À
quand un tribunal international permanent sur les crimes de guerre?
La création prochaine
dun tel tribunal consacre léchec des mécanismes
de prévention.
Il y a huit ans
maintenant, le Conseil de sécurité des Nations Unies
créait le tribunal international de La Haye pour juger les
crimes contre les droits humains commis en ex-Yougoslavie. Moins de
un an plus tard, un second tribunal du même genre voyait le
jour pour juger les responsables du génocide du Rwanda.
La création de ces tribunaux est-elle un signe que lhumanité
shumanise? Pour Lison Néel, qui a consacré sa
thèse de doctorat à lanalyse de la judiciarisation
internationale des criminels de guerre, ces tribunaux marquent dabord
léchec des missions de maintien de la paix qui étaient
déjà en place en Yougoslavie et au Rwanda. Si linstauration
prochaine dune cour pénale internationale qui prendra
le relais des tribunaux ad hoc est considérée
comme un pas important dans la répression des crimes de guerre,
elle représente tout de même «linstitutionnalisation
de léchec des mécanismes de prévention».
Dans un article quelle signe dans le dernier numéro de
la revue Criminologie (vol. 33, no 2), Lison Néel trace
lhistorique de ces diverses tentatives qui se sont presque toutes
heurtées au manque de volonté politique des États.
Des échecs et des succès
Après la Première Guerre mondiale, une première
tentative dinstaurer un tribunal international créé
par la conférence de Paris pour juger les violations des lois
de la guerre na rien donné. Après la Seconde Guerre,
les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo ont infligé des condamnations,
mais ils ont été «beaucoup critiqués et
à juste titre, écrit Me Néel. Cétait
les procès où les vainqueurs jugeaient les vaincus.
Ces États [vainqueurs] ont créé la loi, assuré
la poursuite et linstruction, prononcé le jugement et
exécuté les peines.»
Le tribunal de Nuremberg a toutefois innové dans la bonne direction,
reconnaît-elle. «Il a réussi là où
la communauté internationale avait échoué après
la Grande Guerre et il a été à lorigine
dun nouveau droit: le droit pénal international.»
Par la suite, la Convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (1948) et les conventions de Genève
(1949) qui obligent les États à juger les auteurs de
violations graves du droit international humanitaire ont aussi été
des échecs consacrant limpunité des criminels
de guerre. Selon son analyse, cest le défaut des États
de se soumettre à cette obligation qui a conduit à la
création des tribunaux sur lex-Yougoslavie et sur le
Rwanda.
Ces tribunaux diffèrent toutefois de ceux de Nuremberg et de
Tokyo: celui sur lex-Yougoslavie a répondu au désir
de maintenir la paix et la stabilité en Europe, alors que celui
sur le Rwanda a été institué à la suite
de pressions internationales. «Ces tribunaux ne sont pas là
pour appliquer le droit des vainqueurs à des ennemis vaincus,
mais pour sanctionner les coupables de violations graves du droit
humanitaire au nom de la communauté internationale tout entière
sans établir de distinctions selon lidéologie
des accusés ou le camp dans lequel ils se sont rangés»,
estime la chercheuse.
La création de ces deux tribunaux est survenue en même
temps que les membres des Nations Unies étudiaient un projet
de cour pénale internationale. Ce projet, déposé
en 1994, a été adopté en juillet 1998, mais na
pas encore reçu le nombre de ratifications nécessaires
pour que le tribunal voie le jour. Jusquà présent,
une trentaine de pays auraient ratifié le projet alors que
60 signatures doivent être obtenues.
Selon Me Néel, le projet présente d«énormes
lacunes», mais elle croit néanmoins quune cour
pénale internationale pourra avoir un effet dissuasif sur la
perpétration datrocités, contribuera à
améliorer le respect du droit international humanitaire et
fera avancer la démocratie.
lDaniel
Baril
Six
mois au tribunal de La Haye
En février dernier, le tribunal international de La Haye condamnait
deux Croates de Bosnie pour crimes contre lhumanité.
Dario Kordic, ancien chef de la Communauté croate de Bosnie,
et Mario Cerkez, ex-commandant des forces croates, ont été
reconnus coupables davoir orchestré lexpulsion
et lassassinat de centaines de Bosniaques musulmans et davoir
détruit leurs villages.
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Justin
Roberge |
Justin
Roberge, diplômé de la Faculté de droit, vient
de passer six mois à titre de stagiaire au bureau du procureur
de ce tribunal pendant quon jugeait les deux accusés
croates. «Même sils ne peuvent juger tout le monde,
ces tribunaux constituent un très grand succès du droit
international, estime-t-il. Les lois nationales sont inaptes à
gérer les situations daprès-guerre et, si lon
ne sen remettait quà cet ordre de législation,
les conflits nationaux seraient continuellement alimentés.
Les tribunaux internationaux sont donc essentiels au processus de
paix.»
La cause à laquelle il a travaillé sest soldée
par la condamnation des deux accusés à 15 et 25 ans
de prison.
«Le procès a duré un an et demi et le tribunal
a entendu pas moins de 240 témoins, précise-t-il. Ces
procès sont longs, lents et coûteux 100 M$ US
par année depuis sept ans , et il faut garder une certaine
distance par rapport à cette réalité pour ne
pas déprimer.»
Ce tribunal a été sévèrement critiqué
pour sa lenteur et sa partialité, mais une trentaine de personnes
ont déjà été condamnées et certaines
ont écopé de 45 ans de prison. Le tribunal sur le Rwanda,
indépendant de celui sur lex-Yougoslavie, a pour sa part
condamné lex-premier ministre Jean Kambanda à
la prison à vie. Pour Justin Roberge, ces sentences démontrent
la pertinence et lefficacité de ces tribunaux, mais il
se dit déçu de lattitude du public et des médias
à leur égard. «Le jugement dans laffaire
Kambanda a été maintenu par la cour dappel en
juin 2000, mais il ny a absolument rien eu dans les médias»,
déplore-t-il.
D.B.