Volume 35 numéro 25
26 mars
2001


 


Mouvements urbains et mondialisation
La sociologie redécouvre l’action concrète des mouvements urbains.

Les groupes de pression auraient contribué à modifier la façon de gérer l’espace public et le développement économique des quartiers, selon Pierre Hamel.

Traditionnellement, les mouvements urbains se sont concentrés sur l’action sociale locale. Mais voici qu’ils sont à leur tour gagnés par la mondialisation de l’économie, ce qui les amène à repenser leurs analyses et à rediriger leur action. Ce nouveau contexte politique, social et économique sert de toile de fond à un ouvrage collectif publié récemment chez Routledge, Urban Movements in a Globalising World.

«Les textes que nous publions rompent avec l’approche trop théorique qui a caractérisé l’analyse sociologique des mouvements urbains dans les années 80 et 90, indique Pierre Hamel, professeur au Département de sociologie et coéditeur de l’ouvrage. Ces analyses étaient centrées sur des questions abstraites comme l’identité ou les rapports de classe et elles ont perdu de vue la réalité complexe du caractère social à la base des mouvements urbains. Nos travaux abordent les actions concrètes que mènent ces groupes sur le terrain et la façon dont ils transforment notre perception par les solutions qu’ils apportent.»

Les mouvements sociaux urbains dont il est question sont par ailleurs trop peu connus du grand public et l’un des objectifs poursuivis par les auteurs est justement de les faire mieux connaître. «On parle des groupes qui interviennent dans les questions du logement, de la gestion des services publics, de la qualité de vie, de la démocratisation de la gestion urbaine ou encore de la revitalisation économique de quartiers défavorisés, précise Pierre Hamel, qui est également professeur à l’Institut d’urbanisme. La sociologie a marginalisé ces groupes par rapport à ceux qui s’intéressent aux conditions des femmes ou à l’environnement, mais il y a beaucoup de choses qui se passent dans la ville.»


Changer les mentalités

Ces groupes sont généralement engagés dans des actions allant à l’encontre des politiques de mondialisation de l’économie ou du moins visent à en contrer les effets locaux négatifs. Cette perspective n’a pas partout les mêmes conséquences: les mouvements luttent contre la ghettoïsation des groupes ethniques aux États-Unis, réclament des HLM en France, s’opposent aux mesures de workfare en Angleterre et s’engagent dans la relance économique locale à Montréal.

Selon le professeur, ces mouvements de pression auraient contribué à modifier les mentalités en ce qui concerne la façon de gérer l’espace public et le développement économique des quartiers. Dans le chapitre qu’il signe — «The fragmentation of social movements and social justice» —, Pierre Hamel s’intéresse plus particulièrement au Regroupement pour la relance économique et sociale du Sud-Ouest (RESO), qui permet d’illustrer comment l’action urbaine a pu entraîner des transformations institutionnelles ainsi que la création de programmes gouvernementaux.

Au début des années 90, le RESO a réussi par exemple à convaincre le gouvernement fédéral de rajuster ses programmes de relance pour le sud-ouest de Montréal afin de mieux répondre aux besoins de la population de ces quartiers et a même créé un fonds de cinq millions de dollars en capital de risque pour la création d’emplois.

Pierre Hamel analyse des interventions de ce type en discutant de deux approches qui ont cours à leur égard: celle voulant qu’il s’agisse d’actions marginales alors que les décisions sont prises à d’autres échelons et celle voulant que, dans le contexte d’une société fragmentée, il importe de donner la parole aux divers acteurs sociaux.

«Ces deux approches sont valides en partie et doivent être maintenues, dit-il. Les groupes urbains ont d’ailleurs conçu leurs interventions en misant sur une certaine ambivalence, cherchant à transformer les institutions de l’intérieur et de l’extérieur.»

À ses yeux, les mouvements urbains remplissent ainsi trois rôles majeurs: ils sont le reflet des tensions sociales, ils offrent un espace pour l’expérimentation des mesures sociales et pour la formation des intervenants et ils transforment les mentalités.

L’ouvrage, coédité par Henri Lustiger-Thaler, du collège Ramapo au New Jersey, et par Margit Mayer, de l’Université libre de Berlin, analyse les divers enjeux urbains tels qu’ils se présentent au Québec, aux États-Unis, en France, en Angleterre, en Allemagne et en Europe de l’Est, toujours dans la perspective de la mondialisation.

Daniel Baril

Sous la direction de Pierre Hamel, Henri Lustiger-Thaler et Margit Mayer, Urban Movements in a Globalising World, Londres, Routledge, 2001.