Volume 35 numéro 25
26 mars
2001




À quand un tribunal international permanent sur les crimes de guerre?
La création prochaine d’un tel tribunal consacre l’échec des mécanismes de prévention.

Il y a huit ans maintenant, le Conseil de sécurité des Nations Unies créait le tribunal international de La Haye pour juger les crimes contre les droits humains commis en ex-Yougoslavie. Moins de un an plus tard, un second tribunal du même genre voyait le jour pour juger les responsables du génocide du Rwanda.

La création de ces tribunaux est-elle un signe que l’humanité s’humanise? Pour Lison Néel, qui a consacré sa thèse de doctorat à l’analyse de la judiciarisation internationale des criminels de guerre, ces tribunaux marquent d’abord l’échec des missions de maintien de la paix qui étaient déjà en place en Yougoslavie et au Rwanda. Si l’instauration prochaine d’une cour pénale internationale qui prendra le relais des tribunaux ad hoc est considérée comme un pas important dans la répression des crimes de guerre, elle représente tout de même «l’institutionnalisation de l’échec des mécanismes de prévention».

Dans un article qu’elle signe dans le dernier numéro de la revue Criminologie (vol. 33, no 2), Lison Néel trace l’historique de ces diverses tentatives qui se sont presque toutes heurtées au manque de volonté politique des États.


Des échecs et des succès

Après la Première Guerre mondiale, une première tentative d’instaurer un tribunal international créé par la conférence de Paris pour juger les violations des lois de la guerre n’a rien donné. Après la Seconde Guerre, les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo ont infligé des condamnations, mais ils ont été «beaucoup critiqués et à juste titre, écrit Me Néel. C’était les procès où les vainqueurs jugeaient les vaincus. Ces États [vainqueurs] ont créé la loi, assuré la poursuite et l’instruction, prononcé le jugement et exécuté les peines.»

Le tribunal de Nuremberg a toutefois innové dans la bonne direction, reconnaît-elle. «Il a réussi là où la communauté internationale avait échoué après la Grande Guerre et il a été à l’origine d’un nouveau droit: le droit pénal international.»

Par la suite, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948) et les conventions de Genève (1949) qui obligent les États à juger les auteurs de violations graves du droit international humanitaire ont aussi été des échecs consacrant l’impunité des criminels de guerre. Selon son analyse, c’est le défaut des États de se soumettre à cette obligation qui a conduit à la création des tribunaux sur l’ex-Yougoslavie et sur le Rwanda.

Ces tribunaux diffèrent toutefois de ceux de Nuremberg et de Tokyo: celui sur l’ex-Yougoslavie a répondu au désir de maintenir la paix et la stabilité en Europe, alors que celui sur le Rwanda a été institué à la suite de pressions internationales. «Ces tribunaux ne sont pas là pour appliquer le droit des vainqueurs à des ennemis vaincus, mais pour sanctionner les coupables de violations graves du droit humanitaire au nom de la communauté internationale tout entière sans établir de distinctions selon l’idéologie des accusés ou le camp dans lequel ils se sont rangés», estime la chercheuse.

La création de ces deux tribunaux est survenue en même temps que les membres des Nations Unies étudiaient un projet de cour pénale internationale. Ce projet, déposé en 1994, a été adopté en juillet 1998, mais n’a pas encore reçu le nombre de ratifications nécessaires pour que le tribunal voie le jour. Jusqu’à présent, une trentaine de pays auraient ratifié le projet alors que 60 signatures doivent être obtenues.

Selon Me Néel, le projet présente d’«énormes lacunes», mais elle croit néanmoins qu’une cour pénale internationale pourra avoir un effet dissuasif sur la perpétration d’atrocités, contribuera à améliorer le respect du droit international humanitaire et fera avancer la démocratie.

lDaniel Baril


Six mois au tribunal de La Haye

En février dernier, le tribunal international de La Haye condamnait deux Croates de Bosnie pour crimes contre l’humanité. Dario Kordic, ancien chef de la Communauté croate de Bosnie, et Mario Cerkez, ex-commandant des forces croates, ont été reconnus coupables d’avoir orchestré l’expulsion et l’assassinat de centaines de Bosniaques musulmans et d’avoir détruit leurs villages.

Justin Roberge

Justin Roberge, diplômé de la Faculté de droit, vient de passer six mois à titre de stagiaire au bureau du procureur de ce tribunal pendant qu’on jugeait les deux accusés croates. «Même s’ils ne peuvent juger tout le monde, ces tribunaux constituent un très grand succès du droit international, estime-t-il. Les lois nationales sont inaptes à gérer les situations d’après-guerre et, si l’on ne s’en remettait qu’à cet ordre de législation, les conflits nationaux seraient continuellement alimentés. Les tribunaux internationaux sont donc essentiels au processus de paix.»

La cause à laquelle il a travaillé s’est soldée par la condamnation des deux accusés à 15 et 25 ans de prison.

«Le procès a duré un an et demi et le tribunal a entendu pas moins de 240 témoins, précise-t-il. Ces procès sont longs, lents et coûteux — 100 M$ US par année depuis sept ans —, et il faut garder une certaine distance par rapport à cette réalité pour ne pas déprimer.»

Ce tribunal a été sévèrement critiqué pour sa lenteur et sa partialité, mais une trentaine de personnes ont déjà été condamnées et certaines ont écopé de 45 ans de prison. Le tribunal sur le Rwanda, indépendant de celui sur l’ex-Yougoslavie, a pour sa part condamné l’ex-premier ministre Jean Kambanda à la prison à vie. Pour Justin Roberge, ces sentences démontrent la pertinence et l’efficacité de ces tribunaux, mais il se dit déçu de l’attitude du public et des médias à leur égard. «Le jugement dans l’affaire Kambanda a été maintenu par la cour d’appel en juin 2000, mais il n’y a absolument rien eu dans les médias», déplore-t-il.

D.B.