocalisations, cest-à-dire
la durée, la fréquence, le rythme et lintensité
des sons produits.»
Ces études ont ainsi établi des différences caractéristiques
entre le babillage de bébés français, arabes,
suédois, américains et cantonais, différences
montrant déjà lémergence de la langue ambiante.
Ceci a renversé la théorie dominante jusque-là
et selon laquelle le babillage devait être partout le même
parce que lappareil vocal des bébés nest
pas suffisamment développé pour que des distinctons
apparaissent avant lâge de deux ans.
Isochronie
française et affriquées québécoises
Lune des pionnières dans ce type de recherches, Gabrielle
Konopczynski, de lUniversité de Franche-Comté,
a dirigé les travaux de Blagovesta Maneva. Selon Mme Konopczynski,
tous les bébés dune même langue devaient
présenter la même structure prosodique dans leur babillage,
les différences régionales ne devant apparaître
quà lâge de trois ans.
Mais Blagovesta Maneva ne partageait pas cet avis. «Mon hypothèse
était quil ne pouvait pas y avoir de modèle prosodique
commun à tous les francophones», avance-t-elle. Bénéficiant
dune bourse de recherche de lAgence universitaire de la
francophonie (lex-AUPELF-UREF), elle a enregistré le
babillage de bébés québécois âgés
de 10 à 21 mois pour le comparer avec celui de bébés
français. Cest la première fois quune étude
sur les variations dialectales dune même langue est menée
auprès denfants aussi jeunes.
Les résultats ont confirmé son hypothèse. Le
babillage des tout-petits des deux régions présente
deux différences fondamentales associées au français
québécois et au français de France. «Chez
les Français, les syllabes dun même mot ont toutes
la même durée, sauf la dernière, qui est allongée.
Cette isochronie est observable dans le babillage vers lâge
de 14 mois. Toutefois, ceci nest pas une caractéristique
du français québécois et on ne lobserve
pas dans le babillage des bébés dici.»
Par ailleurs, le français québécois présente
une structure rythmique plus complexe que celle du français
standard: il compte davantage de syllabes, il a conservé les
consonnes affriquées et lallongement a tendance à
se faire sur lavant-dernière syllabe. Pour ce qui est
des voyelles par exemple, les mots «fête» et «faite»
ou «pâte» et «patte» se prononcent différemment
en québécois mais pas en français standard; de
plus, les consonnes t et d sont affriquées en
québécois, cest-à-dire quelles se
prononcent «ts» et «dz» devant les voyelles
i et u.
«Ces consonnes affriquées sont observables chez les bébés
québécois, mais pas chez les bébés français»,
affirme la chercheuse.
Perception
intra-utérine
Pour Mme Maneva, ceci montre que lappareil perceptif des bébés
est très sensible et que lenfant peut non seulement discriminer,
dès lâge de huit mois, les sons et le rythme de
la langue ambiante mais également les reproduire malgré
ses limites anatomiques.
Ces perceptions se produiraient dailleurs dès la phase
intra-utérine. «Des études montrent que le bébé
réagit différemment à la voix de sa mère
même avant la naissance, indique-t-elle. À la naissance,
le nourrisson a donc déjà une connaissance de la mélodie
et de la prosodie de sa langue maternelle.»
«Au cours de lapprentissage, il va écarter progressivement
les sons qui ne font pas partie de la langue ambiante. Cest
pourquoi plus lenfant vieillit, plus lapprentissage dune
deuxième langue devient difficile; il ne perçoit plus
les sons quil a éliminés et la langue seconde
sera marquée par un accent.»
Les travaux sur le babillage ont par ailleurs montré que la
structure du babillage est différente lorsque le bébé
est seul ou lorsquil communique avec un adulte. «Cest
quand il répond aux stimulations dun adulte quon
observe les structures se rapprochant de la langue maternelle, précise
Mme Maneva. Ceci apparaît moins dans le babillage solitaire,
qui semble être un exercice sans objectif de communication.»
Blagovesta Maneva poursuit présentement ses travaux auprès
de bébés dont les parents sont de langues maternelles
différentes et qui parlent deux langues en présence
de lenfant. Elle veut savoir si le babillage de ces tout-petits
affiche déjà des caractéristiques du bilinguisme!
Daniel
Baril