Volume 35 numéro 26
2 avril
2001


 


L’exposition comme un roman
Pour rendre les expositions plus intéressantes, Colette Dufresne-Tassé s’inspire de la trame narrative des romans.

Les quatre conférenciers du colloque: Marie-Clarté O’Neill, Terry Ruddel, Sylvia Villareal Singer et Colette Dufresne-Tassé.

Malgré les efforts des conservateurs pour mettre en valeur les pièces d’une exposition et les situer dans leur contexte, il n’y aurait que 17 % des visiteurs de musée qui établissent formellement des liens de sens entre les différents objets composant une exposition. Cette démarche d’analyse et de compréhension ne représenterait que 2 % du «travail» des visiteurs pendant leur déambulation.

C’est du moins ce qu’a observé Marie-Clarté O’Neill, responsable de la formation de deuxième cycle en muséologie à l’École du Louvre, au cours d’une recherche sur les comportements des visiteurs de musée. Mme O’Neill participait, le 23 mars dernier, à un colloque sur le développement psychologique du visiteur organisé dans le cadre de la maîtrise en muséologie du Département de psychopédagogie et d’andragogie.

Les observations de Marie-Clarté O’Neill ont aussi permis de constater que les visiteurs vont parfois dans tous les sens sans porter aucune attention à l’ordre logique de la succession des pièces. Malgré ces comportements, la professeure ne jette pas pour autant la pierre aux visiteurs. «La stratégie des visiteurs n’est pas nécessairement celle des concepteurs et les éléments qui concourent à donner du sens, soit les objets eux-mêmes, les textes et le parcours, sont souvent mal utilisés», affirme-t-elle.


Susciter l’intérêt
Sans forcément avoir de réponse à sa question, Mme O’Neill s’est demandé s’il pouvait exister des types de parcours et de discours plus propices que d’autres à susciter du sens.

Cette question est au cœur des travaux de Colette Dufresne-Tassé, codirectrice de la maîtrise en muséologie. Pour la chercheuse, il ne fait aucun doute que la structure de l’exposition peut éviter le syndrome de «la poule qui picore à gauche et à droite». Elle suggère pour cela de s’inspirer de la trame narrative des romans.

«La structure des romans pousse progressivement le lecteur à anticiper le déroulement du récit par de petits éléments accrochés successivement les uns aux autres, souligne-t-elle. La trame narrative est aussi composée de relations logiques, hypothétiques et additives, trois archétypes de la pensée dont les adultes font spontanément usage.»

Cette structure et ces composantes souples peuvent s’adapter à tout sujet. Appliqués aux expositions, ces éléments permettent de maintenir l’intérêt du visiteur en réorientant le thème et en suscitant la réflexion au fur et à mesure que progresse la visite. Cela peut s’avérer plus exigeant pour le conservateur, mais facilite d’autant la «tâche» du visiteur.

Cette façon de procéder ne serait pas qu’une pure vision de l’esprit. Selon Mme Dufresne-Tassé, certaines expositions l’auraient appliquée avec succès. Ce serait notamment le cas de l’exposition présentée lors de l’inauguration de la grande bibliothèque de Paris et qui portait sur les diverses formes qu’ont prises les encyclopédies à travers les âges. Le musée Sakler, de Washington, aurait également conçu des expositions sur ce modèle, entre autres pour illustrer l’influence des Jésuites sur l’art moghol (dynastie perse du nord de l’Inde).

«Dans l’une de ces expositions, le panneau introductif annonçait déjà un revirement de l’influence des Jésuites, ce qui éveillait l’attention des visiteurs. Alors qu’on observait l’influence progressive du christianisme sur l’art moghol, on comprenait dans la dernière partie de l’exposition que le matériel artistique des Jésuites avait en fait été récupéré par le suzerain perse pour son propre prestige.»


Susciter des controverses

L’approche narrative aurait comme autre conséquence d’amener le musée à prendre position puisqu’il doit organiser la matière pour susciter la réflexion. C’est résolument la voie que propose d’emprunter Terry Ruddel, directeur de la maîtrise en études muséologiques à l’Université de Toronto.

Les musées doivent non seulement susciter la réflexion mais ne pas craindre de provoquer la controverse. «Les expositions sont ennuyantes lorsqu’il n’y a pas de controverse, a-t-il lancé de façon un peu provocatrice en ouverture du colloque. Les expositions doivent toucher les émotions avec des sujets controversés comme le nationalisme, la consommation de drogues, la religion, la sexualité, l’avortement. Il faut éviter de vouloir plaire à tout le monde.»

Contrôlés par les pouvoirs publics, les musées sont devenus des instruments idéologiques, déplore-t-il, en donnant comme exemples le Musée du Québec, dont la mission est de faire connaître l’art québécois, et le Musée canadien des civilisations, qui évite soigneusement les controverses historiques en misant sur l’apport des communautés culturelles. «Pourquoi le silence sur les aspects négatifs de l’histoire?»

La réponse est venue de conservateurs du musée des civilisations présents dans la salle. Ce musée serait en voie de modifier son approche justement pour tenir compte des aspects moins glorieux de notre histoire; dans cette perspective, une salle traitant de la déportation des Acadiens a récemment été ouverte. Le Musée, qui a maintenant 12 ans, aurait évité de tels sujets dans ses premières années parce que sa construction et son coût étaient eux-mêmes très controversés dans l’opinion publique; les responsables craignaient que des thèmes entraînant d’autres polémiques aggravent la situation.

Une quatrième conférencière, Sylvia Villareal Singer, directrice des musées de sciences de l’Université nationale autonome de Mexico, a pour sa part analysé l’utilisation des écriteaux dans des expositions muséologiques tenues dans le métro de la capitale mexicaine.

Daniel Baril