Volume 35 numéro 27
9 avril
2001


 


Vaincre la malédiction de la dimensionnalité
Yoshua Bengio obtient une chaire de recherche pour concevoir des algorithmes intelligents

Professeur au Département d’informatique et de recherche opérationnelle et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les algorithmes d’apprentissage statistique, Yoshua Bengio est un leader mondial dans le domaine de l’intelligence artificielle.

La malédiction de la dimensionnalité n’est pas une nouvelle façon de désigner la petitesse de l’être humain dans sa carapace à trois dimensions. Il s’agit plutôt de celle qui hante les informaticiens qui veulent concevoir des programmes intelligents capables de «comprendre» des centaines de millions de renseignements et qui se heurtent aux limites de la machine.

«Quand le nombre de dimensions ou de variables est très élevé, nos méthodes se cassent la figure, avoue Yoshua Bengio. L’être humain peut apprendre à partir d’un cas et appliquer cet apprentissage à de nouvelles situations. Mais alors que les ordinateurs sont facilement capables d’apprendre par cœur, il leur est beaucoup plus difficile de généraliser leurs données à de nouveaux cas. Les algorithmes d’apprentissage permettent de le faire, mais pas aussi bien que les humains.»

Reconnu comme une sommité internationale des algorithmes d’apprentissage, le professeur du Département d’informatique et de recherche opérationnelle s’est vu attribuer en décembre dernier une chaire canadienne de niveau 2 en recherche sur les algorithmes d’apprentissage statistique. Son défi est de vaincre la malédiction de la dimensionnalité afin de rendre les ordinateurs plus «intelligents».


Neurones artificiels

Le défi est de taille puisque les problèmes à résoudre portent sur les combinaisons de millions de données dont les ramifications croissent de façon exponentielle avec l’augmentation de l’information. Les algorithmes auxquels il recourt pour régler ces problèmes à grande quantité de variables s’inspirent des connexions neuronales, d’où l’appellation de «réseaux de neurones».

Les travaux de Yoshua Bengio dans ce domaine ont conduit les chercheurs à abandonner une piste suivie pendant une dizaine d’années, soit les systèmes de réseaux récurrents. «Les réseaux récurrents sont des modèles mathématiques qui fonctionnent en boucle, explique-t-il. Mais cette méthode d’apprentissage est trop limitée par rapport aux applications qu’on veut en tirer.»

Sa méthode porte donc sur des réseaux non récurrents qui pourraient permettre à l’ordinateur d’apprendre à partir de données qu’il possède déjà, un peu comme le fait le cerveau humain à partir de catégories ou de connaissances déjà acquises.

Voici un exemple simple: comment faire en sorte qu’à partir de la numérisation de l’image d’une bouteille, qui comporte des millions de pixels, l’ordinateur soit en mesure de reconnaître qu’un objet semblable mais différent est aussi une bouteille. De façon plus utilitaire, cette méthode appliquée au domaine de l’assurance devrait permettre aux ordinateurs de reconnaître d’éventuels fraudeurs parmi les nouveaux clients d’une compagnie à partir des données sur ses clients reconnus comme étant soit des fraudeurs, soit des non-fraudeurs.

Les domaines d’application des algorithmes d’apprentissage sont très nombreux: mentionnons l’évaluation des risques financiers, les effets de nouvelles molécules en vue de produire des médicaments, les logiciels de traduction, les appareils de reconnaissance de la parole ou de l’écriture manuscrite, les caractéristiques démographiques d’une population, la téléphonie cellulaire, etc.

Dans ce type de recherches sur l’intelligence artificielle, Yoshua Bengio demeure à l’affût de ce qui se fait du côté de l’intelligence humaine. «On ne sait pas comment fonctionne l’intelligence de l’être humain, mais il y a une tradition de relations entre les deux domaines, souligne-t-il. Les connaissances sur l’intelligence peuvent nous suggérer des pistes pour concevoir des algorithmes alors que la compréhension mathématique peut éclairer les recherches sur l’intelligence. Des disciplines apparemment très différentes peuvent ainsi se stimuler l’une l’autre et entraîner des recherches fructueuses.»

Daniel Baril