Volume 35 numéro 26
2 avril
2001


 


Le centre-ville de Montréal conserve les postes de contrôle de l’économie
Le développement de l’emploi dans les banlieues se fait en complémentarité avec le centre-ville.

William Coffey, Claude Manzagol et l’agent de recherche Laurent Terral observent la distribution de l’emploi sur une carte de la région métropolitaine.

De toutes les grandes métropoles du Canada, Montréal est celle dont le centre-ville a connu le déclin le plus faible au terme de la restructuration économique qui a marqué les années 90. Les autres villes canadiennes ont par ailleurs elles-mêmes mieux résisté que les grands centres urbains américains au mouvement de décentralisation.

C’est ce qui ressort d’une série d’études effectuées par William Coffey et Claude Manzagol, professeurs au Département de géographie, pour le compte du ministère de la Métropole.

«Le centre-ville de Montréal a conservé sa fonction classique, qui est de concentrer les emplois dans les secteurs de contrôle de l’économie, soit les sièges sociaux, les institutions financières et les assurances», précise Claude Manzagol. Les données pour le centre-ville montrent que les emplois dans ces secteurs ont augmenté de 5435 entre 1981 et 1996 pour atteindre un total d’environ 20 000. Ceci a permis au centre-ville de maintenir sa part relative de l’emploi dans ces domaines.

Dans la même période, le centre-ville a augmenté de 5 % sa part relative d’emplois dans les communications, ce qui représente un gain de 3500 emplois. Tous secteurs confondus, le nombre d’emplois atteignait 203 000 en 1996, soit 14 545 emplois de plus qu’en 1981 (augmentation de 7,7 %) malgré des pertes notables de l’ordre de 10 500 emplois dans le secteur manufacturier.

La hausse nette cache toutefois une diminution de 15,5 à 14 % de la part relative de l’emploi métropolitain situé au centre-ville: c’est que le nombre d’emplois dans les centres périphériques comme la Rive-Sud, Dorval et Laval a augmenté davantage, notamment dans les secteurs manufacturier, de l’entreposage et des services aux entreprises, des secteurs qui ne sont pas traditionnellement associés aux centres-villes. Cette caractéristique fait dire aux chercheurs que le développement de l’emploi dans les différents pôles se fait de façon complémentaire au rôle du centre-ville.


Économie polycentrique

«Il est normal que le mouvement de croissance se fasse du centre vers l’extérieur, souligne Claude Manzagol. Ce qui n’est pas normal, c’est l’ampleur que ce mouvement a connue aux États-Unis, où les entreprises ont fui les centres-villes par répulsion.»

Le mouvement a été suffisamment important chez nos voisins pour que voient le jour de nouveaux centres-villes périphériques appelés edge cities. À Montréal, le mouvement n’a pas pris la forme d’une dispersion générale mais d’une concentration autour d’une quinzaine de pôles: aux yeux des chercheurs, la région métropolitaine présente ainsi une structure économique polycentrique. Dans les métropoles américaines, cette structure n’aurait été qu’une transition vers la dispersion alors qu’à Montréal elle présente des signes de consolidation.

Par ailleurs, «le mouvement vers la périphérie reflète aussi la santé de l’économie, ajoute pour sa part William Coffey. Les emplois se déplacent lorsqu’il y a trop d’activités économiques pour qu’ils soient concentrés dans les centres-villes. La situation de Montréal illustre que l’économie a stagné pendant la période de restructuration.»

Toronto et Vancouver ont même dû appliquer des mesures de décentralisation parce que les systèmes et réseaux de transport de leur zone centrale étaient à la limite de leur capacité.

Les deux professeurs estiment par ailleurs que la qualité de vie à Montréal, où le centre-ville présente moins de criminalité et de congestion que dans les grandes villes américaines, a possiblement joué un rôle dans le maintien de son activité économique. Le fait que Montréal est une île n’aurait par contre pas d’effet de rétention sur l’emploi.

Les données à partir desquelles ces analyses ont été effectuées vont de 1981 à 1996, mais les chercheurs sont convaincus, à la lumière des développements survenus depuis, que des données plus récentes ne feraient que confirmer leurs observations.

Une partie des résultats de ces travaux a été publiée dans un numéro spécial des Cahiers de géographie du Québec (décembre 2000) dirigé par les professeurs Manzagol, Coffey et leur collègue Richard Shearmur, de l’INRS-Urbanisation.

Daniel Baril