Volume 35 numéro 25
26 mars
2001


 


Décrochage: les directeurs de thèse montrés du doigt
Une chercheuse au Département de psychologie étudie le phénomène.

Sous la direction des professeurs Margaret C. Kiely (au centre) et Pierre Gendreau, du Département de psychologie, Natalie Boulet a démontré, dans le cadre de sa thèse de doctorat, l’importance d’une direction doctorale basée sur le processus créateur.

Selon le domaine d’études, de 35 à 50% des étudiants québécois au doctorat décrochent avant d’avoir obtenu leur diplôme. Des statistiques inquiétantes mais comparables à celles des universités américaines et britanniques.

Natalie Boulet, chercheuse au Département de psychologie, s’est intéressée au problème et en a fait l’objet de sa thèse de doctorat. La recherche a été menée auprès de 20 professeurs et de 140 doctorants, dont des décrocheurs en psychologie. Bien qu’il ne s’agisse que d’un seul département, l’étude fait ressortir l’importance du rôle du directeur dans la persévérance aux cycles supérieurs et désigne la direction adéquate comme un élément clé de l’obtention du diplôme.

«Aucun modèle de direction doctorale n’est utilisé de façon systématique dans les universités québécoises, déplore la chercheuse. La majorité des directeurs de recherche apprennent par essais et erreurs.»

À la Faculté des études supérieures, on se penche activement sur ce problème. Dans le cadre de l’entente de réinvestissement 2000-2003 intervenue entre l’Université et le ministère de l’Éducation, diverses stratégies ont été mises en place pour hausser le taux de diplomation aux cycles supérieurs, dont un encadrement et un suivi plus rigoureux. Depuis 1999, l’École Polytechnique a aussi fait de l’encadrement une de ses priorités. On a notamment instauré des activités pédagogiques destinées aux professeurs et aux étudiants et l’on envisage la création de comités départementaux des cycles supérieurs. Une enquête sur la qualité de l’encadrement aura lieu ce printemps.


Laissés à eux-mêmes

L’abandon scolaire entraîne des conséquences fâcheuses pour les étudiants et pour les professeurs qui ont investi temps et énergie, soutient Mme Boulet. Pour le décrocheur, il en résulte parfois un échec majeur: sa décision d’abandonner, constamment ravivée par son entourage, engendre beaucoup d’émotions telles que la frustration, la culpabilité et une faible estime de soi. Et c’est sans compter les pertes considérables pour la société puisqu’on prive le marché de personnes susceptibles d’influencer la science et la recherche, rappelle la chercheuse.

Natalie Boulet, en tout cas, prêche par l’exemple. Mère de deux enfants, la jeune femme âgée de 34 ans a réussi à déposer sa thèse de doctorat. «Avec un tel sujet de recherche, j’étais très mal placée pour laisser tomber, dit-elle en riant. Le soutien constant de ma directrice, Margaret C. Kiely, et de mon codirecteur, Pierre Gendreau, a été une grande source de motivation. Sans leur appui, ma thèse n’aurait pu être menée à bien.»

Tous les professeurs ne sont pas aussi disponibles et engagés. Les étudiants se retrouvent, semble-t-il, souvent laissés à eux-mêmes, comme le soulignent les propos de ce décrocheur qui a préféré garder l’anonymat. «J’ai été inscrit au doctorat pendant sept ans, le temps maximal. Les quatre dernières années, je payais toujours mes droits de scolarité, je faisais partie du programme, mais jamais je n’ai eu d’appel de mon directeur, ne serait-ce que pour me demander si j’arrêtais ou si je poursuivais».

Un diplômé, interviewé par Mme Boulet, raconte: «Pendant presque deux ans, j’ai eu l’impression de perdre mon temps avec ma question de recherche. Ma directrice m’a laissé toute la latitude dont j’avais besoin, mais à un moment donné elle m’a dit: “Il faut que tu t’y remettes.” Et elle a été présente.»

D’après Natalie Boulet, la relance de la part du professeur, particulièrement dans les périodes dites non productives comme la revue de la littérature, l’organisation des idées et la rédaction, est capitale. Il s’agit d’une variable en lien étroit avec la poursuite et l’achèvement des études doctorales. Plusieurs étudiants abandonnent d’ailleurs juste après l’expérimentation, indique la chercheuse. «Lorsqu’ils ne sont pas encadrés, soutenus et relancés par leur directeur de thèse, ils associent le travail de recherche doctorale à l’image d’une montagne s’édifiant et devenant tellement haute qu’elle apparaît insurmontable et inaccessible.»

Bien que les directeurs de thèse soient montrés du doigt dans le décrochage, divers autres facteurs semblent également jouer un rôle notable. Par exemple, la personnalité de l’étudiant, le manque d’appartenance à l’établissement et les difficultés financières. Certains abandonnent aussi parce qu’ils décrochent… un boulot intéressant! «Ce n’est pas la majorité, allègue Mme Boulet. Si l’on veut contrer le problème, il faut amener les professeurs à maîtriser les habiletés nécessaires à la valorisation du potentiel créateur de l’étudiant et les sensibiliser au processus impliquant un contexte psychologique d’encadrement et de créativité qui mène au dépôt de la thèse.»


L’importance de la qualité de la relation

Consciente de la lourdeur de la charge de travail des professeurs, Natalie Boulet soutient qu’une part de responsabilité relative au décrochage relève des établissements universitaires. À son avis, ces derniers devraient valoriser davantage l’enseignement et la direction doctorale. «Parmi les critères de sélection à un poste de professeur, l’expérience et la performance du candidat à la direction doctorale ne sont pas prises en considération, reproche-t-elle. L’accent est mis essentiellement sur son expérience en recherche et sur les publications à son actif. Il est essentiel d’entretenir une culture de la recherche plus large et plus évidente.»

Pour elle, la direction doctorale doit être abordée en tenant compte du processus créateur et des différentes étapes qui mènent à l’élaboration de la thèse et à l’obtention du diplôme. Dans le modèle qu’elle a élaboré, la qualité de la relation entre le directeur et l’étudiant chercheur tient une place de choix. «L’étudiant qui réussit au troisième cycle a choisi seul ou en collaboration avec son directeur de recherche son sujet de thèse et a reçu tout au long du processus un soutien de la part de son directeur. Il rapporte une relation positive avec ce dernier, lui attribue de nombreuses forces et, finalement, mentionne plusieurs moments heureux avec son directeur de recherche.»

Dominique Nancy