Des
fleurs, des poules et des hors-la-loi: les prostituées de Chine
«Le
vocabulaire, le discours et lhistoire de la prostitution chinoise
sont intimement liés», affirme Pascale Coulette.
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Pascale
Coulette a reçu une distinction honorifique du doyen
de la Faculté des études supérieures
pour la qualité de sa thèse de doctorat. La
chercheuse travaille actuellement au Centre de documentation
Robert-Garry (CETASE) et poursuit des études en bibliothéconomie.
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Dans la Chine
ancienne, le saule, tout comme la fleur, désignait la prostituée.
Le quartier de la prostitution était le «sentier des
saules» ou la «rue des fleurs» et les maisons closes
étaient soumises à une taxe gouvernementale
sur
les fleurs!
Autrefois idéalisé par les lettrés et les hauts
fonctionnaires, le plus vieux métier du monde est illégal
sous le régime communiste actuel et peut valoir de 3 à
24 mois de centre de rééducation. Mais les hommes qui
se présentent seuls dans un hôtel se voient encore offrir
une «couverture», le nouveau sobriquet de la prostituée.
Pascale Coulette a passé près de deux ans à Pékin
à étudier le discours de la Chine contemporaine sur
la prostitution grâce notamment à une bourse du Conseil
de recherches en sciences humaines. Les textes de lois, les revues
savantes et la presse écrite révèlent un changement
radical par rapport aux anciens discours.
«Historiquement, les courtisanes se différenciaient des
épouses et des concubines alors que les concubines daujourdhui,
qui ne sont plus tolérées, sont de plus en plus assimilées
à des prostituées», signale la chercheuse.
Sa thèse de doctorat, rédigée au Département
danthropologie sous la direction des professeurs Bernard Bernier
et Marie-Claire Huot, montre également que les représentations,
les pratiques et le discours se rapportant à la prostitution
sinscrivent dans des contextes culturels et historiques particuliers.
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Ce
signe chinois désigne le mot «fleur», sobriquet
de la prostituée dans la Chine ancienne. Une fleur est,
dit-on, lapparition dune belle femme qui est, à
son tour, la renaissance dune fleur. Il existe une cinquantaine
de vocables relatifs au monde de la prostitution contenant le
mot «fleur». |
Un lexique sur la prostitution
Dans le cadre de sa recherche, Pascale Coulette, qui parle, lit et
écrit couramment le chinois, a reproduit et traduit les articles
de lois, les directives et autres documents officiels relatifs à
la prostitution et aux diverses formes de sexualité vénale.
À ce travail de bénédictin sajoute une
tâche lexicographique qui lui a permis de constituer un glossaire
où sont expliqués quelque 500 termes traditionnels,
populaires, littéraires, juridiques et sociologiques liés
à la prostitution. Cest dailleurs un des apports
fondamentaux de létude de Mme Coulette. Depuis la fondation
de la République populaire de Chine par Mao Tsé-toung,
plusieurs mots avaient été rayés des dictionnaires.
«On peut penser que le nombre de termes reliés à
la prostitution est encore plus élevé, car, en raison
de la politique de prohibition, les tactiques et stratégies
des proxénètes sont devenues plus variées et
plus complexes, allègue-t-elle. Les hôtels et salons
de massage étant hautement surveillés, il y a eu par
exemple, pendant plusieurs années, des poulaillers mobiles.
Il sagissait de taxis qui servaient aux occupations illégales
des poules, les prostituées dans le langage populaire.»
À son avis, la profusion lexicale sur la prostitution à
lintérieur du corpus reflète différentes
visions du phénomène selon lhistoire. Traditionnellement,
la Chine désignait la prostituée par rapport à
un rôle social et non pas, comme cest le cas dans le monde
occidental, selon une conduite jugée immorale. Au milieu du
19e siècle, le discours sur la prostitution commence à
changer. Mais ce nest quà larrivée
des communistes au pouvoir que le tableau se transforme radicalement.
La société maoïste considère alors la prostitution
comme honteuse et rejette toute association à cette activité.
Le pouvoir des mots
«À cette époque, de nombreux textes traitent de
la meilleure façon de nommer tel phénomène, telle
personne ou tel événement, souligne Pascale Coulette.
On semble croire que rayer un mot du vocabulaire suffit à éliminer
le problème. Cest ainsi que la Chine aurait réussi
à éradiquer la prostitution dans les années 50.»
Absurde? Pas tant que ça! La chercheuse cite le sociologue
français Pierre Bourdieu: «Si le travail politique est,
pour lessentiel, un travail sur les mots, cest que les
mots contribuent à faire le monde social. [
] Mettre un
mot pour un autre, cest changer la vision du monde social et,
par là, contribuer à le transformer.»
Quen est-il aujourdhui? On nidéalise plus
la prostitution comme dans la Chine ancienne, répond Mme Coulette.
Mais depuis la fin des années 70, le «marché de
lamour» est réapparu. Les autorités ont
été obligées de reconnaître le phénomène
et des lois ont été mises en place. Dans les textes
juridiques, la prostitution est désignée comme de la
«vente de luxure». Cette expression, qui renvoie à
un usage déréglé de la sexualité, remplace
les vocables romantiques ou artistiques sur lesquels était
basée la terminologie courante.
«Ces termes nont pas complètement disparu, indique
la chercheuse, mais ils sont réservés à un ailleurs:
la prostitution avant 1949 et celle qui a lieu à létranger.
Placé dans les contextes historique et politique de la Chine,
ce découpage temporel et géographique coïncide
avec une différenciation idéologique, soit une opposition
de la Chine communiste à la Chine féodale et au monde
capitaliste.»
Dominique
Nancy