Un 
            trésor aux collections spéciales 
             
            Un 
            des sept exemplaires du Magnificenze di Roma, de Piranèse, 
            vaudrait une fortune.
          
             
                | 
               
                
                   
                    | Geneviève 
                      Bazin (à gauche) et Myra Nan Rosenfeld (à 
                      droite) manipulent, avec des gants blancs il va sans dire, 
                      le trésor des collections spéciales, un ouvrage 
                      de grande valeur de Piranèse. | 
                   
                 
               | 
            
          
           
          Cest un 
            livre quon ne manipule quavec des gants blancs. Et pour 
            cause. Le Magnificenze di Roma, que Piranèse a imprimé 
            dans son atelier entre 1748 et 1750, constitue le trésor de 
            la Division des livres rares et des collections spéciales de 
            lUniversité de Montréal. La valeur historique 
            du volume de 114 pages est considérable puisquil présente 
            le «premier état des gravures», soit limpression 
            initiale deaux-fortes qui ont notamment inspiré Victor 
            Hugo, Alphonse de Lamartine et des poètes anglais comme Thomas 
            de Quincey et Thomas Coolridge.
            
            Quant à sa valeur matérielle, on préfère 
            la taire pour ne pas attirer lattention des cambrioleurs. Il 
            suffit de savoir que la seule série des Prisons (Carceri), 
            comptant 13 gravures, vaudrait à elle seule plus de 100 000$US 
            sur le marché de lart... Les 101 autres, portant linscription 
            «Piranezi invento, incise in Roma» mais aucune adresse, 
            présentent les merveilles architecturales de Rome ainsi quun 
            magnifique autoportrait. Elles ont été gravées 
            alors que le célèbre artiste et architecte nétait 
            pas assez prospère pour soffrir un atelier de production 
            hors de chez lui.
            
            «Cest lun des ouvrages les mieux conservés 
            et assurément lun des plus intéressants du monde», 
            explique Myra Nan Rosenfeld, une historienne de lart qui étudie 
            Piranèse depuis 20 ans. Selon elle, il nexiste que sept 
            exemplaires de cet ouvrage, dont deux incomplets. Le Magnificenze 
            di Roma représente un point tournant dans la carrière 
            de Piranèse puisquil marque sa percée dans le 
            monde artistique italien.
            
            Pour la première fois, le volume de lUniversité 
            de Montréal sera présenté publiquement à 
            un auditoire spécialisé au cours dune conférence 
            le 6 avril prochain à Rome, «New ligths on Piranese». 
            «Nous savions que cet ouvrage était important, mais nous 
            ne savions pas à quel point», résume Geneviève 
            Bazin, directrice des livres rares et des collections spéciales.
            
            Le travail minutieux de Mme Rosenfeld, au cours des derniers mois, 
            a permis de dater le volume. Cest, notamment, au moyen dun 
            appareil à fibres optiques quelle est parvenue à 
            identifier les filigranes dans les pages du livre. Or, il existe un 
            ouvrage de référence où les différents 
            filigranes sont répertoriés. Ceux du volume dont il 
            est ici question sont les plus anciens connus. Mme Rosenfeld vient 
            détablir le catalogue des uvres de Piranèse 
            pour lUniversité McGill, à paraître bientôt, 
            et louvrage que possède lUniversité de Montréal 
            y figure.
          
             
                | 
              Prima 
                parte de architetture e prospettive, réalisée 
                en 1743, préfigure la célèbre série 
                des Carceri, qui rendra Piranèse célèbre 
                jusquau-delà de lan 2000. | 
            
          
          Qui 
            est Piranèse?
            Giovanni Battista Piranesi, dit Piranèse (1720-1778), est né 
            à Venise, mais est tombé follement amoureux de Rome 
            lorsquil la visitée pour la première fois 
            à 20 ans, au point de ne plus vouloir quitter cette ville. 
            Dabord architecte, il na quune seule grande réalisation 
            à son actif: la rénovation de léglise Santa 
            Monica dei Monti. Il est passé à lhistoire comme 
            un graveur méticuleux, productif et audacieux. Aujourdhui 
            encore, il suscite la passion chez les antiquaires et les amateurs 
            dhistoire de lart. Le site Amazone.com, qui vend des livres 
            dans Internet, répertorie pas moins de 47 monographies à 
            son sujet.
            
