Lexposition
comme un roman
Pour
rendre les expositions plus intéressantes, Colette Dufresne-Tassé
sinspire de la trame narrative des romans.
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Les
quatre conférenciers du colloque: Marie-Clarté
ONeill, Terry Ruddel, Sylvia Villareal Singer et Colette
Dufresne-Tassé. |
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Malgré
les efforts des conservateurs pour mettre en valeur les pièces
dune exposition et les situer dans leur contexte, il ny
aurait que 17 % des visiteurs de musée qui établissent
formellement des liens de sens entre les différents objets
composant une exposition. Cette démarche danalyse et
de compréhension ne représenterait que 2 % du «travail»
des visiteurs pendant leur déambulation.
Cest du moins ce qua observé Marie-Clarté
ONeill, responsable de la formation de deuxième cycle
en muséologie à lÉcole du Louvre, au cours
dune recherche sur les comportements des visiteurs de musée.
Mme ONeill participait, le 23 mars dernier, à un colloque
sur le développement psychologique du visiteur organisé
dans le cadre de la maîtrise en muséologie du Département
de psychopédagogie et dandragogie.
Les observations de Marie-Clarté ONeill ont aussi permis
de constater que les visiteurs vont parfois dans tous les sens sans
porter aucune attention à lordre logique de la succession
des pièces. Malgré ces comportements, la professeure
ne jette pas pour autant la pierre aux visiteurs. «La stratégie
des visiteurs nest pas nécessairement celle des concepteurs
et les éléments qui concourent à donner du sens,
soit les objets eux-mêmes, les textes et le parcours, sont souvent
mal utilisés», affirme-t-elle.
Susciter
lintérêt
Sans forcément avoir de réponse à sa question,
Mme ONeill sest demandé sil pouvait exister
des types de parcours et de discours plus propices que dautres
à susciter du sens.
Cette question est au cur des travaux de Colette Dufresne-Tassé,
codirectrice de la maîtrise en muséologie. Pour la chercheuse,
il ne fait aucun doute que la structure de lexposition peut
éviter le syndrome de «la poule qui picore à gauche
et à droite». Elle suggère pour cela de sinspirer
de la trame narrative des romans.
«La structure des romans pousse progressivement le lecteur à
anticiper le déroulement du récit par de petits éléments
accrochés successivement les uns aux autres, souligne-t-elle.
La trame narrative est aussi composée de relations logiques,
hypothétiques et additives, trois archétypes de la pensée
dont les adultes font spontanément usage.»
Cette structure et ces composantes souples peuvent sadapter
à tout sujet. Appliqués aux expositions, ces éléments
permettent de maintenir lintérêt du visiteur en
réorientant le thème et en suscitant la réflexion
au fur et à mesure que progresse la visite. Cela peut savérer
plus exigeant pour le conservateur, mais facilite dautant la
«tâche» du visiteur.
Cette façon de procéder ne serait pas quune pure
vision de lesprit. Selon Mme Dufresne-Tassé, certaines
expositions lauraient appliquée avec succès. Ce
serait notamment le cas de lexposition présentée
lors de linauguration de la grande bibliothèque de Paris
et qui portait sur les diverses formes quont prises les encyclopédies
à travers les âges. Le musée Sakler, de Washington,
aurait également conçu des expositions sur ce modèle,
entre autres pour illustrer linfluence des Jésuites sur
lart moghol (dynastie perse du nord de lInde).
«Dans lune de ces expositions, le panneau introductif
annonçait déjà un revirement de linfluence
des Jésuites, ce qui éveillait lattention des
visiteurs. Alors quon observait linfluence progressive
du christianisme sur lart moghol, on comprenait dans la dernière
partie de lexposition que le matériel artistique des
Jésuites avait en fait été récupéré
par le suzerain perse pour son propre prestige.»
Susciter des controverses
Lapproche narrative aurait comme autre conséquence damener
le musée à prendre position puisquil doit organiser
la matière pour susciter la réflexion. Cest résolument
la voie que propose demprunter Terry Ruddel, directeur de la
maîtrise en études muséologiques à lUniversité
de Toronto.
Les musées doivent non seulement susciter la réflexion
mais ne pas craindre de provoquer la controverse. «Les expositions
sont ennuyantes lorsquil ny a pas de controverse, a-t-il
lancé de façon un peu provocatrice en ouverture du colloque.
Les expositions doivent toucher les émotions avec des sujets
controversés comme le nationalisme, la consommation de drogues,
la religion, la sexualité, lavortement. Il faut éviter
de vouloir plaire à tout le monde.»
Contrôlés par les pouvoirs publics, les musées
sont devenus des instruments idéologiques, déplore-t-il,
en donnant comme exemples le Musée du Québec, dont la
mission est de faire connaître lart québécois,
et le Musée canadien des civilisations, qui évite soigneusement
les controverses historiques en misant sur lapport des communautés
culturelles. «Pourquoi le silence sur les aspects négatifs
de lhistoire?»
La réponse est venue de conservateurs du musée des civilisations
présents dans la salle. Ce musée serait en voie de modifier
son approche justement pour tenir compte des aspects moins glorieux
de notre histoire; dans cette perspective, une salle traitant de la
déportation des Acadiens a récemment été
ouverte. Le Musée, qui a maintenant 12 ans, aurait évité
de tels sujets dans ses premières années parce que sa
construction et son coût étaient eux-mêmes très
controversés dans lopinion publique; les responsables
craignaient que des thèmes entraînant dautres polémiques
aggravent la situation.
Une quatrième conférencière, Sylvia Villareal
Singer, directrice des musées de sciences de lUniversité
nationale autonome de Mexico, a pour sa part analysé lutilisation
des écriteaux dans des expositions muséologiques tenues
dans le métro de la capitale mexicaine.
Daniel
Baril