Volume 35 numéro 25
26 mars
2001


 


La végétation mondiale à portée de main des chercheurs
À l’Institut de recherche en biologie végétale, collections et recherche vont de pair.

La taxonomiste Anne Bruneau, professeure à l’Institut de recherche en biologie végétale, fait partie des quelques chercheurs qui puisent leurs sujetsde recherche parmi les 20 000 espèces et cultivars du Jardin botanique.

Plus de 20 000 espèces et cultivars de plantes dont 1000 variétés d’orchidées et 2000 espèces de plantes alpines, un bonsaï de 360 ans, un peuplier de près de 30 m, des lichens de quelques millimètres. Le Jardin botanique de Montréal offre tout cela. Mais les collections ne font pas que le bonheur du million de personnes qui les visitent chaque année. Elles sont aussi utilisées par les chercheurs de l’Institut de recherche en biologie végétale (IRBV) pour l’enseignement et la recherche.

Créé en 1990, l’IRBV est le prolongement de l’Institut botanique, fondé en 1920 par le frère Marie-Victorin. Fruit d’un partenariat entre l’Université de Montréal et la Ville de Montréal, l’IRBV unit les efforts des professeurs de biologie végétale du Département de sciences biologiques et des scientifiques de la Division du développement et de la recherche du Jardin botanique. «Cette union profite aux uns comme aux autres, signale le conservateur du Jardin, Michel Labrecque, également chercheur à l’IRBV. Les professeurs de l’Université collaborent avec le personnel scientifique et horticole de la Ville et ont accès aux collections et aux installations du Jardin. En retour, celui-ci héberge un centre de recherche de pointe et profite de l’expertise scientifique des chercheurs universitaires. Grâce à cette collaboration, des recherches sont menées dans une large gamme de disciplines allant de la biologie moléculaire à l’écologie.»

Selon Michel Labrecque, la présence de l’IRBV permet au Jardin de contribuer à la recherche et à l’enseignement, en plus de jouer un rôle en matière de conservation et de vulgarisation scientifique.


Symbiose entre recherche et collections

«Les projets de recherche, c’est souvent ce qui permet de mettre sur pied une collection vivante», affirme Luc Brouillet, professeur à l’IRBV et conservateur de l’herbier Marie-Victorin, le troisième en importance au Canada avec plus de 750 000 spécimens de plantes séchées.

Le taxonomiste rappelle que les collections sont indispensables à l’enseignement: «C’est un avantage énorme pour un département de biologie que d’avoir accès à un jardin botanique. Les étudiants de mes cours de systématique ne se limitent pas à l’observation de spécimens d’herbier ou de matériel conservé dans de l’alcool. Ils ont la chance de voir des plantes vivantes. Ça rend l’apprentissage beaucoup plus intéressant.»

Anne Bruneau, professeure de systématique moléculaire à l’IRBV, a fait sa thèse de doctorat à partir de matériel prélevé sur des arbres du National Tropical Botanical Garden et du Waimea Arboretum, à Hawaii, où les chercheurs sont les bienvenus. «J’ai étudié la systématique du genre Erythrina, de la famille des légumineuses. Il s’agit de grands arbres répartis dans les régions tropicales de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique du Sud. Sans cette collection, qui compte 100 des 112 espèces, j’aurais dû voyager pendant des années pour trouver le matériel nécessaire à mon travail.»


Conservation de la bio-diversité

Quand Anne Bruneau est arrivée à l’IRBV, elle connaissait déjà, de réputation, la collection de rosiers du Jardin botanique. Sa première visite avec la responsable de la roseraie ne l’a pas déçue. «Réunir autant d’espèces sauvages en un même endroit, c’est un travail de longue haleine, explique l’horticultrice Claire Laberge. Pour chaque espèce, nous recevons une faible quantité de semences récoltées dans la nature et difficiles à faire germer à cause d’un problème de dormance. Mais nous avons pu surmonter cette difficulté en ayant recours à la culture in vitro.»

Il y a quelques années, l’horticultrice a en effet découvert, en consultant la littérature scientifique, qu’il était possible de résoudre le problème de dormance des graines de rosiers en utilisant la culture in vitro. Elle a alors communiqué avec les chercheurs de l’IRBV, qui l’ont aidée à faire germer les graines d’une trentaine d’espèces en moins d’un an. «Pour obtenir la centaine d’autres variétés de la collection, il a fallu plus de 30 ans de travail», affirme Mme Laberge.

Anne Bruneau prépare en ce moment un projet de recherche sur le genre Rosa, dont la systématique est peu connue. La botaniste a également tiré profit des collections pour étudier la classification des angiospermes, comme en témoigne un article écrit en collaboration avec Luc Brouillet et Simon Joly, étudiant à la maîtrise à l’IRBV, et qui vient de paraître dans la revue International Journal of Plant Science.

Si les chercheurs gagnent du temps grâce aux collections, il ne faut pas croire pour autant qu’ils n’aiment pas les voyages. Denis Barabé, botaniste au Jardin botanique et professeur associé à l’IRBV, en est la preuve. Ce spécialiste de la famille des aracées effectue plusieurs voyages sous les tropiques pour étudier ces plantes. Chaque fois, il rapporte des spécimens qui viennent enrichir la collection du Jardin. Et grâce à cette importante collection, il peut étudier les aracées sans se déplacer. C’est ce qu’il a fait dernièrement avec Marc Gibernau, un chercheur du Conseil national de recherche scientifique de France.

Les liens entre les collections végétales et la recherche à l’IRBV ne manquent donc pas au jardin fondé par le frère Marie-Victorin. «Au Canada, nous sommes le jardin où il se fait le plus de recherche, mais nos effectifs ne sont cependant pas à la hauteur de ceux des grands jardins auxquels nous nous comparons.» Luc Brouillet partage cette opinion: « Le personnel de recherche des jardins de Kew, New York, Saint Louis et Berlin est au moins 10 fois plus nombreux qu’ici. Parmi les grands, nous sommes les plus petits.»

Mais tous deux voient l’avenir avec optimisme. «Le quart de la biodiversité végétale mondiale est cultivé dans les jardins botaniques, rappelle Michel Labrecque. Avec nos collections et notre recherche, nous participons à l’effort planétaire pour la sauvegarde de la biodiversité.»

Denis Lauzer
Agent de recherche
Institut de recherche en biologie végétale