            On sait que Piranèse et ses fils, Francesco et Pietro, ont 
            multiplié les impressions à partir des plaques dorigine, 
            ce qui fait que les uvres authentiques ne sont pas rares aujourdhui 
            dans les grands musées du monde. Ce qui fait loriginalité 
            du Magnificenze de lUniversité de Montréal, 
            cest quil correspond aux toutes premières uvres 
            majeures de la main du maître. Le profane perçoit dailleurs 
            nettement une différence entre les gravures de premier état 
            et les autres, effectuées plus tard.
            
            La collection des livres rares compte un autre ouvrage de Piranèse, 
            intitulé Opere Varie (uvres diverses), qui présente 
            aussi la série des Prisons, réalisée une 
            quarantaine dannées plus tard. Cela permet la comparaison 
            visuelle, à la portée de tout chercheur.
          
            Montréal, ville dart
            Le catalogue de la collection des gravures et livres de Piranèse, 
            de ses prédécesseurs et de ses successeurs, élaboré 
            par Mme Rosenfeld, inclut un Opere Varie dune grande 
            valeur déposé à lUniversité McGill. 
            Ce nest pas le premier état des gravures qui lui confère 
            une valeur particulière (son impression se situe entre 1750 
            et 1778), mais le fait que lartiste a laissé ses empreintes 
            digitales sur 11 pièces. En voulant créer des effets 
            dombre, il a laissé bien plus que cela.
            
            À des milliers de kilomètres de la Ville éternelle, 
            Montréal se positionne parmi les capitales mondiales de Piranèse. 
            «Impossible détudier sérieusement Piranèse 
            sans passer par Montréal», déclare Mme Rosenfeld. 
            Embauchée dabord par larchitecte Phyllis Lambert 
            pour conseiller le Centre canadien darchitecture dans lachat 
            duvres, la spécialiste nétait pas 
            au bout de ses surprises. Elle a découvert des gravures authentiques 
            dans les archives du magasin Morgan avant détudier les 
            livres des deux universités de la montagne, dont elle ignorait 
            lexistence lorsquelle a monté une exposition en 
            1992. Cest la conservatrice des collections spécialisées 
            de lUniversité McGill, Irena Murray, qui la mise 
            sur la piste.
            
            Le plus drôle, cest quon ignore la provenance exacte 
            du trésor des collections spéciales, qui place le Service 
            des bibliothèques de lUniversité de Montréal 
            parmi les privilégiés qui possèdent Le Magnificenze 
            dorigine (avec la New York Public Library, le Sir John Soanes 
            Museum, à Londres, lAccademia di San Luca, à Rome, 
            la Bibliothèque publique de Genève, la Bibliothèque 
            nationale de France, à Paris, et la National Gallery, à 
            Washington). Si lon sattarde à la qualité 
            de la conservation, Mme Rosenfeld place même lexemplaire 
            de lUdeM parmi les trois plus importants.
            
            «Nous savons que notre exemplaire vient de la bibliothèque 
            de lÉcole darchitecture, mais nous ne sommes pas 
            parvenus à retracer le donateur dorigine», explique 
            Mme Bazin.
            
            Lorsquon lui a confié le mandat de créer une division 
            des livres rares et des collections spéciales, en 1985, Mme 
            Bazin a récupéré 80 000 ouvrages de diverses 
            provenances. Conservés dans une atmosphère contrôlée, 
            répertoriés et classés, ces livres font lobjet 
            de recherches constantes, en plus dêtre mis à la 
            disposition des étudiants et des professeurs. On sait par exemple 
            que lOpere Varie a été légué 
            par un architecte en 1973. Le Magnificenze faisait déjà 
            partie de la collection. Une inscription manuscrite sur la page de 
            titre laisse entendre quil viendrait du château du duc 
            de Devonshire. Le livre, âgé de 250 ans, conserve certains 
            de ses mystères.
            
            Les reliures des deux ouvrages de Piranèse ont actuellement 
            un urgent besoin de restauration. «Nous recherchons un mécène, 
            dit avec un sourire en coin Geneviève Bazin. Nous avons besoin 
            de 8000$ pour les restaurer. Cela vous donne une idée de la 
            valeur de ces livres
»
          Mathieu-Robert 
  Sauvé 
           
          