Volume 35 numéro 26
2 avril
200
1



Caméra de surveillance: les accusés mieux protégés que les employés
Des preuves vidéo ont été acceptées même lorsqu’il y avait vide juridique.

Pour surveiller par caméra une personne soupçonnée de commettre un délit, les policiers ont besoin d’un mandat judiciaire. Mais rien de restreint la surveillance par le même procédé d’un employé par son employeur en dehors des lieux de travail.

«Les droits des accusés sont davantage protégés par les chartes que ceux des travailleurs et surtout des travailleurs d’une entreprise privée», soutient Louise Viau, professeure à la Faculté de droit.

Me Viau a comparé deux jugements qui ont fait jurisprudence sur la question et qui concernaient, d’une part, la surveillance policière de personnes soupçonnées de s’adonner à des jeux de hasard et, d’autre part, la surveillance d’un travailleur en congé de maladie.

Le premier cas, connu sous le nom de l’«affaire Wong», est survenu en Ontario et s’est rendu jusqu’en Cour suprême. En 1990, la Cour statuait que la surveillance par vidéo est assimilable à une perquisition et qu’elle viole l’article de la Charte canadienne des droits et libertés protégeant les individus contre les fouilles et saisies abusives. Un mandat devrait donc être nécessaire pour procéder à ce type de surveillance, comme c’est le cas pour l’écoute électronique. Le Code criminel a été amendé en conséquence en 1993.

Toutefois, malgré le vide juridique, la preuve a été acceptée parce que les policiers avaient agi «en toute bonne foi».


Vie privée
La Cour d’appel du Québec a par la suite été saisie du cas d’un employé congédié après que son employeur eut démontré qu’il avait produit de fausses déclarations sur son état de santé. Des images vidéo prises par une agence de détectives privés le montraient en train d’accomplir des mouvements qu’il disait être incapable de faire. La Cour a dû déterminer si cette procédure violait le droit à la vie privée, protégé par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

Le jugement rendu en 1999 a reconnu qu’une telle manière d’opérer, bien que portant apparemment atteinte à la vie privée, était admissible parce qu’elle était «justifiée par des motifs rationnels» et «conduite par des moyens raisonnables».

«La Cour d’appel se trouve ainsi à mettre un bémol à un droit garanti tant par la Charte québécoise que par le Code civil, souligne Me Louise Viau. Le droit à la vie privée est seulement protégé contre des atteintes déraisonnables.»

La professeure s’est demandé si cette preuve aurait quand même été acceptée si la Cour d’appel avait conclu qu’il y avait eu violation du droit à la vie privée. La réponse est oui. Le jugement dans cette cause établit une distinction entre procès criminel et procès civil; dans ce dernier cas, la preuve ne serait refusée que si elle déconsidérait l’administration de la justice.

Il y a donc un double régime selon qu’il s’agit d’une cause criminelle ou civile, mais aussi selon la charte invoquée: d’un côté le Parlement canadien a considéré que le droit fondamental qui nous protège contre les fouilles abusives était suffisamment menacé par la surveillance vidéo pour soumettre le travail des policiers et des enquêteurs publics au contrôle judiciaire, alors que le droit à la vie privée protégé par la charte québécoise ne nécessite pas les mêmes contrôles s’il est mis en cause par des détectives privés agissant pour le compte d’un employeur privé.

En outre, dans toutes les causes de ce genre analysées par la professeure Viau dans un article de la Revue internationale de droit comparé, les tribunaux ont conclu à l’admissibilité de la preuve même lorsqu’il y avait eu violation des droits ou vide juridique.

«Ceci n’est pas de nature à encourager la vertu, conclut-elle. En cette époque où des moyens techniques de plus en plus sophistiqués sont mis à la disposition aussi bien des États que des entreprises privées, des multinationales de la production de biens et de services ou des milieux du crime, avons-nous encore une vie privée que des lois peuvent vraiment protéger?»

Daniel Baril