Caméra
de surveillance: les accusés mieux protégés que
les employés
Des preuves
vidéo ont été acceptées même lorsquil
y avait vide juridique.
Pour surveiller
par caméra une personne soupçonnée de commettre
un délit, les policiers ont besoin dun mandat judiciaire.
Mais rien de restreint la surveillance par le même procédé
dun employé par son employeur en dehors des lieux de
travail.
«Les droits des accusés sont davantage protégés
par les chartes que ceux des travailleurs et surtout des travailleurs
dune entreprise privée», soutient Louise Viau,
professeure à la Faculté de droit.
Me Viau a comparé deux jugements qui ont fait jurisprudence
sur la question et qui concernaient, dune part, la surveillance
policière de personnes soupçonnées de sadonner
à des jeux de hasard et, dautre part, la surveillance
dun travailleur en congé de maladie.
Le premier cas, connu sous le nom de l«affaire Wong»,
est survenu en Ontario et sest rendu jusquen Cour suprême.
En 1990, la Cour statuait que la surveillance par vidéo est
assimilable à une perquisition et quelle viole larticle
de la Charte canadienne des droits et libertés protégeant
les individus contre les fouilles et saisies abusives. Un mandat devrait
donc être nécessaire pour procéder à ce
type de surveillance, comme cest le cas pour lécoute
électronique. Le Code criminel a été amendé
en conséquence en 1993.
Toutefois, malgré le vide juridique, la preuve a été
acceptée parce que les policiers avaient agi «en toute
bonne foi».
Vie
privée
La Cour dappel du Québec a par la suite été
saisie du cas dun employé congédié après
que son employeur eut démontré quil avait produit
de fausses déclarations sur son état de santé.
Des images vidéo prises par une agence de détectives
privés le montraient en train daccomplir des mouvements
quil disait être incapable de faire. La Cour a dû
déterminer si cette procédure violait le droit à
la vie privée, protégé par la Charte des droits
et libertés de la personne du Québec.
Le jugement rendu en 1999 a reconnu quune telle manière
dopérer, bien que portant apparemment atteinte à
la vie privée, était admissible parce quelle était
«justifiée par des motifs rationnels» et «conduite
par des moyens raisonnables».
«La Cour dappel se trouve ainsi à mettre un bémol
à un droit garanti tant par la Charte québécoise
que par le Code civil, souligne Me Louise Viau. Le droit à
la vie privée est seulement protégé contre des
atteintes déraisonnables.»
La professeure sest demandé si cette preuve aurait quand
même été acceptée si la Cour dappel
avait conclu quil y avait eu violation du droit à la
vie privée. La réponse est oui. Le jugement dans cette
cause établit une distinction entre procès criminel
et procès civil; dans ce dernier cas, la preuve ne serait refusée
que si elle déconsidérait ladministration de la
justice.
Il y a donc un double régime selon quil sagit dune
cause criminelle ou civile, mais aussi selon la charte invoquée:
dun côté le Parlement canadien a considéré
que le droit fondamental qui nous protège contre les fouilles
abusives était suffisamment menacé par la surveillance
vidéo pour soumettre le travail des policiers et des enquêteurs
publics au contrôle judiciaire, alors que le droit à
la vie privée protégé par la charte québécoise
ne nécessite pas les mêmes contrôles sil
est mis en cause par des détectives privés agissant
pour le compte dun employeur privé.
En outre, dans toutes les causes de ce genre analysées par
la professeure Viau dans un article de la Revue internationale
de droit comparé, les tribunaux ont conclu à ladmissibilité
de la preuve même lorsquil y avait eu violation des droits
ou vide juridique.
«Ceci nest pas de nature à encourager la vertu,
conclut-elle. En cette époque où des moyens techniques
de plus en plus sophistiqués sont mis à la disposition
aussi bien des États que des entreprises privées, des
multinationales de la production de biens et de services ou des milieux
du crime, avons-nous encore une vie privée que des lois peuvent
vraiment protéger?»
Daniel
Baril