Lauteur
globe-trotter
Jeffrey
Moore gagne le Prix du Commonwealth pour son premier roman.
|
«En
ce qui concerne le style, le rythme, le choix des mots,
leuphonie et la grammaire, la traduction nourrit mes
écrits», affirme Jeffrey Moore, lauréat
du Prix du Commonwealth pour son premier roman. |
|
Lhistoire
se déroule boulevard Saint-Laurent. Jeremy Davenant, un jeune
Ontarien romantique, enseigne dans une université francophone
avec de faux diplômes. Il cherche désespérément
à accomplir sa destinée, révélée,
alors quil était enfant, dans une page dencyclopédie
choisie au hasard. Il était tombé sur le S: Shakespeare,
Shaka (un roi zoulou), Shakhtyorsk (une ville en Ukraine) et Shakuntala
(lépopée hindoue). Rien à voir avec Montréal.
Pourtant, il suivra sa voie à travers des péripéties
dans le métro et les bars de la Main. Cest là
que le héros croisera le regard de la ténébreuse
Milena. Sa vie bascule dans linfortune et lobsession.
Prisoner in a Red-Rose Chain, de Jeffrey Moore, a été
accueilli avec enthousiasme. Lauteur et chargé de cours
en traduction à la Faculté de léducation
permanente a reçu pour son premier roman le Prix du Commonwealth,
la plus haute distinction littéraire britannique. Une version
française paraîtra à lautomne (éditions
de La Pleine Lune, au Québec, et du Serpent à plumes,
en France) et Hollywood la approché...
Sa réaction: «Stupéfaction, incrédulité,
euphorie. Je me demande encore sil ny a pas eu une erreur.
Je crains que quelquun vienne me dire: Désolé,
il existe un autre Jeffrey Moore et cest lui qui a gagné»,
dit lauteur, qui a mis près de 10 ans à écrire
son livre.
Les critiques sont dithyrambiques. Le National Post et The
Globe & Mail, notamment, ont fait état de son talent.
Chez M. Moore, le style, lhumour et la profondeur sont étroitement
mêlés, indiscernables, comme seule la vraie littérature
peut en donner lexemple. Dotée dune impressionnante
vitalité, sa plume fouaille les âmes et surtout, comme
le soulignait Carole Beaulieu dans LActualité,
fait «connaître à un public international un Montréal
plein desprit et de fantaisie».
«Cest une comédie romantique noire, affirme Jeffrey
Moore. Le genre par excellence pour illustrer la confusion et
les incertitudes de la vie urbaine moderne, comme la mentionné
lécrivaine indienne Shashi Sing.»
De Montréal à Londres
Né à Montréal, élevé à Toronto,
lauteur a séjourné plusieurs mois à létranger
«un peu partout: en Écosse, en Hongrie, à
Bali et ailleurs en Extrême-Orient» avant de revenir
sinstaller au Québec. «Pourquoi Montréal?
Parce quil y a longtemps je suis tombé follement amoureux
dune Québécoise. Je me demande souvent ce quelle
est devenue
Mais je mégare! Parce que cest
une des plus belles villes en Amérique du Nord. Jaime
la notion de deux cultures et faire partie dune minorité:
je me sens moins comme un mouton, moins anonyme et conformiste.»
Passionné de nature et de Shakespeare «son Sonnet
29 est un des plus beaux poèmes jamais écrits»
, Jeffrey Moore se balade souvent dans les Laurentides et sur
le mont Royal. «Cest rare de trouver une montagne inhabitée
en plein centre-ville», fait-il remarquer. Il fréquente
aussi le Red Light de Montréal, comme le personnage principal
de son roman. Mais là sarrête la ressemblance!
Lui, il se porte mentalement très bien, merci, et possède
de vrais diplômes. De la Sorbonne, notamment.
Doù vient lidée de la frime? «Elle
trouve son origine dans la notion de curriculum vitae, dans lequel
la majorité des gens gonflent leurs réalisations, répond
M. Moore. Dailleurs, quand jenseigne, jai parfois
limpression que je suis moi-même un imposteur, que je
joue un rôle. Heureusement, ça passe
» Depuis
14 ans, il foule les flancs du parc urbain unique en Amérique,en
se rendant sur le campus de lUniversité, où il
enseigne la traduction. «En ce qui concerne le style, le rythme,
le choix des mots, leuphonie et la grammaire, la traduction
nourrit mes écrits», affirme lauteur.
Cest en France quil a appris la langue de Molière
et étudié la linguistique comparée. Traducteur
à son compte depuis plusieurs années, il na commencé
à écrire quau début des années 90.
Il traduit essentiellement des textes reliés aux arts: danse,
théâtre, cinéma, musées. Outre son roman,
ses écrits se résument à des paroles de chansons
pour le groupe rock Joe Karma et à une nouvelle intitulée
Delight in Disorder, diffusée lautomne dernier sur
les ondes de la radio anglaise de Radio-Canada et publiée dans
le dernier numéro de la revue québécoise Matrix.
Il travaille actuellement à un recueil de nouvelles basées
sur la notion de mémoire.
Pour linstant, il flotte, porté par la grâce dun
succès inespéré, multipliant les voyages et les
entrevues. Joint à Londres, où il fait une tournée
de promotion, M. Moore, encore sous leffet du décalage
horaire et de la pluie incessante, se dit ravi par la tournure des
événements. On le serait à moins. La version
française de son roman sera bientôt distribuée
au Québec et en France et les droits de traduction en portugais
font présentement lobjet dune négociation
avec une maison dédition brésilienne. Des producteurs
travaillent même à un projet de film pour Hollywood!
Salman Rushdie
À New Delhi, où avait lieu la cérémonie
de la remise des prix décernés par la Fondation du Commonwealth,
louvrage de M. Moore a aussi reçu des éloges.
Lécrivain indien Shashi Deshpande, qui présidait
le jury, a qualifié Prisoner in a Red-Rose Chain de
«premier roman remarquablement confiant et énergique».
Jeffrey Moore, en tout cas, est persuadé que ce genre de succès
narrive quune fois et quil faut le savourer comme
un cognac précieux. Ce quil fait au cours de son séjour
en Inde, où les gens, semble-t-il, sont très chaleureux.
Mais laccueil lest moins à lentrée
de la salle de réception du chic Oberoi Hotel. Lauteur
montréalais doit passer par les détecteurs de métaux,
les agents de sécurité et les chiens policiers. Car
Salman Rushdie, finaliste du concours dans la catégorie du
meilleur livre, revenait dans son pays natal après un exil
de plusieurs années.
Signe de lhumour particulier de M. Moore: il remercie lauteur
des Versets sataniques «un homme charmant et charismatique»
lorsquil accepte son prix accompagné dune
bourse de 4000 £ (presque 10 000 $CAN). Le lendemain, le Hindustan
Times a écrit que Jeffrey Moore avait littéralement
volé la vedette et fait un tabac en remerciant Salman Rushdie
«davoir fait un voyage spécial en Inde pour venir
me voir recevoir mon prix». Le style, cest lhomme.
Dominique
Nancy
Jeffrey
Moore, Prisoner in a Red-Rose Chain, Saskatchewan, Thistledown
Press, 1999, 21,99$.