Volume 35 numéro 27
9 avril
2001


 


Un million de la NASA pour détecter les rayons gamma
Le physicien Louis-André Hamel met au point un détecteur perfectionné

Louis-André Hamel a mis au point un détecteur de rayons gamma très efficace. Le prototype fabriqué dans son laboratoire pourrait mener à un immense détecteur installé sur la Station spatiale internationale.

Depuis six ans, le physicien Louis-André Hamel travaille à la mise au point d’un détecteur de rayons gamma qui prendra peut-être, un jour, le chemin de l’espace. En tout cas, le prototype conçu au laboratoire René-J.A.-Lévesque, qui ne mesure que un centimètre carré, a semblé suffisamment prometteur à la NASA pour que l’agence spatiale consacre un budget de un million de dollars américains aux travaux du professeur du Département de physique, en collaboration avec des chercheurs du Space Science Center de l’Université du New Hampshire.

«Nous sommes plusieurs dizaines d’équipes dans le monde à travailler à la mise au point du détecteur idéal, explique le chercheur. Mais notre prototype a fait ses preuves en matière d’efficacité et de résolution, avec une marge d’erreur de moins de un millimètre.»

Dans le spectre du visible et de l’invisible, les rayons gamma occupent une place particulière. Considérés comme les plus énergétiques des rayonnements électromagnétiques, ils sont de même nature que la lumière visible, mais ont une énergie supérieure et une plus haute fréquence (plus de 1019 hertz). Ils sont aussi de plus en plus étudiés par les physiciens.

Un phénomène connu depuis 1969, les sursauts gamma (gamma ray bursts), intrigue notamment les chercheurs. Environ une fois par jour, des afflux majeurs de rayons gamma sont captés à divers endroits sur Terre. Au début, on attribuait ces afflux à des exercices nucléaires clandestins, jusqu’à ce que des recherches démontrent que leur origine était plutôt extraterrestre. «Ces explosions de rayons gamma se produisent à plusieurs milliards d’années-lumière et sont les événements les plus spectaculaires de l’Univers, explique le physicien. Une seule d’entre elles émet en quelques secondes plus d’énergie que ce que notre soleil est capable de produire durant toute son existence.»

Les détecteurs dont les chercheurs disposent actuellement peuvent mesurer l’intensité de ces explosions, mais leur origine n’est qu’approximative. Le système du professeur Hamel pourrait permettre de préciser cette orientation.


Des capteurs dans l’espace
La NASA a entrepris un imposant programme international de recherche qui aura pour objectif d’en apprendre davantage sur les rayons gamma. Elle envisage notamment d’équiper la Station spatiale internationale d’immenses capteurs, et c’est ici que le prototype mis au point à l’Université de Montréal pourrait jouer un rôle.

«Le capteur qui sera envoyé dans la station spatiale devra être capable d’enregistrer jusqu’à 10 000 signaux par seconde, mais ce défi ne pose plus vraiment de problème aujourd’hui. C’est à la provenance de ces signaux qu’il faut maintenant s’attaquer. C’est là que nous avons peut-être une longueur d’avance. Notre dispositif permet de produire une image du rayonnement gamma en indiquant sa direction ainsi que son énergie avec une grande précision.»

Le physicien soulève un rideau noir pour montrer la structure qui porte le prototype. Près du détecteur, il dépose une éprouvette contenant une source radioactive enfermée dans une gaine de métal qui laisse s’échapper un nombre limité de rayons. Sur l’écran de l’ordinateur juxtaposé, on voit des points lumineux apparaître de façon très évidente. «Le détecteur est un semi-conducteur composé d’un alliage de cadmium, de zinc et de tellure, explique le physicien. Sa particularité, c’est d’être très lourd pour absorber les rayons gamma, de fonctionner à la température ambiante et de présenter une marge d’erreur de moins de un millimètre.»

Après être entrés en collision avec les atomes du détecteur, les rayons gamma sont enregistrés par 1024 pixels de quelques centaines de microns à peine. La subvention de la NASA couvrira les travaux qui permettront de quadrupler la surface de ce dispositif. Quand on sait que l’anode ne mesure qu’une dizaine de millimètres, on comprend que le jour n’est pas arrivé où l’on enverra des panneaux de plusieurs mètres dans la station internationale. Dans un laps de temps plus rapproché, on espère pouvoir mettre à l’essai un capteur de 30 centimètres. «Cela représente environ 400 fois la surface que vous voyez là», précise le chercheur.


De la physique nucléaire à l’astrophysique

C’est un peu par hasard que M. Hamel s’est retrouvé engagé dans cette recherche en astrophysique. Spécialiste des détecteurs semi-conducteurs utilisés en recherche nucléaire, il a été approché en 1994 par des physiciens de l’Université d’Arizona pour interpréter les signaux qu’ils observaient dans leur dispositif semi-conducteur cadmium-zinc-tellure (CdZnTe). Il s’est intéressé au problème et a présenté les résultats de sa réflexion l’année suivante, à Grenoble. Il y a rencontré alors des physiciens du Space Science Center de l’Université du New Hampshire qui désiraient aussi mettre au point un détecteur au CdZnTe pour une application d’imagerie en astrophysique. Le détecteur idéal devrait à la fois avoir une excellente résolution en position et en énergie et présenter le plus petit nombre de canaux d’électronique, ce qui a amené le professeur Hamel et son équipe à élaborer ce nouveau dispositif.

Le financement de la NASA pour les trois prochaines années encourage l’équipe à poursuivre ses travaux. Mais le prototype ne sera pas breveté; comme il s’agit d’une agence gouvernementale, les résultats doivent demeurer publics. Cela ne déçoit aucunement Louis-André Hamel, qui espère voir un jour son dispositif servir à des fins médicales.

Ce ne sera pas la première fois qu’une technologie conçue pour observer l’infiniment grand aura des retombées dans l’exploration du corps humain.

Mathieu-Robert Sauvé